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href="#n38" type="note">38.

Coblentz, le 12 septembre 1804.

      Le prince de Nassau-Weilbourg est venu ici faire sa cour. Il a proposé à Joséphine de lui envoyer deux yachts pour remonter le Rhin jusqu'à Mayence; ce qu'elle a accepté. Nous partons demain, et l'empereur suivra la nouvelle route qu'on a fait pratiquer aux bords du Rhin.

Bingen, le 13 septembre.

      Notre voyage a été très-agréable toute la journée, et, pour qu'il n'y manque rien, nous pouvons même y joindre la description d'une tempête qui a manqué nous être funeste, et qui a retardé notre arrivée ici jusqu'à minuit. Les bords du Rhin, depuis Coblentz jusqu'à Bingen, sont très-pittoresques; dans la plus grande partie, ils sont hérissés de rochers, de montagnes très-élevées, sur lesquelles on voit une grande quantité de ruines d'anciens châteaux. On est étonné que des lieux qui paraissent si sauvages aient pu être habités par des créatures humaines. On nous a fait remarquer une tour qui s'élève au milieu du Rhin. Les princesses palatines étaient obligées autrefois de venir habiter cette tour pour donner le jour à leurs enfans. Je ne sais ce qui motivait cet usage, car la tour paraît inhabitable. Elle s'appelle le château de la Souris, et en effet je pense qu'il ne peut convenir qu'à cette espèce d'animaux d'y faire leur demeure. En passant devant Rhinsels et Bacareuch, quelques habitans sont venus dans des bateaux, accompagnés de musique, nous offrir des fruits. En arrivant à Bingen, le Rhin se trouve très-resserré entre des montagnes, et roule ses flots avec une rapidité effrayante, qui n'est pas toujours sans danger (m'a-t-on dit). Le ciel, qui avait été très-pur, très-serein toute la journée, s'est couvert ce soir de nuages, et nous avons été surprises par un orage, épouvantable (ont dit les uns), très-beau, suivant les autres; car, dans ce monde, presque chaque chose prend une dénomination relative à l'impression qu'éprouve celui qui en parle. Je dirai donc qu'un très-bel orage est venu éclairer notre navigation. Joséphine, et plusieurs dames, un peu effrayées, se sont enfermées dans une petite chambre du yacht; j'ai voulu jouir d'un coup-d'œil nouveau pour moi. Les éclairs qui se succédaient rapidement laissaient voir, en arrière de notre yacht, celui qui portait les femmes et la suite de l'impératrice. Ses grandes voiles blanches, agitées par un vent violent, se détachaient sur les nuages noirs qui obscurcissaient le ciel. Le bruit des vagues et du tonnerre, qui se faisait entendre doublement dans les hautes montagnes entre lesquelles le Rhin est resserré dans cet endroit, ajoutait quelque chose de solennel à ce tableau. Peu à peu, cet orage s'est calmé, et nous sommes arrivées à Bingen, à minuit.

Mayence, le 14 septembre.

      Les bords du Rhin, de Bingen à Mayence, sont beaucoup moins pittoresques que ceux que nous avons vus hier. Le pays est plus ouvert. Nous sommes arrivées à trois heures. Nous étions attendues à onze; mais Joséphine, fatiguée, la veille, par l'orage qui avait retardé son arrivée à Bingen, ayant été malade, n'a pu partir aussitôt qu'on le croyait. D'ailleurs, les relais de chevaux qu'on avait placés sur les bords du Rhin pour remonter les yachts, ayant été mal servis, on n'a pas pu arriver plus tôt. Cette circonstance, qui paraît bien indifférente, ne l'a pas été pour Bonaparte. Le hasard a voulu que le courrier qui l'annonçait soit arrivé précisément dans l'instant où l'on commençait à apercevoir les deux yachts de l'impératrice. Toute la population de Mayence était sur le port, depuis onze heures. Des jeunes filles habillées de blanc, portant des corbeilles de fleurs, étaient placées des deux côtés d'un petit pont qu'on avait préparé pour le débarquement. Le général Lorges, commandant la division, le maire, le préfet, étaient là pour recevoir Joséphine, lorsque le courrier qui précédait l'empereur a annoncé son arrivée. Le général Lorges, suivi seulement d'un aide-de-camp, est monté à cheval pour aller le recevoir. Napoléon, en entrant à Mayence, a été surpris désagréablement, en voyant toutes les maisons fermées, pas une seule personne sur son passage, pas un seul cri de Vive l'empereur! Il a cru entrer dans un tombeau. Il était assez simple que tout le peuple qui s'était porté sur le port, depuis onze heures, n'ait pas quitté à l'instant où l'on apercevait les yachts. L'arrivée de l'impératrice, qui devait s'arrêter pour être haranguée, présentait un coup-d'œil plus agréable que la voiture dans laquelle Napoléon était enfermé. Il n'est donc pas étonnant que l'on soit resté sur le bord du Rhin. Il paraît que cette préférence a blessé vivement l'empereur. Les voitures de Joséphine arrivaient dans la cour du palais en même temps que la sienne. Napoléon, en passant devant nous, a fait un petit salut de la tête avec un air d'humeur; mais, comme cela lui arrive souvent, nous l'avons peu remarqué, et nous sommes allées, chacune dans les appartemens qui nous étaient destinés. Ce soir, l'empereur et l'impératrice ayant dîné seuls, nous attendions chez madame de La Rochefoucault l'avertissement qu'on nous donne assez ordinairement à sept heures, pour descendre dans le salon; mais sept, huit, neuf heures ont sonné, et l'on ne venait pas nous chercher. Nous plaisantions sur le long tête-à-tête de Leurs Majestés, lorsqu'on est venu nous avertir. En entrant dans le salon, nous avons été surprises de n'y trouver personne. Peu de temps après, Bonaparte est sorti de la chambre de Joséphine; il a traversé le salon en nous faisant encore son petit salut d'humeur, et il s'est retiré dans son appartement, d'où il n'est pas sorti de la soirée.

      L'impératrice ne quittant pas sa chambre, madame de La Rochefoucault y est entrée; elle l'a trouvée pleurant amèrement. Napoléon lui avait fait une scène affreuse qui s'était prolongée jusqu'à ce moment. C'était sa faute si les chevaux avaient eu peine à remonter le Rhin; c'était sa faute si elle était partie aussi tard de Bingen; dans son injuste colère, je ne sais s'il ne lui a point fait un tort de l'orage qui avait causé son incommodité. Tout, selon lui, avait été arrangé et préparé par elle pour arriver à la même heure que lui. Il lui a reproché d'aimer à capter les suffrages; enfin, il lui a fait la scène la plus violente, la plus déraisonnable qu'on puisse imaginer, et sûrement la moins méritée. Ah! ce vieux adage qui dit qu'il n'y a point de héros pour les valets de chambre, est plus vrai qu'on ne pense. Nous voyons celui-ci de moins près que ne le voit son valet de chambre, et cependant que de petitesses nous découvrons chaque jour en lui39!

Mayence, le 16 septembre.

      Ce matin devaient avoir lieu les présentations des princes de Bade, et celle de l'électeur archi-chancelier40.

      Après la présentation, ces princes devaient demander la permission à l'impératrice de lui nommer une partie des officiers de leur maison, et un neveu de l'archi-chancelier.

      En recevant les instructions de Napoléon sur l'étiquette de cette présentation, Joséphine lui a demandé quelle était celle à suivre pour son fils; car enfin il fallait bien qu'il fût nommé aux princes. Bonaparte, qui n'avait pas pensé à cela, et qui se fâche toujours quand il est pris au dépourvu sur un sujet quelconque, a répondu avec humeur que son fils ne serait pas présenté; qu'il n'en voyait pas la nécessité. Joséphine, très-bonne, très facile, très-faible même dans presque toutes les circonstances, a un courage extrême et beaucoup de fermeté pour tout ce qui concerne ses enfans. Elle a représenté à l'empereur que, pour elle et pour lui-même, il n'était pas convenable que le fils de l'impératrice fût compté pour rien; qu'elle n'avait jamais rien demandé pour elle; et elle a eu le courage d'ajouter qu'elle n'avait pas pleuré pour être princesse41; mais que, son fils devant dîner chez elle avec ces princes, il fallait bien qu'il leur fût nommé; que dans l'ancien régime, si M. de Beauharnais (quoique non présenté à la cour de France) eût voyagé en Allemagne, il eût été admis partout. Ces derniers mots ont enflammé la colère de Napoléon à un point excessif. Il lui a dit qu'elle citait toujours son impertinent ancien régime (c'est l'expression dont il s'est servi); et qu'après tout, son fils pouvait ne pas dîner ce jour-là chez elle42.

      Il est sorti après ces mots, laissant Joséphine bien peu disposée à paraître dans le salon, pour la présentation. Pendant une demi-heure qu'elle y a passé, en attendant les princes, elle n'a pas cessé d'essuyer ses yeux, qui étaient encore gonflés de larmes lorsqu'ils ont paru. Pendant qu'elle avait cette scène avec l'empereur, M. de Talleyrand, qui, par les prérogatives de sa place, devait désigner


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<p>39</p>

J'ai été quinze ans valet de chambre de l'empereur, et je nesuis point de l'avis de l'auteur du journal.

(Note de Constant.)

<p>40</p>

Depuis, grand duc de Francfort.

<p>41</p>

Faisant allusion aux sœurs de Bonaparte auxquelles on n'avait pas pensé dans le premier moment qu'on créa l'empire, et qui vinrent tourmenter leur frère le lendemain pour les titres qu'elles voulaient avoir, ce qui donna lieu à beaucoup de plaisanteries dans le public.

<p>42</p>

On voit par cette scène ridicule, combien Bonaparte était esclave de l'étiquette et de minuties misérables, puisque, dans cette circonstance, il se laissa emporter par la colère, jusqu'à dire des choses très-dures à Joséphine, pour elle et pour son fils.

Cependant il aimait le prince Eugène autant qu'il était susceptible d'aimer, et peu de temps après il leur en donna la preuve, comme chacun sait.