Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour - Louis Constant Wairy


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personne ne pouvait mieux que Sa Majesté s'acquitter de cet office, pour lequel l'empereur la préférait à tous ses lecteurs; elle lisait avec ce charme particulier qui se mêlait à toutes ses actions. Par ordre de l'empereur, on brûlait dans sa chambre, dans de petites cassolettes en vermeil, tantôt du bois d'aloès, tantôt du sucre ou du vinaigre. Presque toute l'année il fallait du feu dans tous ses appartemens; il était habituellement très-sensible au froid. Lorsqu'il voulait dormir, je rentrais prendre son flambeau et montais chez moi. Ma chambre était au dessus de l'appartement de Sa Majesté; Roustan et un valet de chambre de service couchaient dans le petit salon attenant à la chambre de l'empereur. S'il avait besoin de moi la nuit, un garçon de garde-robe, qui couchait à côté, dans l'antichambre, venait me chercher. Jour et nuit on tenait de l'eau chaude pour son bain; car souvent, à toute heure de la nuit comme de la journée, il lui prenait fantaisie d'en prendre un. M. Ivan paraissait, tous les soirs et tous les matins, au lever et au coucher de Sa Majesté.

      On sait que l'empereur faisait souvent appeler ses secrétaires et même ses ministres pendant la nuit. Pendant son séjour à Varsovie, en 1806, M. le prince de Talleyrand reçoit un jour un message à minuit passé; il arrive aussitôt et s'entretient long-temps avec l'empereur; le travail se prolonge assez avant dans la nuit, et Sa Majesté, fatiguée, finit par tomber dans un sommeil profond; le prince de Bénévent, qui aurait craint, en sortant, soit de réveiller l'empereur, soit d'être rappelé pour continuer la conversation, jette les yeux autour de lui, aperçoit un canapé commode, s'y étend et s'endort. M. Menneval, secrétaire de Sa Majesté, ne voulait se coucher qu'après la sortie du ministre, l'empereur pouvant avoir besoin de lui dès que M. de Talleyrand se serait retiré; aussi s'impatientait-il beaucoup d'une si longue audience. De mon côté, je n'étais pas de meilleure humeur, dans l'impossibilité où je me trouvais de me livrer au sommeil, avant d'avoir ôté le flambeau de nuit de Sa Majesté. M. Menneval vint dix fois me demander si M. le prince de Talleyrand était sorti. «Il est encore là, lui dis-je, j'en suis sûr, et pourtant je n'entends rien.» Enfin je le priai de se tenir dans la pièce où j'étais, et sur laquelle s'ouvrait la porte d'entrée, tandis que j'irais me mettre en sentinelle dans un cabinet de dégagement sur lequel la chambre de l'empereur avait une autre sortie; et il fut convenu que celui des deux qui verrait sortir le prince avertirait l'autre. Deux heures sonnent, puis trois, puis quatre; personne ne paraît; pas le moindre mouvement dans la chambre de Sa Majesté. Perdant patience à la fin, j'entr'ouvre la porte le plus doucement possible; mais l'empereur, dont le sommeil était fort léger, s'éveille en sursaut et demande d'une voix forte: «Qui est là? qui va là? qu'est-ce?» Je répondis que, pensant que M. le prince de Bénévent était sorti, je venais chercher le flambeau de Sa Majesté. «Talleyrand! Talleyrand! s'écrie vivement Sa Majesté; où donc est-il? et le voyant s'éveiller: Eh bien, je crois qu'il s'est endormi! Comment, coquin, vous dormez chez moi! ah! ah!» Je sortis sans emporter la lumière, ils se remirent à causer, et M. Menneval et moi nous attendîmes la fin du tête-à-tête jusqu'à cinq heures du matin.

      L'empereur avait eu l'habitude de prendre, en travaillant ainsi la nuit, du café à la crême ou du chocolat; mais il y avait renoncé, et sous l'empire il ne prenait plus rien, sinon de temps en temps, mais très-rarement, soit du punch doux et léger comme de la limonade, soit, comme à son lever, une infusion de feuilles d'oranger ou de thé.

      L'empereur qui dota si magnifiquement la plupart de ses généraux, qui se montra si libéral pour ses armées, et à qui, d'un autre côté, la France doit tant et de si beaux monumens, était peu généreux, et il faut le dire, un peu avare dans son intérieur. Peut-être ressemblait-il à ces riches vaniteux qui économisent de très près dans leur famille, pour briller davantage au dehors. Il faisait très-peu, pour ne pas dire point de cadeaux à sa maison. Le jour de l'an même se passait pour lui sans bourse délier; quand je le déshabillais la veille de ce jour-là: «Eh bien, monsieur Constant, me disait-il en me pinçant l'oreille, que me donnerez-vous pour mes étrennes?» La première fois qu'il me fit cette question, je lui répondis que je lui donnerais ce qu'il voudrait, mais j'avoue que j'espérais bien que, le lendemain, ce ne serait pas moi qui donnerais des étrennes. Il paraît que l'idée ne lui en vint pas, car personne n'eut à le remercier de ses dons, et depuis, il ne se départit jamais de cette règle d'économie domestique. À propos de ce pincement d'oreilles, sur lequel je suis revenu tant de fois, parce que Sa Majesté y revenait très-souvent, il faut que je dise, pendant que j'y pense et pour en finir, que l'on se tromperait beaucoup de croire qu'il se contentât de toucher légèrement la partie en butte à ses marques de faveur; il serrait au contraire très-rudement, et j'ai remarqué qu'il serrait d'autant plus fort qu'il était de meilleure humeur. Quelquefois, au moment où j'entrais dans sa chambre pour l'habiller, il accourait sur moi comme un furieux, et en me saluant de son bonjour favori: Eh bien, monsieur le drôle? il me pinçait les deux oreilles à la fois, de façon à me faire crier; il n'était même pas rare qu'il ajoutât à ces douces caresses une ou deux tapes assez bien appliquées; j'étais sûr alors de le trouver tout le reste de la journée d'une humeur charmante, et plein de bienveillance comme je l'ai vu si souvent. Roustan, et même le maréchal Berthier, prince de Neufchâtel, recevaient leur bonne part de ces tendresses impériales; souvent je leur en ai vu les joues tout enluminées et les yeux presque pleurans.

      CHAPITRE III

      Somme fixée par l'empereur pour sa toilette.—Les budgets écourtés.—La place de 1,000 écus et le revenu d'une commune.—Quand j'étais sous-lieutenant.–Idée fixe de l'empereur en matière d'économies.—Les fournisseurs et les agens comptables.—La voiture de Constant supprimée par le grand-écuyer et rendue par l'empereur.—L'empereur jetant au feu les livres qui lui déplaisaient.—L'Allemagne de madame la baronne de Staël.—L'empereur surveillant les lectures des gens de sa maison.—Comment l'empereur montait à cheval.—Éducation de ses chevaux.—M. Jardin, écuyer de l'empereur.—Chevaux favoris de l'empereur.—Le cheval du mont Saint-Bernard et de Marengo admis à la pension de retraite.—Intelligence et fierté d'un cheval arabe de l'empereur.—L'équitation et la voltige enseignées aux pages de l'empereur.—L'empereur à la chasse.—Le cerf sauvé par Joséphine.—Mauvaise humeur et dureté d'une dame d'honneur de l'impératrice.—L'empereur a-t-il jamais été blessé à la chasse?—Napoléon mauvais tireur.—La chasse aux faucons.—Fauconnerie envoyée par le roi de Hollande.—Goût de l'empereur pour le spectacle.—Les prédilections.—Le grand Corneille et Cinna.—La Mort de César.—Représentations sur le théâtre de Saint-Cloud.—MM. Baptiste cadet et Michaut.—Les Vénitiens de M. Arnault père.—Conversations littéraires de l'empereur, très-profitables pour Constant.—Usage du tabac.—Erreurs populaires.—Tabatières de l'empereur.—Les gazelles de Saint-Cloud.—La pipe de l'ambassadeur persan.—L'empereur mal habile à fumer.—Constant lui donne une première et unique leçon de pipe.—Maladresse et dégoût de l'empereur.—Opinion sur les fumeurs.—Vêtemens de l'empereur.—La redingote grise.—Aversion de l'empereur pour les changemens de mode.—Supercherie de Constant pour amener l'empereur à les suivre.—Élégance du roi de Naples.—Discussion sur la toilette entre l'empereur et Murat.—Calembourg royal.—Velléité d'élégance.—Le tailleur Léger.—Napoléon et le bourgeois gentilhomme.—L'habit habillé et la cravate noire.—Vestes et culottes de l'empereur.—Habitude d'écolier.—Les taches d'encre.—Bas et souliers de l'empereur.—Autre habitude.—Boucles de l'empereur.—Napoléon ayant le même cordonnier à l'École-Militaire et sous l'empire.—Le cordonnier mandé dans la chambre de l'empereur.—Embarras et naïveté.—Linge et marque de l'empereur.—La flanelle d'Angleterre.—L'impératrice Joséphine et les gilets de cachemire.—Mensonge de la cuirasse.—Bonbonnière de l'empereur.—Décorations de l'empereur.—L'épée d'Austerlitz.—Sabres de l'empereur.—Voyages de l'empereur.—Pourquoi l'empereur n'annonçait pas d'avance le moment de son départ, ni le terme de son voyage.—Ordres dans les dépenses faites en route.—Présens, gratifications et bienfaits.—Questions faites aux curés.—Les ecclésiastiques décorés de l'étoile de la Légion-d'Honneur.—Aversion de l'empereur pour les réponses embarrassées.—Le service en voyage.—Anecdotes.—Le capitaine par méprise. Passe-droit fait à un vétéran.—Réponse militaire.—Réparation.

      La


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