Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour - Louis Constant Wairy


Скачать книгу
paresseuses.

      Madame Bonaparte n'était que depuis peu de temps à Plombières, lorsqu'un matin, étant dans son salon, occupée à ourler des madras, et causant avec les dames de la société, madame de Cambis, qui était sur le balcon, l'appela pour lui faire voir un joli petit chien qui passait dans la rue. Toute la société courut au balcon sur les pas de madame Bonaparte, et alors le balcon s'écroula avec un épouvantable fracas. Heureusement, et l'on peut dire par un grand hasard, personne ne fut tué; mais madame de Cambis eut la cuisse cassée; madame Bonaparte fut cruellement meurtrie, sans avoir, à la vérité, éprouvé aucune fracture. M. Charvet, qui était dans une pièce au dessus du salon, accourut au bruit, et fit immédiatement tuer un mouton qu'on dépouilla, et dans la peau duquel on enveloppa madame Bonaparte. Elle fut long-temps à se rétablir. Ses bras et ses mains surtout étaient tellement contusionnés, qu'elle fut pendant quelque temps sans pouvoir en faire aucun usage, de sorte qu'il fallait couper ses alimens, la faire manger, et lui rendre enfin tous les services que l'on rend ordinairement à un enfant.

      On vient de voir tout à l'heure que Joséphine croyait aller rejoindre son mari en Égypte, ce qui donnait lieu de penser que son séjour aux eaux de Plombières ne serait pas long; mais son accident lui fit juger qu'il se prolongerait indéfiniment, et elle désira, pendant qu'elle achèverait de se rétablir, avoir auprès d'elle sa fille Hortense, alors âgée de quinze ans, et qui était élevée dans le pensionnat de madame Campan. Elle l'envoya chercher par une mulâtre qu'elle aimait beaucoup; elle s'appelait Euphémie, était la sœur de lait de madame Bonaparte, et passait même, sans que je sache si cette présomption était fondée, pour être sa sœur naturelle. Euphémie partit avec M. Charvet, dans une des voitures de madame Bonaparte. Mademoiselle Hortense les voyant arriver, fut enchantée du voyage qu'elle allait faire, et surtout de l'idée de se rapprocher de sa mère, pour laquelle elle avait la plus vive tendresse. Mademoiselle Hortense était, je ne dirai pas gourmande, mais friande à l'excès; aussi M. Charvet, en me racontant ces particularités, me dit-il que dans chaque ville un peu considérable où ils passaient, on remplissait la voiture de bonbons et de friandises, dont mademoiselle Hortense faisait une très-grande consommation. Un jour qu'Euphémie et M. Charvet s'étaient profondément endormis, tout à coup ils furent réveillés par une détonation qui leur parut terrible, et qui ne les laissa pas sans une vive inquiétude, voyant à leur réveil qu'ils traversaient une épaisse forêt. Cet accident fortuit fit rire aux éclats Hortense, car ils avaient à peine manifesté leur frayeur, qu'ils se virent inondés d'une mousse odorante, qui leur expliqua d'où venait la détonation: c'était celle d'une bouteille de vin de Champagne placée dans une des poches de la voiture, et que la chaleur jointe au mouvement, ou plutôt la malice de la jeune voyageuse, avait fait déboucher avec bruit. Quand mademoiselle Hortense arriva à Plombières, sa mère était à peu près rétablie, de sorte que l'élève de madame Campan y trouva toutes les distractions qui plaisent et conviennent à l'âge qu'avait alors la fille de madame Bonaparte.

      On a raison de dire qu'à quelque chose malheur est bon, car, sans l'accident arrivé à madame Bonaparte, il est dans les choses probables qu'elle serait devenue prisonnière des Anglais; elle apprit en effet que la Pomone, bâtiment sur lequel on a vu qu'elle voulait faire la traversée, était tombée au pouvoir de ces ennemis de la France. Comme d'ailleurs le général Bonaparte, dans toutes ses lettres, détournait sa femme du projet qu'elle avait de le rejoindre, elle revint à Paris.

      À son arrivée, Joséphine songea à remplir un désir que lui avait témoigné le général Bonaparte avant de partir. Il lui avait dit qu'il voudrait, pour son retour, avoir une maison de campagne, et il avait même chargé son frère Joseph de s'en occuper de son côté, ce que M. Joseph ne fit pas. Madame Bonaparte, qui, au contraire, était toujours en recherche de ce qui pouvait plaire à son mari, chargea plusieurs personnes de faire des courses dans les environs de Paris pour y découvrir une habitation qui pût lui convenir. Après avoir hésité long-temps entre Ris et la Malmaison, elle se décida pour cette dernière, qu'elle acheta de M. Lecoulteux-Dumoley, moyennant, je crois, une somme de quatre cent mille francs.

      Tels étaient les récits que M. Charvet avait l'obligeance de me faire pendant les premiers temps où je fus attaché au service de madame Bonaparte; tout le monde dans la maison aimait à parler d'elle, et ce n'était sûrement pas pour en médire, car jamais femme n'a été plus aimée de tous ceux qui l'entouraient, et n'a mieux mérité de l'être. Le général Bonaparte était aussi un homme excellent dans l'intérieur de la vie privée.

      Depuis le retour du premier consul de sa campagne d'Égypte, plusieurs tentatives avaient été faites contre ses jours. La police l'avait fait mainte fois avertir de se tenir sur ses gardes, et de ne point s'aventurer seul dans les environs de la Malmaison. Le premier consul était peu défiant, surtout avant cette époque. Mais la découverte des piéges qui lui étaient tendus jusque dans son plus secret intérieur, le forcèrent à user de précaution et de prudence. On a dit depuis que ces prétendus complots n'étaient que des fabrications de la police pour se rendre nécessaire au premier consul, ou (qui sait?) du premier consul lui-même pour redoubler l'intérêt qui s'attachait à sa personne, par la crainte des périls qui menaçaient sa vie; et pour preuve de la fausseté de ces tentatives, on a allégué leur absurdité. Je ne saurais prétendre à sonder de pareils mystères; mais il me semble qu'en la matière dont il s'agit, l'absurdité ne prouve rien, ou du moins ne prouve pas la fausseté. Les conspirateurs de cette époque ont donné leur mesure en fait d'extravagance. Quoi de plus absurde, et pourtant de plus réel, que l'atroce folie de la machine infernale? Quoi qu'il en soit, je vais raconter ce qui se passa sous mes yeux dans les premiers mois de mon séjour à la Malmaison. Personne n'avait dans la maison, ou du moins personne ne manifesta devant moi le moindre doute sur la réalité de ces attentats.

      Pour se défaire du premier consul, tous les moyens paraissaient bons à ses ennemis. Ils faisaient tout entrer dans leurs calculs, et jusqu'à ses distractions. Le fait suivant en est la preuve.

      Il y avait des réparations et des embellissemens à faire aux cheminées des appartenons du premier consul, à la Malmaison. L'entrepreneur chargé de ces travaux avait envoyé des marbriers, parmi lesquels, selon toute apparence, s'étaient glissés quelques misérables gagnés par les conspirateurs. Les personnes attachées au premier consul étaient sans cesse sur le qui-vive, et exerçaient la plus grande surveillance. On crut s'être aperçu que, dans le nombre de ces ouvriers, il se trouvait des hommes qui feignaient de travailler, mais dont l'air et la tournure contrastaient avec leur genre d'occupation. Les soupçons n'étaient malheureusement que trop fondés, car les appartenons étant prêts à recevoir le premier consul, et au moment où il venait les occuper, on trouva, en y faisant une tournée, sur le bureau auquel il allait s'asseoir, une tabatière en tout semblable à une de celles que le premier consul portait habituellement. On s'imagina d'abord que cette boîte lui appartenait bien en effet, et qu'elle avait été oubliée là par son valet de chambre; mais les doutes inspirés par la tournure équivoque de quelques-uns des marbriers, ayant pris plus de consistance, on fit examiner et décomposer le tabac. Il était empoisonné.

      Les auteurs de cette perfidie avaient, dit-on, dans ce temps, des intelligences avec d'autres conspirateurs, qui devaient essayer d'un autre moyen pour se débarrasser du premier consul. Ils voulaient assaillir la garde du château (la Malmaison) et enlever de force le chef du gouvernement. Dans ce dessein ils avaient fait faire des uniformes semblables à ceux des guides consulaires, qui alors faisaient jour et nuit le service auprès du premier consul, et le suivaient à cheval dans ses excursions. Sous ce costume, et à l'aide de leurs intelligences avec leurs complices de l'intérieur (les prétendus ouvriers en marbre), ils auraient pu facilement s'approcher et se mêler avec la garde, qui était logée et nourrie au château; ils auraient pu même parvenir jusqu'au premier consul, et l'enlever. Cependant ce premier projet fut abandonné comme trop chanceux, et les conspirateurs se flattèrent de parvenir plus sûrement et avec moins de péril à leurs fins, en profitant des fréquens voyages du premier consul à Paris. Avec le secours de leur travestissement, ils devaient, sur la route, se mêler aux guides de l'escorte et les massacrer. Leur point de ralliement était aux carrières de Nanterre. Leur complot fut, pour la seconde fois, éventé. Il y avait dans le parc de la Malmaison une carrière assez profonde; on craignit qu'ils n'en profitassent


Скачать книгу