Comment on construit une maison. Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Comment on construit une maison - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc


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le mur G H parfaitement sec. Vous comprenez, n’est-ce pas?…

      Fig. 6

      «Mais si vous fondez en plein dans l’argile, faut-il prendre des précautions autrement sérieuses; car, ainsi que je vous le disais tout à l’heure, il peut se faire que le banc d’argile tout entier vienne à glisser.

      «Les bancs d’argile glissent, surtout lorsqu’en coupe22 ils présentent la section que je trace ainsi (fig. 7): soit A un banc de roche, B un banc d’argile. Les eaux pluviales qui tombent en amont, de D en C, passeront en C sous ce banc d’argile; et, si les pluies sont persistantes, elles formeront de C en E une couche molle, grasse, savonneuse, de telle sorte que le banc d’argile C B E glissera sur cette couche par son propre poids, mais surtout si, en G, on l’a chargé d’une construction.

      Fig. 7

      «Comment parer à ce danger? 1º en recueillant les eaux en C dans un égout ou une pierrée, de telle sorte qu’elles ne puissent passer sous le banc d’argile si celui-ci est très épais; 2º s’il n’a qu’une épaisseur de quelques mètres, en descendant le mur de fondation H jusqu’au roc ou gravier, et en faisant en I un égout collecteur, comme il vient d’être dit tout à l’heure. Alors le triangle d’argile C I K ne pourra glisser, retenu par le mur bien assis et chargé. La partie argileuse en aval, n’étant pas mouillée par dessous, ne glissera pas. Mais faut-il que ce mur H et son égout I soient assez épais pour résister à la charge du triangle C I K.

      «Vous sentez donc combien il est important de se rendre compte des terrains sur lesquels on opère; et combien il est essentiel qu’un architecte possède quelques connaissances en géologie. Rappelez-vous bien ceci, car les architectes de la génération qui nous précède dédaignent ces études et s’en rapportent à leurs entrepreneurs en bien des cas.

      «Nous parlerons aussi des terrains vaseux, plats, pénétrés d’eau et que l’on ne peut fouiller parce qu’ils n’ont guère que la consistance d’une boue compacte et dans lesquels plus on creuse, moins on rencontre de résistance. Quand ces terrains ne sont pas tourbiers, qu’ils ne contiennent guère de détritus de végétaux, qu’ils sont toujours pénétrés de la même quantité d’eau, on peut fonder dessus, car l’eau n’est pas compressible. Votre construction est alors comme un bateau: toute la question consiste à empêcher l’eau de s’échapper, de fuir sous le poids de la bâtisse comme elle fuit sous le poids d’un bateau. Quand vous vous plongez dans une baignoire à moitié pleine, l’eau remonte le long des bords d’une quantité égale au volume de votre corps. Mais supposez qu’une planche, découpant exactement le contour de votre corps, empêche l’eau de remonter autour de vous, vous ne pourrez entrer dans l’eau et cette eau vous portera sur sa surface. Eh bien, quand on doit bâtir sur un sol boueux, le problème consiste à empêcher cette boue de remonter autour de la maison à mesure qu’elle s’enfoncerait. Il faut encore un tracé pour vous expliquer les moyens propres à obtenir, en ce cas particulier, un bon résultat (fig. 8).

      «Nous avons creusé dans un sol de remblais A, c’est-à-dire sur lequel on ne saurait bâtir avec sécurité. En B, nous atteignons le sol vierge; mais ce sol est très humide, c’est une ancienne vase pénétrée d’eau et dans laquelle on enfonce en marchant. Plus nous enlevons de cette vase et plus nous la trouvons molle. Une sonde enfoncée à deux ou trois mètres donne toujours le même fond, et les trous que l’on fait se remplissent d’eau immédiatement. Des pilotis battus s’enfoncent jusqu’à la tête. Or, vous pensez bien que, pour élever une construction ordinaire, on ne peut dépenser en fondations le double de ce que coûterait la bâtisse elle-même. Il faut donc aviser… Alors nous ferons, pour recevoir les murs qui forment le périmètre de la maison, une tranchée de 0m,50 à 0m,60c de profondeur environ, ainsi que je le trace en E; puis, dans ces tranchées et sur toute la surface de la construction, nous coulerons du béton ayant une épaisseur de 0m,60 à 0m,80c entre les tranchées, comme je le trace en F. Nous aurons fait ainsi comme un couvercle d’une matière homogène qui empêchera la vase G H, comprise sous ces bords, de remonter. Le poids du remblai A se chargera de comprimer le reste. Ainsi pourrez-vous, sur ce plateau, élever vos constructions en toute sécurité.

      «Vous me demanderez peut-être ce que c’est que du béton et comment on le fait? Vous apprendrez cela plus tard.»

      Fig. 8.

      Tout en causant et faisant des croquis, Paul et le grand cousin étaient arrivés sur les rampes du coteau où devait s’élever la maison.

      «La situation est bonne, dit le cousin. Nous avons un excellent sol calcaire d’où nous pourrons même tirer de la pierre ou du moellon propre à bâtir. Voilà, sur les basses rampes, des argiles sablonneuses assez nettes, avec lesquelles nous ferons de la brique. Voilà la source d’eau vive qui vient du bois et qui sort de dessous le dernier des bancs calcaires; nous pourrons facilement la capter, l’amener le long de la maison où elle sera doublement utile, car elle nous donnera de l’eau pour les besoins des habitants et entraînera, dans un égout, toutes les eaux ménagères et les immondices que nous enverrons se perdre dans cette ancienne excavation que je vois sur notre gauche.

      «Toutefois nous devrons procéder après examen, car il me semble que ces bancs ont été déjà exploités sur quelques points. Nous pourrions bien rencontrer de ces excavations de carrières faites sans soin, comme cela n’arrive que trop souvent dans les campagnes.

      –Comment, dit Paul, reconnaît-on la pierre bonne à bâtir?

      –Cela n’est pas toujours aisé, et il en est de ces connaissances comme de beaucoup d’autres: l’expérience doit confirmer la théorie. Parmi les pierres calcaires, lesquelles comprennent généralement, avec certains grès, les matériaux que l’on peut facilement exploiter et tailler, les unes sont dures, d’autres tendres; mais les plus dures ne sont pas toujours celles qui résistent le mieux à l’action du temps. Beaucoup de calcaires contiennent de l’argile, et, celle-ci retenant l’eau, lorsque surviennent les gelées ces parties argileuses gonflent et font éclater les blocs dont la pâte est composée de carbonate de chaux et aussi de silice en plus ou moins grande quantité. Les calcaires purgés d’argile sont ceux qui résistent le mieux à l’humidité et qui ne craignent pas la gelée. Quand, comme ici, on peut voir les bancs dépouillés par une érosion, il est facile de reconnaître ceux qui sont bons de ceux qui sont défectueux. Ainsi remarquez ce gros bloc noirâtre dont la tranche unie et nue depuis des siècles s’est couverte de lichens; il est d’une excellente qualité, car les lichens ne viennent que très lentement; donc pour qu’ils aient pu s’attacher à cette pierre et lui donner cette apparence grise mouchetée, il a fallu que le calcaire ait résisté aux actions décomposantes de l’atmosphère. Au-dessus, voyez ce banc d’un blanc presque pur et qui paraît si sain. Eh bien, il n’a cette belle apparence que parce que, à chaque gelée, il a laissé tomber sa peau, que sa surface s’est décomposée. Allez toucher ce roc, vous verrez qu’il vous restera aux mains une poussière blanche… C’est ainsi, n’est-ce pas? Dès lors la qualité de ce bloc est mauvaise, et vous voyez en effet, qu’au-dessous, l’herbe est jonchée de petites exfoliations de calcaires, tandis que le gazon, sous le bloc gris, est pur de toute poussière. Il est donc très utile à un architecte, quand il veut bâtir, d’aller voir les carrières et comment les bancs qui les composent se comportent à l’air libre; or, entre nous, c’est ce que nos confrères ne font guère.»

Deuxième leçon

      La méthode adoptée par le grand cousin, pour donner à M. Paul les premières notions sur la construction, plaisait fort à celui-ci. La veille il avait assez bien transcrit, dans la journée, tout ce que le maître avait pris soin de lui expliquer sur le terrain. Il avait même ajouté assez adroitement des figures à son texte; les corrections avaient été faites rapidement après dîner. Mais ce jour-là, une pluie serrée ne permettait guère de


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<p>22</p>

Coupe. Section d’un ensemble ou d’un détail d’architecture.