Leçons d'histoire. Constantin-François Volney

Leçons d'histoire - Constantin-François Volney


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encore subsistants et connus, ce qui constitue la possibilité; 2º sous le rapport de leurs narrateurs et de leurs témoins scrutés dans leurs facultés morales, dans leurs moyens d'instruction, d'information, dans leur impartialité, ce qui constitue la probabilité morale; et cette opération est le jugement compliqué d'une double réfraction, qui, par la mobilité des objets, rend le prononcé très-délicat et susceptible de beaucoup d'erreurs.

      Appliquant ces observations aux principaux historiens anciens et modernes, nous nous proposons, dans le cours de ces leçons, d'examiner quel caractère présente l'histoire chez différents peuples; quel caractère surtout elle a pris en Europe depuis environ un siècle. Nous ferons sentir la différence remarquable qui se trouve dans le génie historique d'une même nation, selon les progrès de sa civilisation, selon la gradation de ses connaissances exactes et physiques; et de ces recherches sortiront plusieurs questions importantes.

      1º Quel degré de certitude, quel degré de confiance doit-on attacher aux récits de l'histoire en général, ou dans certains cas particuliers?

      2º Quelle importance doit-on attribuer aux faits historiques, et quels avantages ou quels inconvénients résultent de l'opinion de cette importance?

      3º Quelle utilité sociale et pratique doit-on se proposer, soit dans l'enseignement, soit dans l'étude de l'histoire?

      Pour développer les moyens de remplir ce but d'utilité, nous rechercherons dans quel degré de l'instruction publique doit être placée l'étude de l'histoire; si cette étude convient aux écoles primaires, et qu'elles parties de l'histoire peuvent convenir selon l'âge et l'état des citoyens.

      Nous considérerons quels hommes doivent se livrer et quels hommes l'on doit appeler à l'enseignement de l'histoire; quelle méthode paraît préférable pour cet enseignement; dans quelles sources l'on doit puiser la connaissance de l'histoire, ou en rechercher les matériaux; avec quelles précautions, avec quels moyens on doit l'écrire; quelles sont les diverses manières de l'écrire, selon ses sujets; quelles sont les diverses distributions de ces sujets; enfin quelle est l'influence que les historiens exercent sur le jugement de la postérité, sur les opérations des gouvernements, sur le sort des peuples.

      Après avoir envisagé l'histoire comme narration de faits, envisageant les faits eux-mêmes comme un cours d'expériences involontaires, que le genre humain subit lui-même, nous essaierons de tracer un tableau sommaire de l'histoire générale, pour en recueillir les vérités les plus intéressantes. Nous suivrons chez les peuples les plus célèbres la marche et les progrès;

      1º Des arts, tels que l'agriculture, le commerce, la navigation;

      2º De diverses sciences, telles que l'astronomie, la géographie, la physique;

      3º De la morale privée et publique; et nous examinerons quelles idées l'on s'en est faites à diverses époques;

      4º Enfin, nous observerons la marche et les progrès de la législation; nous considérerons la naissance des codes civils et religieux les plus remarquables; nous rechercherons quel ordre de transmission ces codes ont suivi de peuple à peuple, de génération à génération; quels effets ils ont produits dans les habitudes, dans les mœurs, dans le caractère des nations; quelle analogie les mœurs et le caractère des nations observent avec leur climat et avec l'état physique du sol qu'elles habitent; quels changements produisent dans ces mœurs les mélanges des races et les transmigrations; et jetant un coup d'œil général sur l'état actuel du globe, nous terminerons par proposer l'examen de ces deux questions:

      1º A quel degré de sa civilisation peut-on estimer que soit arrivé le genre humain?

      2º Quelles indications générales résultent de l'histoire, pour le perfectionnement de la civilisation, et pour l'amélioration du sort de l'espèce?

      SECONDE SÉANCE

      Le sens littéral du mot histoire est recherche, enquête (de faits).—Modestie des historiens anciens.—Témérité des historiens modernes. L'historien qui écrit sur témoignages, prend le rôle de juge, et reste témoin intermédiaire pour ses lecteurs.—Extrême difficulté de constater l'état précis d'un fait; de la part du spectateur, difficulté de le bien voir; de la part du narrateur, difficulté de le bien, peindre.—Nombreuses causes d'erreur provenant d'illusion, de préoccupation, de négligence, d'oubli, de partialité, etc.

      NOUS venons de mesurer d'un coup d'œil rapide la carrière que nous avons à parcourir; elle est belle sans doute par son étendue, par son but; mais il ne faut pas nous dissimuler qu'elle ne soit en même temps difficile. Cette difficulté consiste en trois points principaux:

      1º La nouveauté du sujet; car ce sera une manière neuve de traiter l'histoire, que de ne plus la borner à un ou à quelques peuples, sur qui l'on accumule tout l'intérêt pour en déshériter les autres, sans que l'on puisse rendre d'autre raison de cette conduite, que de ne les avoir pas étudiés ou connus.

      2º La complication qui naît naturellement de l'étendue même et de la grandeur du sujet qui embrasse tant de faits et d'événements; qui considère le genre humain entier comme une seule société, les peuples comme des individus, et qui, retraçant la vie de ces individus et de ces sociétés, y cherche des faits nombreux et répétés, dont les résultats constituent ce qu'on appelle des principes, des règles: car en choses morales, les principes ne sont pas des critères fixes et abstraits, existants indépendamment de l'humanité, les principes sont des faits sommaires et généraux, résultant de l'addition des faits particuliers, et devenant par-là, non pas des règles tyranniques de conduite, mais des bases de calculs approximatifs de vraisemblance et de probabilités4.

      3º Enfin la nature même du sujet; car ainsi que nous l'avons dit dans le programme, les faits historiques ne pouvant pas se représenter aux sens, mais seulement à la mémoire, ils n'entraînent pas avec eux cette conviction qui ne permet pas de réplique; ils laissent toujours un retranchement d'incertitude à l'opinion et au sens intime, et toutes les fois que l'on vient au sens intime et à l'opinion, l'on touche à des cordes délicates et dangereuses, parce qu'à leur résonnance, l'amour-propre est prompt à s'armer. A cet égard, nous observerons les règles de sagesse que prescrit l'égalité prise dans son vrai sens, celui de la justice; car, lorsque nous n'adopterons pas, ou que même nous serons obligés de rejeter les opinions d'autrui, nous rappelant qu'il a un droit égal de les défendre, et qu'il n'a dû, comme nous, les adopter que par persuasion, nous porterons à ses opinions le respect et la tolérance que nous avons le droit d'exiger pour les nôtres.

      Dans les autres sciences qui se traitent en cet amphithéâtre, la route est tracée, soit par l'ordre naturel des faits, soit par les méthodes savantes des auteurs. Dans l'histoire telle que nous l'envisageons, la route est neuve et sans modèle. Nous avons bien quelques livres avec le titre d'Histoires universelles. Mais outre le reproche d'un style déclamatoire de collége que l'on peut faire aux plus vantées, elles ont encore le vice de n'être que des histoires partielles de peuplades, des panégyriques de familles. Nos classiques d'Europe n'ont voulu nous parler que de Grecs, que de Romains, que de Juifs; parce que nous sommes, sinon les descendants, du moins les héritiers de ces peuples pour les lois civiles et religieuses, pour le langage, pour les sciences, pour le territoire; en sorte qu'il ne me semble pas que l'histoire ait encore été traitée avec cette universalité qu'elle comporte, surtout quand une nation comme la nôtre s'est élevée à un assez haut degré de connaissances et de philosophie, pour se dépouiller de cet égoïsme sauvage et féroce, qui, chez les anciens, concentrant l'univers dans une cité, dans une peuplade, y consacra la haine de toutes les autres sous le nom d'amour de la patrie, au lieu de jeter sur elles un regard de fraternité, lequel, sans détruire une juste défense de soi-même, laisse cependant subsister tous les sentiments de famille et de parenté.

      Les difficultés dont nous venons de parler nous rendant l'ordre et la méthode infiniment nécessaires, ce sera pour nous un motif d'en tenir soigneusement le fil dans un si vaste sujet. Pour assurer notre premier pas, examinons ce que l'on doit entendre par ce mot histoire: car les mots étant les signes


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Par exemple, analysez le principe fondamental des mouvements actuels de l'Europe: Tous les hommes naissent égaux en droits; qu'est-ce que cette maxime, sinon le fait collectif et sommaire déduit d'une multitude de faits particuliers, d'après lesquels, ayant examiné et compare un à un la totalité, ou du moins une immense multitude d'individus, et les ayant trouvés munis d'organes et de facultés semblables, l'on en a conclu, comme dans une addition, le fait total, qu'ils naissent tous égaux en droits..... Reste à bien définir qu'est-ce qu'un droit; et cette définition est plus épineuse qu'on ne le pense généralement.