Le fauteuil hanté. Гастон Леру
mourrais! fit Hippolyte Patard, simplement.
Et il l'eût fait comme il le disait.
Pendant ce temps, le grand Loustalot se barbouillait tranquillement le nez d'une encre noire qu'il était allé, du bout du doigt, puiser dans son encrier, croyant plonger dans sa tabatière.
Tout à coup, la porte s'ouvrit avec fracas: Barbentane entra, Barbentane, l'auteur de l'Histoire de la maison de Condé, le vieux camelot du roi.
–Savez-vous comment il s'appelle? s'écria-t-il.
–Qui donc? demanda M. le secrétaire perpétuel qui, dans le triste état d'esprit où il se trouvait, redoutait à chaque instant un nouveau malheur.
–Bien, lui! votre Eliphas!
–Comment! notre Eliphas!
–Enfin, leur Eliphas!… Eh bien, M. Eliphas de Saint Elme de Taillebourg de La Nox s'appelle Borigo, comme tout le monde! M. Borigo!
D'autres académiciens venaient d'entrer. Ils parlaient tous avec la plus grande animation.
–Oui! Oui! répétaient-ils, M. Borigo! La belle Mme de Bithynie se faisait raconter la bonne aventure par M. Borigo!… Ce sont les journalistes qui le disent!
–Les journalistes sont donc là! s'exclama M. le secrétaire perpétuel.
–Comment! s'ils sont là? Mais ils remplissent la cour. Ils savent que nous nous réunissons et ils prétendent que Martin Latouche ne se présente plus.
M. Patard pâlit. Il osa dire, dans un souffle:
–Je n'ai reçu aucune communication à cet égard…
Tous l'interrogeaient, anxieux. Il les rassurait sans conviction.
–C'est encore une invention des journalistes. Je connais Martin Latouche… Martin Latouche n'est pas homme à se laisser intimider… Du reste, nous allons tout de suite procéder à son élection…
Il fut interrompu par l'arrivée brutale de l'un des deux parrains de Maxime d'Aulnay, M. le comte de Bray.
–Savez-vous ce qu'il vendait, votre Borigo? demanda-t-il.
Il vendait de l'huile d'olive!… Et comme il est né au bord de la Provence, dans la vallée du Careï, il s'est d'abord fait appeler Jean Borigo du Careï…
A ce moment la porte s'ouvrit à nouveau et M. Raymond de La Beyssière, le vieil égyptologue qui avait écrit des pyramides de volumes sur la première pyramide elle-même, entra.
–C'est sous ce nom-là, Jean Borigo du Careï, que je l'ai connu! fit-il simplement.
Un silence de glace accueillit l'entrée de M. Raymond de La Beyssière. Cet homme était le seul qui avait voté pour Eliphas. L'Académie devait à cet homme la honte d'avoir accordé une voix à la candidature d'un Eliphas! Mais Raymond de La Beyssière était un vieil ami de la belle Mme de Bithynie.
M. le secrétaire perpétuel alla vers lui.
–Notre cher collègue, fit-il, pourrait-on nous dire, si, à cette époque, M. Borigo vendait de l'huile d'olive, ou des peaux d'enfant, ou des dents de loup, ou de la graisse de pendu?
Il y eut des rires. M. Raymond de La Beyssière fit celui qui ne les entendait pas. Il répondit:
–Non! A cette époque il était, en Égypte, le secrétaire de Manette-bey, l'illustre continuateur de Champollion, et il déchiffrait les textes mystérieux qui sont gravés, depuis des millénaires, à Sakkarah, sur les parois funéraires des pyramides des rois de la Ve et de la VIe dynastie, et il cherchait le secret de Toth!
Ayant dit, le vieil égyptologue se dirigea vers sa place.
Or son fauteuil était occupé par un collègue qui n'y prit point garde. M. Hippolyte Patard, qui suivait M. de La Beyssière d'un œil perfide, par-dessus ses lunettes, lui dit:
–Eh bien, mon cher collègue? vous ne vous asseyez point? Le fauteuil de Mgr d'Abbeville vous tend les bras!
M. de La Beyssière répondit sur un ton qui fit se retourner quelques Immortels.
–Non! Je ne m'assiérai point dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville!
–Et pourquoi? lui demanda avec un petit rire déplaisant
M. le secrétaire perpétuel. Pourquoi ne vous assiériez-vous point dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville? Est-ce que, par hasard, vous prendriez, vous aussi, au sérieux, toutes les balivernes que l'on raconte sur le Fauteuil hanté?
–Je ne prends au sérieux aucune baliverne, monsieur le secrétaire perpétuel, mais je ne m'y assiérai point parce que cela ne me plaît pas, c'est simple!
Le collègue qui avait pris la place de M. Raymond de La Beyssière la lui céda aussitôt et lui demanda fort convenablement et sans raillerie aucune cette fois, s'il croyait, lui, Raymond de La Beyssière, qui avait vécu longtemps en Égypte, et qui, par ses études, avait pu remonter aussi loin que tout autre jusqu'aux origines de la kabbale, s'il croyait au mauvais sort.
–Je n'aurai garde de le nier! dit-il.
Cette déclaration fit dresser l'oreille à tout le monde et comme il s'en fallait encore d'un quart d'heure que l'on procédât au scrutin, cause de la réunion, ce jour-là, de tant d'Immortels, on pria M. de La Beyssière de vouloir bien s'expliquer.
L'académicien constata, d'un coup d'œil circulaire, que personne ne souriait et que M. Patard avait perdu son petit air de facétie.
Alors, d'une voix grave, il dit:
–Nous touchons ici au mystère. Tout ce qui vous entoure et qu'on ne voit pas est mystère et la science moderne qui a, mieux que l'ancienne, pénétré ce que l'on voit, est très en retard sur l'ancienne pour ce que l'on ne voit pas. Qui a pu pénétrer l'ancienne science a pu pénétrer ce qu'on ne voit pas.
On ne voit pas le «mauvais sort», mais il existe. Qui nierait la veine ou la déveine? L'une ou l'autre s'attache aux personnes ou aux entreprises ou aux choses avec un acharnement éclatant. Aujourd'hui on parle de la veine ou de la déveine comme d'une fatalité contre laquelle il n'y a rien à faire.
L'ancienne science avait mesuré, après des centaines de siècles d'étude, cette force secrète, et il se peut—je dis il se peut—que celui qui serait remonté jusqu'à la source de cette science eût appris d'elle à diriger cette force, c'est-à-dire à jeter le bon ou le mauvais sort. Parfaitement.
Il y eut un silence. Tous se taisaient maintenant en regardant le Fauteuil.
Au bout d'un instant, M. le chancelier dit:
–Et M. Eliphas de La Nox a-t-il véritablement pénétré ce qu'on ne voit pas?
–Je le crois, répondit avec fermeté M. Raymond de La Beyssière, sans quoi je n'aurais pas voté pour lui. C'est sa science réelle de la kabbale qui le faisait digne d'entrer parmi nous.
–La kabbale, ajouta-t-il, qui semble vouloir renaître de nos jours sous le nom de Pneumatologie, est la plus ancienne des sciences et d'autant plus respectable. Il n'y a que les sots pour en rire.
Et M. Raymond de La Beyssière regarda à nouveau autour de lui. Mais personne ne riait plus.
La salle, peu à peu, s'était remplie. Quelqu'un demanda:
–Qu'est-ce que c'est que le secret de Toth?
–Toth, répondit le savant, est l'inventeur de la magie égyptiaque et son secret est celui de la vie et de la mort.
On entendit la petite flûte de M. le secrétaire perpétuel:
–Avec un secret pareil, ça doit être bien vexant de ne pas être élu à l'Académie française!
–Monsieur le secrétaire perpétuel, déclara avec solennité
M. Raymond de La Beyssière, si M. Borigo ou M. Eliphas—appelez-le comme vous voulez, cela n'a pas d'importance—si cet homme a surpris, comme il le