Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф

Les mystères d'Udolphe - Анна Радклиф


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chemin, dit Emilie, ne vaudrait-il pas mieux s'adresser à ce grand château que j'aperçois entre ces arbres.

      –Non, répliqua Voisin, ce n'est pas la peine: quand nous serons à ce ruisseau où vous voyez se réfléchir une lumière au delà des bois, nous serons à la maison. Je ne comprends pas comment j'ai fait pour m'égarer; c'est que je viens rarement ici après le coucher du soleil.

      –Ce lieu est assez solitaire, dit Emilie, mais vous n'avez pas de voleurs?—Non, mademoiselle, point de voleurs.

      –Qui est-ce donc qui vous effraye, mon cher ami? vous n'êtes pas superstitieux?—Non, je ne suis pas superstitieux; mais à vous parler vrai, mademoiselle, personne n'aime à se trouver le soir dans les environs de ce château.—Emilie comprit alors que ce château était celui dont avait déjà parlé Voisin; il avait appartenu au marquis de Villeroi, dont la mort récente avait tant affecté son père.

      Ah! dit Voisin, comme tout cela est désolé! c'était une si belle maison, un si bel endroit, comme je m'en souviens!—Emilie lui demanda pourquoi cet affreux changement!—Le vieillard se taisait.—Emilie, réveillée par l'effroi qu'il montrait, occupée surtout de l'intérêt qu'avait manifesté son père, répéta la question, et elle ajouta ensuite: Si ce ne sont pas les habitants qui vous effrayent, et si vous n'êtes pas superstitieux, comment se fait-il donc, mon cher ami, que vous n'osiez, le soir, approcher de ce château?

      –Eh bien donc, mademoiselle, peut-être suis-je un peu superstitieux; et si vous en saviez la cause, vous pourriez bien le devenir aussi. Il est arrivé là de singulières choses; monsieur votre bon père paraissait avoir connu la marquise.—Dites-moi, je vous prie, ce qui est arrivé? lui dit Emilie, fort émue.

      –Hélas! mademoiselle, répondit Voisin, ne m'en demandez pas davantage, les secrets domestiques de mon maître doivent toujours être sacrés pour moi.—Emilie, surprise de ces derniers mots, et surtout de l'air qui les accompagnait, ne se permit pas une question nouvelle. Un intérêt plus touchant, l'image de Saint-Aubert, occupait ses pensées; elle se rappela la musique de la nuit précédente, et elle en parla à Voisin.—Vous n'avez pas été la seule, lui dit-il, je l'ai entendue aussi; mais cela m'arrive si souvent à cette heure-là, que c'est à peine si j'y prends garde.

      –Vous croyez sans doute, dit vivement Emilie, que cette musique a des rapports avec le château, et voilà pourquoi vous êtes superstitieux?—Cela peut-être, mademoiselle; mais il y a d'autres circonstances relatives à ce château, et dont je conserve tristement le souvenir.—Un profond soupir suivit ces paroles, et la délicatesse d'Emilie restreignit la curiosité que ces derniers mots avaient excitée en elle.

      Quand le moment terrible fut arrivé, où les restes de Saint-Aubert devaient être séparés d'elle pour toujours, elle alla seule les contempler encore une fois. Saint-Aubert avait demandé qu'on l'enterrât dans l'église des religieuses de Sainte-Claire: il avait choisi la chapelle du nord, près de la sépulture des Villeroi, et en avait indiqué la place. Le supérieur y consentit, et la triste procession se mit en marche vers le lieu. Le vénérable père, suivi d'une troupe de religieux, la vint recevoir à la porte. Le chant de l'antienne funèbre et les accords de l'orgue qui retentit dans l'église au moment où le corps y entra; les pas chancelants, et l'air abattu d'Emilie, eussent arraché des larmes à tous les spectateurs: elle n'en versait aucune. Le visage à demi couvert d'un léger voile noir, elle marchait entre deux personnes qui la soutenaient de chaque côté; l'abbesse la précédait, les religieuses suivaient, et leurs voix plaintives se mêlaient aux accents du chœur. Quand la procession fut arrivée au tombeau, la musique cessa, Emilie baissa son voile, et dans les intervalles du chant il fut aisé d'entendre ses sanglots. Le vénérable prêtre commença le service, et Emilie parvint à se contraindre; mais quand le cercueil fut déposé, quand elle entendit jeter la terre qui devrait le couvrir, un gémissement sourd lui échappa, et elle tomba sur la personne qui la soutenait: elle se remit promptement. Elle entendit ces paroles sublimes: Son corps est enterré en paix, et son âme retourne à celui dont il l'avait reçue. Son désespoir se soulagea par un déluge de pleurs.

      L'abbesse la tira de l'église, et la conduisit dans son appartement. Elle lui offrit tous les secours d'une religion sainte et d'une tendre pitié. Emilie faisait des efforts pour surmonter l'accablement; mais l'abbesse, qui l'observait attentivement, lui fit préparer un lit et l'engagea à chercher du repos. Elle réclama avec bonté la promesse qu'avait faite Emilie de passer quelques jours au couvent. Emilie, que rien ne rappelait plus à la chaumière, théâtre de son malheur, eut le loisir alors de considérer sa position, et se sentit incapable de reprendre immédiatement son voyage.

      Cependant la bonté maternelle de l'abbesse et les douces attentions des religieuses, n'épargnaient rien pour calmer son esprit et lui rendre la santé; elle avait éprouvé des secousses trop violentes pour se rétablir promptement: elle fut donc, pendant plusieurs semaines, atteinte d'une fièvre lente, et dans un état de langueur. Elle s'affligeait de quitter le tombeau où reposaient les cendres de son père; elle se flattait que si elle mourait en ce lieu, on la réunirait à lui. Pendant ce temps, elle écrivit à madame Chéron et à la vieille gouvernante, pour leur faire part de l'événement, et les informer de sa situation.

      Pendant que l'orpheline était au couvent, la paix intérieure de cet asile, la beauté des environs, les soins obligeants de l'abbesse et de ses religieuses firent sur elle un effet si attrayant, qu'elle fut presque tentée de se séparer du monde; elle avait perdu ses plus chers amis, elle voulait se vouer au cloître, dans un séjour que la tombe de Saint-Aubert lui rendait à jamais sacré. L'enthousiasme de sa pensée, qui lui était comme naturel, avait répandu un vernis si touchant sur la sainte retraite d'une religieuse, qu'elle avait presque perdu de vue le véritable égoïsme qui la produit. Mais les couleurs qu'une imagination mélancolique légèrement imbue de superstition prêtait à la vie monastique, se fanèrent peu à peu quand ses forces lui revinrent à son cœur et ramenèrent une image qui n'en avait été que passagèrement bannie. Ce souvenir la rappela tacitement à l'espérance, à la consolation, aux plus doux sentiments; des lueurs de bonheur se montrèrent dans le lointain; et quoiqu'elle n'ignorât pas à quel point elles pouvaient être trompeuses, elles ne voulut pas s'en priver.

      Il se passa quelques jours entre l'arrivée du serviteur que madame Chéron envoyait et celui où Emilie fût en état de se mettre en route pour la vallée. Le soir qui précéda son départ, elle se rendit à la chaumière pour prendre congé de Voisin et de sa famille. Elle fit à ces bonnes gens les adieux les plus tendres et les mieux sentis. Voisin l'aimait comme sa fille, et versait des larmes. Emilie en répandit: elle évita d'entrer dans la chaumière; elle aurait renouvelé des impressions trop cuisantes, et elle n'avait plus maintenant assez de force pour les soutenir.

      Quand le moment du départ fut venu, toute sa douleur se renouvela; la mémoire de son père au tombeau, les bontés de tant de personnes vivantes, l'attachaient à cette retraite: elle semblait éprouver, pour le lieu où reposait Saint-Aubert, ces tendres affections qu'on sent pour sa patrie. L'abbesse lui donna, en se séparant d'elle, les plus touchants témoignages d'attachement, et l'engagea à revenir si elle ne trouvait pas ailleurs la considération qu'elle devait attendre. Plusieurs des religieuses lui exprimèrent de vifs regrets; elle quitta le couvent les larmes aux yeux, emportant avec elle l'affection et les vœux de toutes les personnes qu'elle y laissait.

      Elle avait voyagé longtemps avant que le spectacle qui se déployait sous ses yeux eût pu la distraire. Abîmée dans la mélancolie, elle ne remarqua tant d'objets enchanteurs que pour se rappeler mieux son père. Saint-Aubert était avec elle quand elle les avait vus d'abord, et ses observations sur chacun d'eux se retraçaient à sa mémoire. La journée se passa dans la langueur, dans l'abattement. Elle coucha cette nuit sur la frontière du Languedoc, et le lendemain elle entra en Gascogne.

      En approchant du château, ces tristes souvenirs se multiplièrent. Enfin le château lui-même, le château se dessina au milieu du paysage que Saint-Aubert aimait le plus.

      La route, en tournant, le lui laissa voir avec beaucoup plus de détail; les cheminées, que rougissait le couchant, s'élevaient derrière les plantations favorites de Saint-Aubert, dont le feuillage cachait les parties basses du bâtiment. Emilie ne put retenir


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