Crimes Interplanétaires. Stephen Goldin

Crimes Interplanétaires - Stephen Goldin


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était toujours déstabilisant. Les peuples de toutes les planètes fabriquaient des locacorps mécaniques qui ressemblaient autant que possible à leurs corps biologiques, ce qui les rendait difficiles à manœuvrer pour quiconque était bâti différemment.

      Certaines espèces avaient des bras en surnombre, qu’un humain laissait toujours pendre mollement sur les côtés ; certaines n’en avaient qu’un seul, et un humain se sentait handicapé. D’autres voyaient des longueurs d’ondes impénétrables aux terriens, ou percevaient des fréquences qui leur étaient normalement inaudibles.

      Pire que tout, cependant, il y avait les espèces quasi-humanoïdes, comme les Jenitharps. Ces derniers avaient bien deux bras et deux jambes, mais les bras se trouvaient au niveau de la taille, rattachés au milieu du corps par un étrange arrangement articulaire qu’on ne pouvait en aucun cas appeler des épaules. On avait l’impression d’évoluer dans un miroir déformant.

      Rabinowitz, une fois connectée, se retrouva debout à côté de l’employé, à le regarder d’en haut.

      — J’ai prévenu la police, lui dit-il. Ils vont arriver pour vous escorter. Ils ont demandé que vous les attendiez ici.

      — Très bien. Je préfère être un peu seule avec un nouveau corps, le temps d’apprendre à m’en servir.

      — Si vous le désirez, maintenant que votre taille est enregistrée, nous pouvons vous attribuer un corps permanent. Cela ne vous coûtera qu’un petit supplément. Un corps vous sera réservé de manière permanente, et vous pourrez visiter Jenithar chaque fois que vous le voudrez sans avoir à subir tous ces contretemps.

      — Merci. Je m’en souviendrai si jamais on m’oblige à revenir.

      L’employé s’en alla, la laissant seule dans une pièce remplie d’étagères où s’empilaient des locacorps de toutes les tailles imaginables : beaucoup étaient plus petits que le sien, certains considérablement plus grands. Elle se sentait lourde. La plupart des espèces modelaient leurs corps de location dans un quelconque plastique ou matériau léger ; certains les fabriquaient même à partir de tissus vivants. Les Jenitharps, eux, se servaient d’un métal lourd et cliquetant. Le corps qu’on lui avait attribué était couvert d’un faux plumage brun-vert, et vu sa taille et sa couleur, son rang devait être plus que respectable.

      Rabinowitz s’avança d’un pas hésitant vers une zone dégagée au centre de la pièce, et tâcha d’exercer de petits mouvements de gymnastique. Les jambes n’étaient pas particulièrement difficiles à manier : il lui suffisait de marcher à petits pas, comme si elle s’était affublée d’un kimono très serré. Les longs bras fins, en revanche semblaient inutilisables. Ils pendaient mollement comme des tuyaux en caoutchouc, et Rabinowitz devait presque disloquer ses propres épaules pour les faire bouger. C’était des tentacules plus que des bras, dépourvus de véritables articulations.

      — Il faut être danseuse à Bali pour faire marcher ces trucs, marmonna-t-elle.

      Un quart d’heure plus tard, elle se sentit assez à l’aise pour ne pas trop se ridiculiser. Heureusement, personne n’attendait d’un alien pilotant un corps de location qu’il se déplace avec grâce. Chaque espèce cultivait son lot de blagues sur ses visiteurs extraplanétaires maladroits.

      Deux nouveaux venus entrèrent dans la pièce, le premier un peu plus grand et plus pâle que son compagnon. Impossible de déterminer leur sexe.

      — Madame Rabinowitz ? fit le plus grand, qui restait tout de même plus petit qu’elle. Permettez-moi de me présenter. Je suis Feffeti rab Dellor, sergent de niveau trois. Je vous suis reconnaissant d’avoir accepté de nous assister dans notre enquête. Si vous voulez bien m’accompagner, nous allons nous rendre sur le lieu du crime.

      Il ne prit pas la peine de présenter son compagnon plus petit.

      — À l’attaque, MacDuff ! lâcha Rabinowitz.

      Le sergent s’arrêta net.

      — Je suis désolé, dit-il. La traduction n’a pas fonctionné.

      — Peu importe. C’était une référence littéraire. De toute façon, je ne devrais pas les colporter ainsi gratuitement.

      Le sergent Dellor et son collègue menèrent Rabinowitz dans un couloir plein de monde, puis dans un ascenseur bondé. Ils descendirent seize étages avant de sortir pour traverser une nouvelle foule, jusqu’à un arrêt de transport public. Les gens s’écartaient pour les laisser passer ; peut-être Dellor portait-il un insigne de police que Rabinowitz n’avait pas identifié, ou peut-être respectait-on sa taille plus imposante que celle de la plupart des citoyens de Jenithar.

      Apparemment, même la police prenait les transports publics. Ils passèrent devant tout le monde et réquisitionnèrent le premier taxi de la file. Dellor donna au chauffeur, considérablement plus petit que lui, un code de dérogation policière ainsi qu’une destination, et le taxi partit en trombe.

      Comme Rabinowitz ne connaissait de Jenithar que l’holospace de Levexitor, elle était fascinée par cette première « véritable » visite. Le ciel était couvert, et bien que son corps artificiel fût incapable de discerner les variations réelles de température et d’humidité, le climat semblait lourd. Malgré les nuages, le ciel était très lumineux, et Rabinowitz se souvint avoir lu que le soleil de Jenithar était de classe F, légèrement plus brillant que celui de la Terre. Les filtres de son corps de location réduisaient la luminosité à un niveau confortable pour un terrien, mais ils modifiaient étrangement sa perception de la profondeur et rendaient les couleurs délavées et peu naturelles.

      Cette région de Jenithar était une immense ville remplie de gratte-ciels ; il y en avait assez pour mettre à l’aise un habitant de Manhattan, mais ce même New-Yorkais serait resté bouche bée devant la propreté de l’ensemble. Une petite armée d’employés municipaux parcourait la ville en permanence pour ramasser les détritus et maintenir la propreté immaculée des rues et des bâtiments. Rabinowitz aurait pu s’imaginer que ce zèle était le fruit d’un sentiment de fierté civique si elle n’avait pas lu que cela faisait partie d’un programme de plein-emploi.

      Il y avait des gens partout, toujours en mouvement. Ils formaient de longues files de piétons le long des rues, rangés par ordre de taille, et chaque trottoir était réservé à un trafic piétonnier à sens unique. Tout ce monde formait un véritable tourbillon de couleurs et de formes, mais restait étrangement silencieux. Forcés de vivre si près les uns des autres, les Jenitharp avaient établi des règles très strictes afin de limiter les invasions sonores de l’espace personnel.

      — Vous êtes courtière littéraire, c’est exact ? demanda Dellor pendant le trajet.

      — Oui. Jenithar reste un marché porteur pour la littérature de ma planète.

      — Travailliez-vous depuis longtemps avec le Grandissime Levexitor ?

      — Depuis seulement quatre mois. J’y voyais le début d’une longue relation d’affaires, mais on dirait bien que je vais devoir me trouver de nouveaux contacts.

      — Vous avez déclaré qu’à l’heure du crime, vous rendiez visite à Levexitor.

      — Seulement par holojection. Notre conversation était ponctuée d’étranges silences. Je pense que quelqu’un d’autre était physiquement présent en même temps que moi, mais cette personne n’étant pas reliée à l’holospace, je n’ai pas pu la voir ni l’entendre.

      — De quoi parliez-vous à l’heure de sa mort ?

      Rabinowitz hésita un instant.

      — Nous parlions affaires, répondit-elle. J’étais venue lui parler des droits du théâtre sous-marin, et…

      — Inutile de développer, l’interrompit Dellor. Je n’ai pas besoin de connaître les détails des affaires du Grandissime. Connaissiez-vous bien Dahb Chalnas ?

      — L’assistant de Levexitor


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