Caravane. Stephen Goldin

Caravane - Stephen Goldin


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« Je ne voudrais pas être un nomade pour tout l'or de Fort Knox. »

      Pédalant distraitement, Peter se demanda s'il y avait encore de l'or à Fort Knox. Sans doute que oui car l'or ne valait pas le coup d'être volé en ce moment. Les gens avaient d'autres besoins plus urgents comme la nourriture, l'eau, le carburant et l'électricité. Quelque part, pensa-t-il, le gouvernement américain est peut-être en train d'essayer de faire comme si de rien n'était, surveillant cet or et cette richesse comme un dinosaure vierge gardant son nid d’œufs infertiles. Et s'ils pensent à la Chute, ils me rejettent probablement la faute – comme si je n'étais que le messager apportant les nouvelles du désastre. Être un oiseau de mauvaise augure n'est pas une carrière qui rapporte.

      Alors qu'il pédalait le long du boulevard Balboa, Peter regarda autour de lui et essaya d'imaginer à quoi ressemblait le quartier il y a dix ans, avant la Chute. A sa gauche se trouvait un autre centre commercial et un grand bâtiment qui fut jadis un hôpital. Actuellement, il abritait plusieurs appartements. A sa droite se trouvaient des appartements jadis de luxe, mais à présent délabrés et laids. Des ordures qu'on ne pouvait pas brûler avaient été jetées sur le trottoir, émettant une odeur très déplaisante.

      Il dépassa un autre supermarché abandonné en traversant Chatsworth Street et continua vers le nord. Il y avait des maisons des deux côtés, le genre d'habitations très populaires dans les communautés de banlieue de l'époque. Les pelouses avaient laissé place à des jardins avec de la laitue, des radis, des tomates et des melons. Les jardins étaient entourés de clôtures et certaines provenaient des séparateurs de voies d'autoroute. Un panneau Stop avait été planté dans l'un des jardins, habillé de loques pour en faire un épouvantail de fortune. Quelques maisons semblaient avoir été rasées au profit de champs de maïs. Les tiges vertes se mouvaient au gré du vent.

      Des chiens erraient dans les rues et devant les maisons. Ils aboyèrent en le voyant passer, mais ne prirent pas la peine de lui courir après car il ne représentait aucun danger pour les jardins de leurs maîtres. On voyait aussi quelques chèvres et pas mal de poules, mais Peter ne voyait aucun chat. Les chats et les lapins serviraient sans doute de nourriture. Les animaux domestiques n'étaient plus un luxe qu'on pouvait se permettre. Les oiseaux aussi étaient rares. Nul doute que les enfants du voisinage s'entraînaient sur eux avec leurs lance-pierres.

      Peter se demanda pourquoi il restait toujours dans les centres urbains. Les villes étaient des pièges, il le savait. Elles finiraient par s'écrouler sous leur propre poids, entraînant quiconque s'y trouvait dans leur chute. Le petit nombre de gens vivant à la campagne auraient les meilleures chances de survie, même s'ils seraient marqués, eux aussi. N'importe quelle personne sensée s'en rendrait compte et s'approprierait un bout de terre avant que le chaos total ne s'empare de la nation. Mais Peter était et avait toujours été un citadin et était attiré par les villes, même s'il savait qu'elles signeraient son arrêt de mort un jour.

      Mon problème, pensa-t-il, est que je donne de bons conseils, mais comme tout le monde, je refuse de les suivre.

      Peut-être avait-il été trop tard pour faire quoique ce soit il y a sept ans, à la sortie de son livre, La Chute du Monde, qui avait provoqué la controverse. Il avait déjà prédit la destruction de la civilisation à l'époque. La pénurie de matériaux était devenue notable dès le début des années 1970 et pourtant, les petites crises continuèrent à escalader sans qu'on ne prenne la moindre mesure pour les empêcher. La société se divisait, les groupes se battaient les uns contre les autres. L'humanité n'avait plus la cohésion nécessaire pour affronter les problèmes. L'inflation avait mis à mal l'économie et les gens avaient perdu confiance.

      On avait écrit beaucoup de livres prédisant que les choses deviendraient critiques avant la fin du vingtième siècle et ils avaient tous été rejetés pour leur caractère trop pessimiste par la plupart des gens. Ces derniers avaient gardé foi en l'humanité – humanité qui pourrait renaître de ses cendres tel un phénix. Puis, La Chute du Monde était sorti, apportant les arguments les plus effrayants à ce jour. Peter Stone, vingt-cinq ans à l'époque, prouva que la civilisation était destinée à s'effondrer deux ans plus tard, à moins que l'on ne prenne des mesures radicales sans plus attendre. Il avait même décrit ces mesures: euthanasie obligatoire, contraception obligatoire, redistribution immédiate de la richesse, décentralisation immédiate de la société, fin des logements unifamiliaux, fin de l'élevage d'animaux domestiques, déplacement forcé des gens pour une répartition plus juste de la population, rationnement strict des aliments et de l'eau, reprise gouvernementale totale de l'industrie, contrôle gouvernemental total des transports, programme pour la culture et la colonisation des fonds marins.

      A ses yeux, ce fut étonnant qu'il pût virtuellement antagoniser quatre-vingt-quinze pourcent du pays en un jour. Quelques intellectuels le qualifièrent comme « l'un des plus grands esprits de l'époque », mais la plupart des gens le considéraient comme « le maudit socialiste ». Certains étaient convaincus qu'il était le diable incarné alors qu'il ne disait que la vérité. Mais le livre s'était vendu à des millions d'exemplaires. C'était ironique, pensa Peter. Son livre serait l'un des derniers best-sellers. Peu après la vingtième réimpression de l'ouvrage, la plupart des imprimeurs firent grève.

      Peut-être faisaient-ils toujours grève.

      Il était devenu célèbre et riche et était apparu dans bon nombre de talk-shows afin d'expliquer son point de vue – que la civilisation, pas uniquement aux USA, mais dans le monde entier, était en train de s'effondrer. Il n'arrêtait pas de répéter aux gens que, lui non plus, n'aimait pas ses solutions, mais qu'il fallait des mesures drastiques pour éviter un sort encore plus funeste. Personne ne l'avait écouté. Ses ennemis le qualifiaient d'opportuniste qui se faisait de l'argent sur le dos du malheur du monde et qui profitait du désastre. Il était considéré comme un vilain, un radical, un traître.

      Entre-temps, tout ce qu'il avait prédit avait fini par arriver. Des grèves des travailleurs municipaux provoquèrent l'effondrement des services de la ville. Les pénuries de carburant qu'il avait prédites devinrent d'autant plus importantes lors de la Guerre d'Israël qui dévasta quatre-vingt-treize pourcent des gisements de pétrole. Du jour au lendemain, le monde fit face à sa crise énergétique la plus importante. Sans électricité, les stations radio et les chaînes télé devinrent silencieuses les unes après les autres. Sans carburant, les camionneurs ne pouvaient plus livrer les marchandises et les matériaux de façon efficace. Les « Trois Piliers » énoncés par Peter dans son livre se détérioraient de jour en jour.

      Peter tourna à droite, vers San Fernando Mission Boulevard et continua à pédaler. Des poteaux téléphoniques bordaient la route, mais la plupart avaient été abattus pour en faire du feu. En passant près des maisons, il aperçut de nombreuses personnes travailler dans leurs jardins. Elles continueraient sans doute leur petite routine jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau. Peter frissonna en pensant à la panique qui se créait lentement, prête à surgir tel un génie maléfique qui attendait le jour fatidique de sa libération.

      Il traversa des passages souterrains et une grande route avant d'arriver à ce qui fut jadis un parc. Il faisait environ trois blocs de long et un bloc de large. On avait tenté d'y faire pousser du maïs, mais les gens qui s'y étaient installés avaient tout détruit. Le parc était rempli de vieilles voitures dans lesquelles les gens avaient installé des logements de fortune. Au début, Peter s'était demandé pourquoi ils s'étaient donnés cette peine car les logements étaient ce dont on manquait le moins. Et puis, il vit ce qu'il y avait de l'autre côté du parc.

      C'était la mission de San Fernando, l'un des sanctuaires établis au dix-huitième siècle par le Père Junipero. Plus tard, on l'appela El Camino Real. En tant qu'église catholique, elle représentait l'une des rares organisations toujours en service aujourd'hui. La mission servait de point de distribution de nourriture pour les plus pauvres. Cette charité avait incité tous ces gens à s'installer dans le parc de l'autre côté de la rue.

      Peter était mitigé par rapport aux églises. Il n'était pas croyant et avait tendance à ne pas leur faire confiance. Bien sûr, elles faisaient du beau boulot en distribuant


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