Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке. Луи-Фердинанд Селин

Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке - Луи-Фердинанд Селин


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on a décidé de passer l’éponge sur ce qu’ils appellent “mon moment d’égarement et ceci, notez-le bien, en considération de ce qu’on intitule aussi “l’honneur de ma famille”. Quelle mansuétude! Je-vous le demande camarade, est-ce donc ma famille qui va s’en aller servir de passoire et de tri aux balles françaises et allemandes mélangées?.. Ce sera bien moi tout seul, n’est-ce pas? Et quand je serai mort, est-ce l’honneur de ma famille qui me fera ressusciter?.. Tenez, je la vois d’ici, ma famille, les choses de la guerre passées… Comme tout passe… Joyeusement alors gambadante ma famille sur les gazons de l’été revenu, je la vois d’ici par les beaux dimanches… Cependant qu’à trois pieds dessous, moi papa, ruisselant d’asticots et bien plus infect qu’un kilo d’étrons de 14 juillet pourrira fantastiquement de toute sa viande déçue… Engraisser les sillons du laboureur anonyme c’est le véritable avenir du véritable soldat! Ah! camarade! Ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde! Vous êtes jeune. Que ces minutes sagaces vous comptent pour des années! Écoutez-moi bien, camarade, et ne le laissez plus passer sans bien vous pénétrer de son importance, ce signe capital dont resplendissent toutes les hypocrisies meurtrières de notre Société: “L’attendrissement sur le sort, sur la condition du miteux…” Je vous le dis, petits bonshommes, couillons de la vie, battus, rançonnés, transpirants de toujours, je vous préviens, quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer, c’est qu’ils vont vous tourner en saucissons de bataille… C’est le signe… Il est infaillible. C’est par l’affection que ça commence. Louis XIV lui au moins, qu’on se souvienne, s’en foutait à tout rompre du bon peuple. Quant à Louis XV, du même. Il s’en barbouillait le pourtour anal. On ne vivait pas bien en ce temps-là, certes, les pauvres n’ont jamais bien vécu, mais on ne mettait pas à les étriper l’entêtement et l’acharnement qu’on trouve à nos tyrans d’aujourd’hui. Il n’y a de repos, vous dis-je, pour les petits, que dans le mépris des grands qui ne peuvent penser au peuple que par intérêt ou sadisme… Les philosophes, ce sont eux, notez-le encore pendant que nous y sommes, qui ont commencé par raconter des histoires au bon peuple… Lui qui ne connaissait que le catéchisme! Ils se sont mis, proclamèrent-ils, à l’éduquer… Ah! ils en avaient des vérités à lui révéler! et des belles! Et des pas fatiguées! Qui brillaient! Qu’on en restait tout ébloui! C’est ça! qu’il a commencé par dire, le bon peuple, c’est bien ça! C’est tout à fait ça! Mourons tous pour ça! Il ne demande jamais qu’à mourir le peuple! Il est ainsi. “Vive Diderot!” qu’ils ont gueulé et puis “Bravo Voltaire!” En voilà au moins des philosophes! Et vive aussi Carnot qui organise si bien les victoires! Et vive tout le monde! Voilà au moins des gars qui ne le laissent pas crever dans l’ignorance et le fétichisme le bon peuple! Ils lui montrent eux les routes de la Liberté! Ils l’émancipent! Ça n’a pas traîné! Que tout le monde d’abord sache lire les journaux! C’est le salut! Nom de Dieu! Et en vitesse! Plus d’illettrés! Il en faut plus! Rien que des soldats citoyens! Qui votent! Qui lisent! Et qui se battent! Et qui marchent! Et qui envoient des baisers! À ce régime‐là, bientôt il fut fin mûr le bon peuple. Alors n’est-ce pas l’enthousiasme d’être libéré il faut bien que ça serve à quelque chose? Danton n’était pas éloquent pour les prunes. Par quelques coups de gueule si bien sentis, qu’on les entend encore, il vous l’a mobilisé en un tour de main le bon peuple! Et ce fut le premier départ des premiers bataillons d’émancipés frénétiques! Des premiers couillons voteurs et drapeautiques qu’emmena le Dumouriez se faire trouer dans les Flandres! Pour lui-même Dumouriez, venu trop tard à ce petit jeu idéaliste, entièrement inédit, préférant somme toute le pognon, il déserta. Ce fut notre dernier mercenaire… Le soldat gratuit ça c’était du nouveau… Tellement nouveau que Goethe, tout Goethe qu’il était, arrivant à Valmy en reçut plein la vue. Devant ces cohortes loqueteuses et passionnées qui venaient se faire étripailler spontanément par le roi de Prusse pour la défense de l’inédite fiction patriotique, Goethe eut le sentiment qu’il avait encore bien des choses à apprendre. “De ce jour, clama‐t‐il, magnifiquement, selon les habitudes de son génie, commence une époque nouvelle!” Tu parles! Par la suite, comme le système était excellent, on se mit à fabriquer des héros en série, et qui coûtèrent de moins en moins cher, à cause du perfectionnement du système. Tout le monde s’en est bien trouvé. Bismarck, les deux Napoléon, Barrès aussi bien que la cavalière Eisa. La religion drapeautique remplaça promptement la céleste, vieux nuage déjà dégonflé par la Réforme et condensé depuis longtemps en tirelires épiscopales. Autrefois, la mode fanatique, c’était “Vive Jésus! Au bûcher les hérétiques!”, mais rares et volontaires après tout les hérétiques… Tandis que désormais, où nous voici, c’est par hordes immenses que les cris: “Au poteau les salsifis sans fibres! Les citrons sans jus! Les innocents lecteurs! Par millions face à droite!” provoquent les vocations. Les hommes qui ne veulent ni découdre, ni assassiner personne, les Pacifiques puants, qu’on s’en empare et qu’on les écartèle! Et les trucide aussi de treize façons et bien fadées! Qu’on leur arrache pour leur apprendre à vivre les tripes du corps d’abord, les yeux des orbites, et les années de leur sale vie baveuse! Qu’on les fasse par légions et légions encore, crever, tourner en mirlitons, saigner, fumer dans les acides, et tout ça pour que la Patrie en devienne plus aimée, plus joyeuse et plus douce! Et s’il y en a là-dedans des immondes qui se refusent à comprendre ces choses sublimes, ils n’ont qu’à aller s’enterrer tout de suite avec les autres, pas tout à fait cependant, mais au fin bout du cimetière, sous l’épitaphe infamante des lâches sans idéal, car ils auront perdu, ces ignobles, le droit magnifique à un petit bout d’ombre du monument adjudicataire et communal élevé pour les morts convenables dans l’allée du centre, et puis aussi perdu le droit de recueillir un peu de l’écho du Ministre qui viendra ce dimanche encore uriner chez le Préfet et frémir de la gueule au-dessus des tombes après le déjeuner… »

      Mais du fond du jardin, on l’appela Princhard. Le médecin‐chef le faisait demander d’urgence par son infirmier de service.

      « J’y vais », qu’il a répondu Princhard, et n’eut que le temps juste de me passer le brouillon du discours qu’il venait ainsi d’essayer sur moi. Un truc de cabotin.

      Lui, Princhard, je ne le revis jamais. Il avait le vice des intellectuels, il était futile. Il savait trop de choses ce garçon-là et ces choses l’embrouillaient. Il avait besoin de tas de trucs pour s’exciter, se décider.

      C’est loin déjà de nous le soir où il est parti, quand j’y pense. Je m’en souviens bien quand même. Ces maisons du faubourg qui limitaient notre parc se détachaient encore une fois, bien nettes, comme font toutes les choses avant que le soir les prenne. Les arbres grandissaient dans l’ombre et montaient au ciel rejoindre la nuit.

      Je n’ai jamais rien fait pour avoir de ses nouvelles, pour savoir s’il était vraiment « disparu » ce Princhard, comme on l’a répété. Mais c’est mieux qu’il soit disparu.

      Déjà notre paix hargneuse faisait dans la guerre même ses semences.

      On pouvait deviner ce qu’elle serait, cette hystérique rien qu’à la voir s’agiter déjà dans la taverne de l’Olympia. En bas dans la longue cave-dancing louchante aux cent glaces, elle trépignait dans la poussière et le grand désespoir en musique négro-judéo-saxonne. Britanniques et Noirs mêlés. Levantins et Russes, on en trouvait partout, fumants, braillants, mélancoliques et militaires, tout du long des sofas cramoisis. Ces uniformes dont on commence à ne plus se souvenir qu’avec bien de la peine furent les semences de l’aujourd’hui, cette chose qui pousse encore et qui ne sera tout à fait devenue fumier qu’un peu plus tard, à la longue.

      Bien entraînés au désir par quelques heures à l’Olympia chaque semaine, nous allions en groupe faire une visite ensuite à notre lingère-gantière-libraire Mme Herote, dans l’Impasse des Beresinas, derrière les Folies-Bergère, à présent disparue, où les petits chiens venaient avec leurs petites filles, en laisse, faire leurs besoins.

      Nous y venions nous, chercher notre bonheur à tâtons, que le monde entier menaçait avec rage. On en était honteux de cette envie-là, mais il fallait bien s’y mettre


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