Correspondance, 1812-1876. Tome 3. Жорж Санд
t'ennuie pas trop. Travaille à prêcher, à républicaniser nos bons paroissiens. Nous ne manquons pas de vin cette année, tu peux faire rafraîchir ta garde nationale armée, modérément, dans la cuisine, et, là, pendant une heure, tu peux causer avec eux et les éclairer beaucoup. Je t'enverrai du Blaise Bonnin4, qui te servira de thème. Seulement, mets, de l'ordre maintenant dans ces réunions, et, s'il le faut, forme une espèce de club, d'où seront exclus les flâneurs et les buveurs inutiles, les enfants et les femmes, qui ne songent qu'à crier et à danser. Pour le moment, c'est tout ce qu'on peut faire.
Je te rebige et je t'aime.
CCLXXI
AU MÊME
Paris, 24 mars 1848.
Mon Bouli,
Me voilà déjà occupée comme un homme d'État. J'ai fait deux circulaires gouvernementales aujourd'hui, une pour le ministère de l'instruction publique, et une pour le ministère de l'intérieur. Ce qui m'amuse, c'est que tout cela s'adresse aux maires, et que tu vas recevoir par la voie officielle les instructions de ta mère.
Ah! ah! monsieur le maire5! vous allez marcher droit, et, pour commencer, vous lirez, chaque dimanche, un des Bulletins de la République à votre garde nationale réunie. Quand vous l'aurez lu, vous l'expliquerez, et, quand ce sera fait, vous afficherez ledit Bulletin à la porte de l'église. Les facteurs ont l'ordre de faire leur rapport contre ceux des maires qui y manqueront. Ne néglige pas tout cela, et, en lisant ces Bulletins avec attention, tes devoirs de maire et de citoyen te seront clairement tracés. Il faudra faire de même pour les circulaires du ministre de l'instruction publique. Je ne sais auquel entendre. On m'appelle à droite, à gauche. Je ne demande pas mieux.
Pendant ce temps, on imprime mes deux Lettres au Peuple. Je vais faire une revue6 avec Viardot, un prologue7 pour Lockroy8. J'ai persuadé à Ledru-Rollin de demander une Marseillaise à Pauline. Au reste, Rachel chante la vraie Marseillaise tous les soirs aux Français d'une manière admirable, à ce qu'on dit. J'irai l'entendre demain.
Mon éditeur commence à me payer. Il s'est déjà exécuté de trois mille francs et promet le reste pour la semaine prochaine; nous nous en tirerons donc, j'espère. Tu entends bien que je n'ai pas dû demander un sou au gouvernement. Seulement, si je me trouvais dans la débine, je demanderais un prêt, et je ne serais pas exposée à une catastrophe. Tu entends bien aussi que ma rédaction dans les actes officiels du gouvernement ne doit pas être criée sur les toits. Je ne signe pas. Tu dois avoir reçu les six premiers numéros du Bulletin de la République, le septième sera de moi. Je te garderai la collection; ainsi affiche les tiens, et fiche-toi de les voir détruits par la pluie.
Tu verras dans la Réforme d'aujourd'hui mon compte rendu de la fête de Nohant-Vic et ton nom figurer au milieu. Tout va aussi bien ici que ça va mal chez nous. J'ai prévenu Ledru-Rollin de ce qui se passait à la Châtre. Il va y envoyer un représentant spécial. Garde ça pour toi encore. J'ai fait connaissance avec Jean Reynaud, avec Barbès, avec M. Boudin, prétendant à la députation de l'Indre; celui-ci m'a paru un républicain assez crâne, et il est, en effet, ami intime de Ledru-Rollin. Il nous faudra peut-être l'appuyer. Je crois que les élections seront retardées. Il ne faut pas le dire, et il faut ne pas négliger l'instruction de tes administrés. Tu as ton bout de devoir à remplir, chacun doit s'y mettre, même Lambert, qui doit prêcher la république sur tous les tons aux habitants de Nohant.
Je suis toujours dans ta cambuse, et j'y resterai peut-être. C'est une économie, et le gouvernement provisoire vient m'y trouver tout de même. Solange m'écrit qu'elle va très bien et qu'elle part pour Paris. Clésinger fera peu à peu ses affaires. La République lui reconnaît du talent et l'emploiera quand elle aura de l'argent.
Rothschild fait aujourd'hui de beaux sentiments sur la République. Il est gardé à vue par le gouvernement provisoire, qui ne veut pas qu'il se sauve avec son argent, et qui lui mettrait de la mobile à ses trousses. Encore motus là-dessus. Il se passe les plus drôles de choses.
Le gouvernement et le peuple s'attendent à de mauvais députés et ils sont d'accord pour les ficher par les fenêtres. Tu viendras, nous irons, et nous rirons. On est aussi crâne ici qu'on est lâche chez nous. On joue le tout pour le tout; mais la partie est belle. Bonsoir, mon Bouli; je t'embrasse mille fois.
Le Pôtu9 va tous les soirs à un club de Corréziens. Il n'y a ni hommes ni femmes, ils sont tous Limougis. On n'y parle que le patois. Cha doit être chuperbe!
Il va partir pour chon beau pays, aussitôt que je serai enrayée. Il ch'embête beaucoup, parce que je le conduis chez les minichtres, oùche qu'il reste jusqu'à une heure du matin à m'attendre dans les antichambres. Il dit que ch'est un fichou métier. Je crois bien qu'il chera député et qu'il parlera chur la châtaigne.
Ne manque pas de dire à ta garde nationale qu'il n'est question que d'elle à Paris. Ça la flattera un peu.
Prends courage, nous allons ferme. Emmanuel a été deux heures au bout des fusils de brigands qui voulaient le tuer pour ne pas rendre les clefs de la poudrière de Lyon et huit canons. Il s'en est tiré par son éloquence et son courage; il en a dans l'occasion. Nous l'aurons, va, la République, en dépit de tout. Le peuple est debout et diablement beau ici. Tous les jours et sur tous les points, on plante des arbres de la liberté. J'en ai rencontré trois hier en diverses rues, des pins immenses portés sur les épaules de cinquante ouvriers. En tête, le tambour, le drapeau, et des bandes de ces beaux travailleurs de terre, forts, graves, couronnés de feuillage, la bêche, la pioche ou la cognée sur l'épaule; c'est magnifique, c'est plus beau que tous les Robert du monde!
CCLXXII
A M. DE LAMARTINE, A PARIS
Paris, avril 1848.
Monsieur,
Je vous comprends bien. Vous ne songez qu'à éviter une révolution, l'effusion du sang, les violences, un avènement trop prompt de la démocratie aveuglé et encore barbare sous bien des rapports. Je crois que vous vous exagérez, d'une part, l'état d'enfance de cette démocratie, et que, de l'autre, vous doutez des rapides et divins progrès que ses convulsions lui feraient faire. Pourquoi en doutez-vous, vous qui lisez dans le sein de Dieu et qui voyez combien cette humanité en travail lui est chère! vous qui pouvez juger des miracles que la Toute-Puissance tient en réserve pour l'intelligence des faibles et des opprimés, d'après les révélations sublimes qui sont tombées dans votre âme de poète et d'artiste? Eh quoi! en peu d'années, vous vous êtes élevé dans les plus hautes régions de la pensée humaine, et, vous faisant jour au sein des ténèbres du catholicisme, vous avez été emporté par l'esprit de Dieu, assez haut pour crier cet oracle que je répète du matin au soir:
«Plus il fait clair, mieux on voit Dieu!»
Vous avez emporté, avec les flammes qui jaillissaient de vous, ce milieu de vaine fumée et de pâles brouillards où la vanité du monde voulait vous retenir; et, maintenant, vous ne croiriez pas que la volonté divine, qui a accompli ce miracle dans un individu, puisse faire briller les mêmes éclairs de vérité sur tout un peuple? vous croyez qu'il attendra des siècles pour réaliser le tableau magique qu'il vous a permis d'entrevoir? Oh non! oh non! Son règne est plus proche que vous ne pensez, et, s'il est proche, c'est qu'il est légitime, c'est qu'il est saint, c'est qu'il est marqué au cadran des siècles. Vous vous trompez d'heure, grand poète, et grand homme! Vous croyez vivre dans ces temps où le devoir de l'homme de bien et de l'homme de génie sont identiques, et tendent également à retarder la ruine de sociétés encore bonnes et durables! Vous croyez que la ruine commence, tandis qu'elle est consommée, et qu'une dernière pierre la retient encore! Voulez-vous donc être cette dernière pierre, la clef de cette voûte impure, vous qui haïssez les impuretés dans le
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Maurice Sand venait d'être nommé maire de la commune de Nohant-Vie.
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Alors administrateur du Théâtre-Français.
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Victor Borie.