Menace Principale. Джек Марс
h 15, Heure de l’Alaska (21 h 15, Heure de l’Est)
Plate-forme pétrolière Martin Frobisher
Neuf kilomètres au nord de la Réserve Faunique Nationale de l’Arctique
Mer de Beaufort
Océan Arctique
Quand la tuerie commença, personne n’était prêt.
Quelques moments auparavant, l’homme qu’ils appelaient Big Dog se tenait à la rambarde en combinaison de travail matelassée avec des bottes à embout d’acier, des gants épais en cuir et une casquette de base-ball jaune délavée avec Ne lâchez pas votre proie imprimé dessus.
Dehors, il faisait froid, mais Big Dog ne sentait plus le froid et il allait bientôt faire beaucoup plus froid. Tout autour de lui s’étendaient les grands espaces de l’Arctique avec, jusqu’à perte de vue, le ciel gris et une eau sombre ponctuée de plaques de glace blanc lumineux.
Fumant une cigarette, il regardait un bateau militaire à double coque se frayer un chemin au travers de la banquise dans la lumière pâle de la fin d’après-midi, qu’on pouvait difficilement appeler lumière du soleil. À présent, la couverture nuageuse était constante, comme un lourd édredon, et Big Dog n’avait pas vu un rayon de lumière du soleil depuis au moins une semaine. Il était facile d’oublier le soleil. Il était facile de tout oublier.
— Ils sont en avance, se dit Big Dog à voix haute.
Il n’aimait pas vraiment ce bateau. Il lui donnait une sensation d’incertitude. Il ressemblait beaucoup à un bateau qui emmènerait des membres d’équipe à la plate-forme après une pause. En fait, d’ici, sur le pont du bateau, il distinguait au moins une dizaine d’hommes qui se préparaient à débarquer quand ils atteindraient le quai.
Cependant, les changements d’équipe n’avaient pas lieu aussi tôt et les bateaux n’arrivaient pas sans avoir été prévus ni annoncés. Pas par ici. Il essaya de passer en revue les raisons envisageables pour que ce bateau arrive maintenant, mais il se remettait encore d’une cuite et le martèlement qu’il avait dans la tête, auquel il fallait ajouter la confusion mentale provoquée par le manque de sommeil, rendait toute réflexion difficile.
Aucune importance. Tout s’expliquerait quand ils arriveraient ici. Il était peut-être possible que quelqu’un ait commis une erreur. Dans l’Arctique, beaucoup de gens ne savaient pas quel jour c’était. Ici, personne ne parlait de lundi, mardi, mercredi ou jeudi. À quoi cela servirait-il ? Les tranches de douze heures étaient toutes les mêmes, passées à travailler ou à dormir, à travailler ou à dormir. Le temps se confondait, se brouillait, disparaissait sous la dureté de l’acier et sous un oubli froid et blanc.
Qui qu’ils soient, quoi qu’ils fassent, il faudrait qu’ils viennent parler à Big Dog. Big Dog était moins méchant qu’il l’avait été autrefois. Il avait grandi dans la réserve. Il était ce qu’on appelait mi-Blackfeet et mi-américain et, autrefois, il avait été extrêmement méchant.
Il mesurait deux mètres et pesait 113 kilos à jeun ou 124 quand il avait bu trop de bière. Maintenant, à plus de cinquante ans, il était plus abordable, se mettait moins vite en colère et pouvait parfois même faire preuve d’un peu de compassion. Cependant, il était l’homme le plus fort de l’endroit, peut-être l’homme le plus fort de l’Arctique, et c’était sa plate-forme pétrolière.
Big Dog avait fait partie de l’équipe qui avait construit cette plate-forme. Pendant cinq ans, il avait été le chef d’équipe. Il n’était pas géologue, il n’était pas le foreur et il n’était pas un employé d’entreprise diplômé mais il fallait savoir qu’il y avait constamment plus de quatre-vingt-dix hommes sur cette plate-forme et que chacun de ces hommes, même les patrons, étaient sous sa responsabilité.
La plate-forme Martin Frobisher, en général nommée « Bish » par les brutes qui y travaillaient et y habitaient deux semaines de suite, était un tas d’acier d’un demi-milliard de dollars. Le Bish était une tour bleu royal et jaune constituée de plates-formes et de blocs de machines empilés loin au-dessus du trou où la foreuse pénétrait le fond de l’océan. Le sommet de cette tour se dressait quarante étages au-dessus de l’eau. Il était stationné à plus de 400 kilomètres au-dessus du Cercle Arctique, sur une île artificielle de 2 hectares juste au large de la Réserve Faunique Nationale de l’Arctique.
La Bish appartenait à une petite entreprise appelée Innovate Natural Resources. Innovate avait des contrats avec tous les grands, BP, ExxonMobil, ConocoPhillips, mais c’était la plate-forme d’Innovate. Big Dog pensait souvent que les grands acteurs laissaient Innovate opérer ici parce que cela leur donnait la possibilité de nier de façon plausible la réalité de ce qui se passait. Innovate faisait le sale boulot et, si quelqu’un s’en rendait compte, Innovate en serait accusée.
L’île était accessible par la voie des glaces sur la mer gelée la plus grande partie de l’année, mais pas en été, et même pas en septembre. Plus maintenant. La banquise permanente avait disparu, fondu, et l’eau était dégagée tout l’été. Comme l’été était fini, la glace saisonnière commençait à recouvrir l’eau.
Alors que Big Dog le regardait, le bateau franchit les derniers mètres et s’arrêta au quai. Deux dockers de Bish commençaient à attacher les amarres du bateau quand, soudain, il se produisit une chose étrange, si étrange qu’il fallut plusieurs secondes à l’esprit de Big Dog pour la comprendre.
Des hommes bondirent du bateau et abattirent les dockers.
BANG ! Les coups de feu retentirent fortement et traversèrent la distance dans l’air froid et figé. Dans la lumière déclinante, de petits hommes tombaient à chaque tir.
BANG !
BANG !
Soudain, Big Dog se mit à courir. Ses bottes lourdes martelèrent les poutres en fer du pont et il entra brusquement dans le chenil, le centre de contrôle. C’était comme la cabine de pilotage d’un navire mais, au lieu de surveiller la mer, les hommes surveillaient la foreuse toute la journée. À cette heure de la journée, il y avait trois hommes à l’intérieur. Quand Big Dog entra, les hommes étaient déjà en mouvement et ouvraient le placard où les fusils étaient stockés. Ces fusils étaient prévus pour les ours polaires, pas les invasions.
— Qu’est-ce qui se passe, bordel ? dit Big Dog.
Un homme baraqué à lunettes, Aaron, représentant de l’entreprise, jeta un lourd fusil à Big Dog. Le fusil avait un chargeur banane qui dépassait du bas et une lunette dessus.
Big Dog inséra une cartouche.
Aaron secoua la tête.
— Aucune idée. Nous avons essayé de leur parler par radio, mais ils n’ont pas répondu. Nous avons pensé que nous attendrions qu’ils arrivent. Alors, ils sont arrivés et ont commencé à tirer.
Il désigna les écrans de sécurité en circuit fermé.
Sur un écran, un groupe d’hommes remontait les quais. Ils étaient vêtus de chaud et de noir et avaient le visage couvert à l’exception des yeux. Ils portaient des armes et des ceintures de munitions. Big Dog regarda un de ces hommes approcher d’un homme qui se tordait de douleur sur le quai, sortir un pistolet et abattre l’homme à la tête.
— Oh, non, dit Big Dog.
Ça le choquait. Ça le choquait profondément et ça le mettait en colère. C’était sa plate-forme et c’étaient ses hommes qu’on tuait là-bas. Il avait travaillé plusieurs décennies pour l’industrie pétrolière arctique et il ne s’était jamais produit ce genre de chose. Est-ce qu’il y avait eu des bagarres ? Oui. Des bagarres à coups de poing, des bagarres au couteau, des bagarres avec des queues de billard et des tuyaux en fer. Des bagarres avec des armes à feu ? Oui, quelqu’un pouvait sortir une arme à feu, mais c’était rare.
Mais ça ?