LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан


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le suivait. De fait, s’étant retourné, il aperçut l’ombre d’un homme qui se glissait entre les arbres. Il n’était point peureux ; cependant il hâta le pas afin d’arriver le plus vite possible à l’octroi des Ternes. Mais l’homme se mit à courir. Assez inquiet, il jugea plus prudent de lui faire face et de tirer son revolver.

      Il n’en eut pas le temps, l’homme l’assaillit violemment, et tout de suite une lutte s’engagea sur le boulevard désert, lutte à bras-le-corps où il sentit aussitôt qu’il avait le désavantage. Il appela au secours, se débattit, et fut renversé contre un tas de cailloux, serré à la gorge, bâillonné d’un mouchoir, que son adversaire lui enfonçait dans la bouche. Ses yeux se fermèrent, ses oreilles bourdonnèrent, et il allait perdre connaissance, lorsque soudain l’étreinte se desserra, et l’homme qui l’étouffait de son poids se releva pour se défendre à son tour contre une attaque imprévue.

      Un coup de canne sur le poignet, un coup de botte sur la cheville… L’homme poussa deux grognements de douleur et s’enfuit en boitant et en jurant.

      Sans daigner le poursuivre, le nouvel arrivant se pencha et dit :

      – Êtes-vous blessé, monsieur ?

      Il n’était pas blessé, mais fort étourdi et incapable de se tenir debout. Par bonheur, un des employés d’octroi, attiré par les cris, accourut. Une voiture fut requise. Le monsieur y prit place accompagné de son sauveur, et on le conduisit à son hôtel de l’avenue de la Grande-Armée.

      Devant la porte, tout à fait remis, il se confondit en remerciements.

      – Je vous dois la vie, monsieur, veuillez croire que je ne l’oublierai point. Je ne veux pas effrayer ma femme en ce moment, mais je tiens à ce qu’elle vous exprime elle-même, dès aujourd’hui, toute ma reconnaissance.

      Il le pria de venir déjeuner et lui dit son nom : Ludovic Imbert, ajoutant :

      – Puis-je savoir à qui j’ai l’honneur…

      – Mais certainement, fit l’autre.

      Et il se présenta :

      – Arsène Lupin.

      Arsène Lupin n’avait pas alors cette célébrité que lui ont value l’affaire Cahorn, son évasion de la Santé, et tant d’autres exploits retentissants. Il ne s’appelait même pas Arsène Lupin. Ce nom auquel l’avenir réservait un tel lustre fut spécialement imaginé pour désigner le sauveur de M. Imbert, et l’on peut dire que c’est dans cette affaire qu’il reçut le baptême du feu. Prêt au combat, il est vrai, armé de toutes pièces, mais sans ressources, sans l’autorité que donne le succès, Arsène Lupin n’était qu’apprenti dans une profession où il devait bientôt passer maître.

      Aussi quel frisson de joie à son réveil quand il se rappela l’invitation de la nuit ! Enfin il touchait au but ! Enfin il entreprenait une œuvre digne de ses forces et de son talent ! Les millions des Imbert, quelle proie magnifique pour un appétit comme le sien.

      Il fit une toilette spéciale, redingote râpée, pantalon élimé, chapeau de soie un peu rougeâtre, manchettes et faux col effiloqués, le tout fort propre, mais sentant la misère. Comme cravate, un ruban noir épinglé d’un diamant de noix à surprise. Et, ainsi accoutré, il descendit l’escalier du logement qu’il occupait à Montmartre. Au troisième étage, sans s’arrêter, il frappa du pommeau de sa canne sur le battant d’une porte close. Dehors, il gagna les boulevards extérieurs. Un tramway passait. Il y prit place, et quelqu’un qui marchait derrière lui, le locataire du troisième étage, s’assit à son côté.

      Au bout d’un instant, cet homme lui dit :

      – Eh bien, patron ?

      – Eh bien ! C’est fait.

      – Comment ?

      – J’y déjeune.

      – Vous y déjeunez !

      – Tu ne voudrais pas, j’espère, que j’eusse exposé gratuitement des jours aussi précieux que les miens ? J’ai arraché M. Ludovic Imbert à la mort certaine que tu lui réservais. M. Ludovic Imbert est une nature reconnaissante. Il m’invite à déjeuner.

      Un silence, et l’autre hasarda :

      – Alors, vous n’y renoncez pas ?

      – Mon petit, fit Arsène, si j’ai machiné la petite agression de cette nuit, si je me suis donné la peine, à trois heures du matin, le long des fortifications, de t’allonger un coup de canne sur le poignet et un coup de pied sur le tibia, risquant ainsi d’endommager mon unique ami, ce n’est pas pour renoncer maintenant au bénéfice d’un sauvetage si bien organisé.

      – Mais les mauvais bruits qui courent sur la fortune…

      – Laisse-les courir. Il y a six mois que je poursuis l’affaire, six mois que je me renseigne, que j’étudie, que je tends mes filets, que j’interroge les domestiques, les prêteurs et les hommes de paille, six mois que je vis dans l’ombre du mari et de la femme. Par conséquent, je sais à quoi m’en tenir. Que la fortune provienne du vieux Brawford, comme ils le prétendent, ou d’une autre source, j’affirme qu’elle existe. Et puisqu’elle existe, elle est à moi.

      – Bigre, cent millions !

      – Mettons-en dix, ou même cinq, n’importe ! Il y a de gros paquets de titres dans le coffre-fort. C’est bien le diable, si, un jour ou l’autre, je ne mets pas la main sur la clef.

      Le tramway s’arrêta place de l’Étoile. L’homme murmura :

      – Ainsi, pour le moment ?

      – Pour le moment, rien à faire. Je t’avertirai. Nous avons le temps.

      Cinq minutes après, Arsène Lupin montait le somptueux escalier de l’hôtel Imbert, et Ludovic le présentait à sa femme. Gervaise était une bonne petite dame, toute ronde, très bavarde. Elle fit à Lupin le meilleur accueil.

      – J’ai voulu que nous soyons seuls à fêter notre sauveur, dit-elle.

      Et dès l’abord on traita « notre sauveur » comme un ami d’ancienne date. Au dessert l’intimité était complète, et les confidences allèrent bon train. Arsène raconta sa vie, la vie de son père, intègre magistrat, les tristesses de son enfance, les difficultés du présent. Gervaise, à son tour, dit sa jeunesse, son mariage, les bontés du vieux Brawford, les cent millions dont elle avait hérité, les obstacles qui retardaient l’entrée en jouissance, les emprunts qu’elle avait dû contracter à des taux exorbitants, ses interminables démêlés avec les neveux de Brawford, et les oppositions et les séquestres ! Tout enfin !

      – Pensez donc, monsieur Lupin, les titres sont là, à côté dans le bureau de mon mari, et si nous en détachons un seul coupon, nous perdons tout ! Ils sont là, dans notre coffre-fort, et nous ne pouvons pas y toucher.

      Un léger frémissement secoua M. Lupin à l’idée de ce voisinage. Et il eut la sensation très nette que M. Lupin n’aurait jamais assez d’élévation d’âme pour éprouver les mêmes scrupules que la bonne dame.

      – Ah ! Ils sont là, murmura-t-il, la gorge sèche.

      – Ils sont là.

      Des relations commencées sous de tels auspices ne pouvaient que former des nœuds plus étroits. Délicatement interrogé, Arsène Lupin avoua sa misère, sa détresse. Sur-le-champ, le malheureux garçon fut nommé secrétaire particulier des deux époux, aux appointements de cent cinquante francs par mois. Il continuerait à habiter chez lui, mais il viendrait chaque jour prendre les ordres de travail et, pour plus de commodité, on mettait à sa disposition, comme cabinet de travail, une des chambres du deuxième étage.

      Il choisit. Par quel excellent hasard se trouva-t-elle au-dessus du bureau de Ludovic ?

      Arsène ne tarda pas à s’apercevoir que son poste de secrétaire ressemblait furieusement à une sinécure.


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