LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан

LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан


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heures… Le premier coup sonna, le deuxième, le troisième… Horace Velmont tira sa montre, leva les yeux vers l’horloge, puis remit sa montre dans sa poche. Quelques secondes s’écoulèrent. Et voici que la foule s’écarta, autour de la pelouse, livrant passage à deux voitures qui venaient de franchir la grille du parc, attelées l’une et l’autre de deux chevaux. C’étaient de ces fourgons qui vont à la suite des régiments et qui portent les cantines des officiers et les sacs des soldats. Ils s’arrêtèrent devant le perron. Un sergent fourrier sauta de l’un des sièges et demanda M. Devanne.

      Devanne accourut et descendit les marches. Sous les bâches, il vit, soigneusement rangés, bien enveloppés, ses meubles, ses tableaux, ses objets d’art.

      Aux questions qu’on lui posa, le fourrier répondit en exhibant l’ordre qu’il avait reçu de l’adjudant de service, et que cet adjudant avait pris, le matin, au rapport. Par cet ordre, la deuxième compagnie du quatrième bataillon devait pourvoir à ce que les objets mobiliers déposés au carrefour des Halleux, en forêt d’Arques, fussent portés à trois heures à M. Georges Devanne, propriétaire du château de Thibermesnil. Signé : le colonel Beauvel.

      – Au carrefour, ajouta le sergent, tout se trouvait prêt, aligné sur le gazon, et sous la garde… des passants. Ça m’a semblé drôle, mais quoi ! L’ordre était catégorique.

      Un des officiers examina la signature : elle était parfaitement imitée, mais fausse.

      La musique avait cessé de jouer, on vida les fourgons, on réintégra les meubles.

      Au milieu de cette agitation, Nelly resta seule à l’extrémité de la terrasse. Elle était grave et soucieuse, agitée de pensées confuses qu’elle ne cherchait pas à formuler. Soudain, elle aperçut Velmont qui s’approchait. Elle souhaita de l’éviter, mais l’angle de la balustrade qui porte la terrasse l’entourait de deux côtés, et une ligne de grandes caisses d’arbustes : orangers, lauriers-roses et bambous, ne lui laissait d’autre retraite que le chemin par où s’avançait le jeune homme. Elle ne bougea pas. Un rayon de soleil tremblait sur ses cheveux d’or, agité par les feuilles frêles d’un bambou. Quelqu’un prononça très bas :

      – J’ai tenu ma promesse de cette nuit.

      Arsène Lupin était près d’elle, et autour d’eux il n’y avait personne.

      Il répéta, l’attitude hésitante, la voix timide :

      – J’ai tenu ma promesse de cette nuit.

      Il attendait un mot de remerciement, un geste du moins qui prouvât l’intérêt qu’elle prenait à cet acte. Elle se tut.

      Ce mépris irrita Arsène Lupin, et, en même temps, il avait le sentiment profond de tout ce qui le séparait de Nelly, maintenant qu’elle savait la vérité. Il eût voulu se disculper, chercher des excuses, montrer sa vie dans ce qu’elle avait d’audacieux et de grand. Mais, d’avance, les paroles le froissaient, et il sentait l’absurdité et l’insolence de toute explication. Alors il murmura tristement, envahi d’un flot de souvenirs :

      – Comme le passé est loin ! Vous rappelez-vous les longues heures sur le pont de la Provence. Ah ! Tenez… vous aviez, comme aujourd’hui, une rose à la main, une rose pâle comme celle-ci… Je vous l’ai demandée… vous n’avez pas eu l’air d’entendre… Cependant, après votre départ, j’ai trouvé la rose… oubliée sans doute… Je l’ai gardée…

      Elle ne répondit pas encore. Elle semblait très loin de lui. Il continua :

      – En mémoire de ces heures, ne songez pas à ce que vous savez. Que le passé se relie au présent ! Que je ne sois pas celui que vous avez vu cette nuit, mais celui d’autrefois, et que vos yeux me regardent, ne fût-ce qu’une seconde, comme ils me regardaient… Je vous en prie… Ne suis-je plus le même ?

      Elle leva les yeux, comme il le demandait, et le regarda. Puis, sans un mot, elle posa son doigt sur une bague qu’il portait à l’index. On n’en pouvait voir que l’anneau, mais le chaton, retourné à l’intérieur, était formé d’un rubis merveilleux.

      Arsène Lupin rougit. Cette bague appartenait à Georges Devanne.

      Il sourit avec amertume.

      – Vous avez raison. Ce qui a été sera toujours. Arsène Lupin n’est et ne peut être qu’Arsène Lupin, et entre vous et lui, il ne peut même pas y avoir un souvenir… Pardonnez-moi… J’aurais dû comprendre que ma seule présence auprès de vous est un outrage…

      Il s’effaça le long de la balustrade, le chapeau à la main. Nelly passa devant lui. Il fut tenté de la retenir, de l’implorer. L’audace lui manqua, et il la suivit des yeux, comme un jour lointain où elle traversait la passerelle sur le quai de New York. Elle monta les degrés qui conduisent à la porte. Un instant encore sa fine silhouette se dessina parmi les marbres du vestibule. Il ne la vit plus.

      Un nuage obscurcit le soleil. Arsène Lupin observait, immobile, la trace des petits pas empreints dans le sable. Tout à coup, il tressaillit : sur la chaise de bambou contre laquelle Nelly s’était appuyée gisait la rose, la rose pâle qu’il n’avait pas osé lui demander… Oubliée sans doute, elle aussi ? Mais oubliée volontairement ou par distraction ?

      Il la saisit ardemment. Des pétales s’en détachèrent. Il les ramassa un à un comme des reliques…

      – Allons, se dit-il, je n’ai plus rien à faire ici. D’autant que si Herlock Sholmès s’en mêle, ça pourrait devenir mauvais.

      Le parc était désert. Cependant, près du pavillon qui commande l’entrée, se tenait un groupe de gendarmes. Il s’enfonça dans les taillis, escalada le mur d’enceinte et prit, pour se rendre à la gare la plus proche, un sentier qui serpentait parmi les champs. Il n’avait point marché durant dix minutes que le chemin se rétrécit, encaissé entre deux talus, et comme il arrivait dans ce défilé, quelqu’un s’y engageait qui venait en sens inverse.

      C’était un homme d’une cinquantaine d’années peut-être, assez fort, la figure rasée, et dont le costume précisait l’aspect étranger. Il portait à la main une lourde canne, et une sacoche pendait à son cou.

      Ils se croisèrent. L’étranger dit, avec un accent anglais à peine perceptible :

      – Excusez-moi, monsieur… est-ce bien ici la route du château ?

      – Tout droit, monsieur, et à gauche dès que vous serez au pied du mur. On vous attend avec impatience.

      – Ah !

      – Oui, mon ami Devanne nous annonçait votre visite dès hier soir.

      – Tant pis pour monsieur Devanne s’il a trop parlé.

      – Et je suis heureux d’être le premier à vous saluer. Herlock Sholmès n’a pas d’admirateur plus fervent que moi.

      Il y eut dans sa voix une nuance imperceptible d’ironie qu’il regretta aussitôt, car Herlock Sholmès le considéra des pieds à la tête, et d’un œil à la fois si enveloppant et si aigu, qu’Arsène Lupin eut l’impression d’être saisi, emprisonné, enregistré par ce regard, plus exactement et plus essentiellement qu’il ne l’avait jamais été par aucun appareil photographique.

      « Le cliché est pris, pensa-t-il. Plus la peine de me déguiser avec ce bonhomme-là. Seulement… m’a-t-il reconnu ? »

      Ils se saluèrent. Mais un bruit de pas résonna, un bruit de chevaux qui caracolent dans un cliquetis d’acier. C’étaient les gendarmes. Les deux hommes durent se coller contre le talus, dans l’herbe haute, pour éviter d’être bousculés. Les gendarmes passèrent, et comme ils se suivaient à une certaine distance, ce fut assez long. Et Lupin songeait :

      « Tout dépend de cette question : m’a-t-il reconnu ? Si oui, il y a bien des chances pour qu’il abuse de la situation. Le problème est angoissant. »

      Quand


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