Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

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ne touche à rien… Le Chef va venir !

      – 4 –

      Arsène Lupin !

      Gourel répétait ces deux mots fatidiques d’un air absolument pétrifié. Ils résonnaient en lui comme un glas. Arsène Lupin ! Le bandit-roi ! L’aventurier suprême ! Voyons, était-ce possible ?

      – Mais non, mais non, murmura-t-il, ce n’est pas possible, puisqu’il est mort !

      Seulement, voilà, était-il réellement mort ?

      Arsène Lupin !

      Debout près du cadavre, il demeurait stupide, abasourdi, tournant et retournant la carte avec une certaine crainte, comme s’il venait de recevoir la provocation d’un fantôme. Arsène Lupin ! Qu’allait-il faire ? Agir ?

      Engager la bataille avec ses propres ressources ? Non, non il valait mieux ne pas agir… Les fautes étaient inévitables s’il relevait le défi d’un tel adversaire. Et puis le Chef n’allait-il pas venir ? Le Chef va venir ! Toute la psychologie de Gourel se résumait dans cette petite phrase. Habile et persévérant, plein de courage et d’expérience, d’une force herculéenne, il était de ceux qui ne vont de l’avant que lorsqu’ils sont dirigés et qui n’accomplissent de bonne besogne que lorsqu’elle leur est commandée.

      Combien ce manque d’initiative s’était aggravé depuis que M. Lenormand avait pris la place de M. Dudouis au service de la Sûreté ! Celui-là était un chef, M. Lenormand ! Avec celui-là, on était sûr de marcher dans la bonne voie ! Si sûr, même, que Gourel s’arrêtait dès que l’impulsion du Chef ne lui était plus donnée.

      Mais le Chef allait venir ! Sur sa montre, Gourel calculait l’heure exacte de cette arrivée. Pourvu que le commissaire de police ne le précédât point et que le juge d’instruction, déjà désigné sans doute, ou le médecin légiste, ne vinssent pas faire d’inopportunes constatations avant que le Chef n’eût eu le temps de fixer dans son esprit les points essentiels de l’affaire !

      – Eh bien, Gourel, à quoi rêves-tu ?

      – Le Chef !

      M. Lenormand était un homme encore jeune, si l’on considérait l’expression même de son visage, ses yeux qui brillaient sous ses lunettes ; mais c’était presque un vieillard si l’on notait son dos voûté, sa peau sèche comme jaunie à la cire, sa barbe et ses cheveux grisonnants, toute son apparence brisée, hésitante, maladive.

      Il avait péniblement passé sa vie aux colonies, comme commissaire du Gouvernement, dans les postes les plus périlleux. Il y avait gagné des fièvres, une énergie indomptable malgré sa déchéance physique, l’habitude de vivre seul, de parler peu et d’agir en silence, une certaine misanthropie et, soudain, vers cinquante-cinq ans, à la suite de la fameuse affaire des trois Espagnols de Biskra, la grande, la juste notoriété. On réparait alors l’injustice, et, d’emblée, on le nommait à Bordeaux, puis sous-chef à Paris, puis, à la mort de M. Dudouis, chef de la Sûreté. Et, en chacun de ces postes, il avait montré une invention si curieuse dans les procédés, de telles ressources, des qualités si neuves, si originales, et surtout il avait abouti à des résultats si précis dans la conduite des quatre ou cinq derniers scandales qui avaient passionné l’opinion publique qu’on opposait son nom à celui des plus illustres policiers. Gourel, lui, n’hésita pas. Favori du Chef, qui l’aimait pour sa candeur et pour son obéissance passive, il mettait M. Lenormand au-dessus de tous. C’était l’idole, le dieu qui ne se trompe pas.

      M. Lenormand, ce jour-là, semblait particulièrement fatigué. Il s’assit avec lassitude, écarta les pans de sa redingote, une vieille redingote célèbre par sa coupe surannée et par sa couleur olive, dénoua son foulard, un foulard marron également fameux, et murmura :

      – Parle.

      Gourel raconta tout ce qu’il avait vu et tout ce qu’il avait appris, et il le raconta sommairement, selon l’habitude que le Chef lui avait imposée.

      Mais quand il exhiba la carte de Lupin, M. Lenormand tressaillit.

      – Lupin ! s’écria-t-il.

      – Oui, Lupin, le voilà revenu sur l’eau, cet animal-là.

      – Tant mieux, tant mieux, fit M. Lenormand après un instant de réflexion.

      – évidemment, tant mieux, reprit Gourel, qui se plaisait à commenter les rares paroles d’un supérieur auquel il ne reprochait que d’être trop peu loquace, tant mieux, car vous allez enfin vous mesurer avec un adversaire digne de vous… Et Lupin trouvera son maître… Lupin n’existera plus… Lupin…

      – Cherche, fit M. Lenormand, lui coupant la parole.

      On eût dit l’ordre d’un chasseur à son chien. Et, de fait, ce fut à la manière d’un bon chien, vif, intelligent, fureteur, que chercha Gourel sous les yeux de son maître. Du bout de sa canne, M. Lenormand désignait tel coin, tel fauteuil, comme on désigne un buisson ou une touffe d’herbe avec une conscience minutieuse.

      – Rien, conclut le brigadier.

      – Rien pour toi, grogna M. Lenormand.

      – C’est ce que je voulais dire… Je sais que, pour vous, il y a des choses qui parlent comme des personnes, de vrais témoins. N’empêche que voilà un crime bel et bien établi à l’actif du sieur Lupin.

      – Le premier, observa M. Lenormand.

      – Le premier, en effet… Mais c’était inévitable. On ne mène pas cette vie-là, sans, un jour ou l’autre, être acculé au crime par les circonstances. M. Kesselbach se sera défendu…

      – Non, puisqu’il était attaché.

      – En effet, avoua Gourel déconcerté, et c’est même fort curieux… Pourquoi tuer un adversaire qui n’existe déjà plus ?… Mais n’importe, si je lui avais mis la main au collet, hier, quand nous nous sommes trouvés l’un en face de l’autre, au seuil du vestibule…

      M. Lenormand avait passé sur le balcon. Puis il visita la chambre de M. Kesselbach, à droite, vérifia la fermeture des fenêtres et des portes.

      – Les fenêtres de ces deux pièces étaient fermées quand je suis entré, affirma Gourel.

      – Fermées ou poussées ?

      – Personne n’y a touché. Or, elles sont fermées, chef…

      Un bruit de voix les ramena au salon. Ils y trouvèrent le médecin légiste, en train d’examiner le cadavre, et M. Formerie, juge d’instruction.

      Et M. Formerie s’exclamait :

      – Arsène Lupin ! Enfin, je suis heureux qu’un hasard bienveillant me remette en face de ce bandit ! Le gaillard verra de quel bois je me chauffe !… Et cette fois il s’agit d’un assassin !… À nous deux, maître Lupin !

      M. Formerie n’avait pas oublié l’étrange aventure du diadème de la princesse de Lamballe, et l’admirable façon dont Lupin l’avait roulé, quelques années auparavant. La chose était restée célèbre dans les annales du Palais. On en riait encore, et M. Formerie, lui, en conservait un juste sentiment de rancune et le désir de prendre une revanche éclatante.

      – Le crime est évident, prononça-t-il de son air le plus convaincu, le mobile nous sera facile à découvrir. Allons, tout va bien… Monsieur Lenormand, je vous salue… Et je suis enchanté…

      M. Formerie n’était nullement enchanté. La présence de M. Lenormand lui agréait au contraire fort peu, le chef de la Sûreté ne dissimulant guère le mépris où il le tenait. Pourtant il se redressa, et toujours solennel :

      – Alors, docteur, vous estimez que la mort remonte à une douzaine d’heures environ, peut-être davantage ?… C’est ce que je


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