Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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laisse-moi faire. Et sois tranquille. Je n’ai nullement l’intention, comme tu dis, de mêler Geneviève à toutes mes manigances. C’est à peine si elle me verra… Seulement, quoi, il fallait bien prendre contact… C’est fait… Adieu.

      Il sortit de l’école, et se dirigea vers son automobile.

      Il était tout heureux.

      – Elle est charmante… et si douce, si grave ! Les yeux de sa mère, ces yeux qui m’attendrissaient jusqu’aux larmes… Mon Dieu, comme tout cela est loin ! Et quel joli souvenir… un peu triste, mais si joli !

      Et il dit à haute voix :

      – Certes oui, je m’occuperai de son bonheur. Et tout de suite encore ! Et dès ce soir ! Parfaitement, dès ce soir, elle aura un fiancé ! Pour les jeunes filles, n’est-ce pas la condition du bonheur ?

      – 4 –

      Il retrouva son auto sur la grand-route.

      – Chez moi, dit-il à Octave.

      Chez lui il demanda la communication de Neuilly, téléphona ses instructions à celui de ses amis qu’il appelait le Docteur, puis s’habilla.

      Il dîna au cercle de la rue Cambon, passa une heure à l’Opéra, et remonta dans son automobile.

      – À Neuilly, Octave. Nous allons chercher le Docteur. Quelle heure est-il ?

      – Dix heures et demie.

      – Fichtre ! Active !

      Dix minutes après, l’automobile s’arrêtait à l’extrémité du boulevard Inkermann, devant une villa isolée. Au signal de la trompe, le Docteur descendit. Le prince lui demanda :

      – L’individu est prêt ?

      – Empaqueté, ficelé, cacheté.

      – En bon état ?

      – Excellent. Si tout se passe comme vous me l’avez téléphoné, la police n’y verra que du feu.

      – C’est son devoir. Embarquons-le.

      Ils transportèrent dans l’auto une sorte de sac allongé qui avait la forme d’un individu, et qui semblait assez lourd. Et le prince dit :

      – À Versailles, Octave, rue de la Vilaine, devant l’hôtel des Deux-Empereurs.

      – Mais c’est un hôtel borgne, fit remarquer le Docteur, je le connais.

      – À qui le dis-tu ? Et la besogne sera dure, pour moi du moins… Mais sapristi, je ne donnerais pas ma place pour une fortune ! Qui donc prétendait que la vie est monotone ?

      L’hôtel des Deux-Empereurs… une allée boueuse… deux marches à descendre, et l’on pénètre dans un couloir où veille la lueur d’une lampe.

      Du poing, Sernine frappa contre une petite porte.

      Un garçon d’hôtel apparut. C’était Philippe, celui-là même à qui, le matin, Sernine avait donné des ordres au sujet de Gérard Baupré.

      – Il est toujours là ? demanda le prince.

      – Oui.

      – La corde ?

      – Le nœud est fait.

      – Il n’a pas reçu le télégramme qu’il espérait ?

      – Le voici, je l’ai intercepté. Sernine saisit le papier bleu et lut.

      – Bigre, dit-il avec satisfaction, il était temps. On lui annonçait pour demain un billet de mille francs. Allons, le sort me favorise. Minuit moins un quart. Dans un quart d’heure le pauvre diable s’élancera dans l’éternité. Conduis-moi, Philippe. Reste là. Docteur.

      Le garçon prit la bougie. Ils montèrent au troisième étage et suivirent, en marchant sur la pointe des pieds, un corridor bas et puant, garni de mansardes, et qui aboutissait à un escalier de bois où moisissaient les vestiges d’un tapis.

      – Personne ne pourra m’entendre ? demanda Sernine.

      – Personne. Les deux chambres sont isolées. Mais ne vous trompez pas, il est dans celle de gauche.

      – Bien. Maintenant, redescends. À minuit, le Docteur, Octave et toi, vous apporterez l’individu là où nous sommes, et vous attendrez.

      L’escalier de bois avait dix marches que le prince gravit avec des précautions infinies… En haut, un palier et deux portes. Il fallut cinq longues minutes à Sernine pour ouvrir celle de droite sans qu’un grincement rompît le silence.

      Une lumière luisait dans l’ombre de la pièce. À tâtons, pour ne pas heurter une des chaises, il se dirigea vers cette lumière. Elle provenait de la chambre voisine et filtrait à travers une porte vitrée que recouvrait un lambeau de tenture.

      Le prince écarta ce lambeau. Les carreaux étaient dépolis, mais abîmés, rayés par endroits, de sorte que, en appliquant un œil, on pouvait voir aisément tout ce qui se passait dans l’autre pièce.

      Un homme s’y trouvait, qu’il aperçut de face, assis devant une table… C’était le poète Gérard Baupré.

      Il écrivait à la clarté d’une bougie.

      Au-dessus de lui pendait une corde qui était attachée à un crochet fixé dans le plafond. À l’extrémité inférieure de la corde, un nœud coulant s’arrondissait.

      Un coup léger tinta à une horloge de la ville.

      « Minuit moins cinq, pensa Sernine… Encore cinq minutes. »

      Le jeune homme écrivait toujours. Au bout d’un instant il déposa sa plume, mit en ordre les dix ou douze feuillets de papier qu’il avait noircis d’encre, et se mit à les relire.

      Cette lecture ne parut pas lui plaire, car une expression de mécontentement passa sur son visage. Il déchira son manuscrit et en brûla les morceaux à la flamme de la bougie. Puis, d’une main fiévreuse, il traça quelques mots sur une feuille blanche, signa brutalement et se leva.

      Mais, ayant aperçu, à dix pouces au-dessus de sa tête, la corde, il se rassit d’un coup avec un grand frisson d’épouvante.

      Sernine voyait distinctement sa pâle figure, ses joues maigres contre lesquelles il serrait ses poings crispés. Une larme coula, une seule, lente et désolée. Les yeux fixaient le vide, des yeux effrayants de tristesse, et qui semblaient voir déjà le redoutable néant.

      Et c’était une figure si jeune ! Des joues si tendres encore, que ne rayait la cicatrice d’aucune ride ! Et des yeux bleus, d’un bleu de ciel oriental.

      Minuit… les douze coups tragiques de minuit, auxquels tant de désespérés ont accroché la dernière seconde de leur existence !

      Au douzième, il se dressa de nouveau et, bravement cette fois, sans trembler, regarda la corde sinistre. Il essaya même un sourire – pauvre sourire, lamentable grimace du condamné que la mort a déjà saisi.

      Rapidement il monta sur la chaise et prit la corde d’une main.

      Un instant il resta là, immobile, non point qu’il hésitât ou manquât de courage, mais c’était l’instant suprême, la minute de grâce que l’on s’accorde avant le geste fatal.

      Il contempla la chambre infâme où le mauvais destin l’avait acculé, l’affreux papier des murs, le lit misérable.

      Sur la table, pas un livre : tout avait été vendu. Pas une photographie, pas une enveloppe de lettre ! Il n’avait plus ni père, ni mère, plus de famille… Qu’est-ce qui le rattachait à l’existence ? Rien, ni personne.

      D’un mouvement brusque, il engagea sa tête dans le nœud coulant et tira sur


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