Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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séparés par une haine sauvage, chacun d’eux, sûr de vaincre et le voulant avec une volonté sans frein, ils attendaient la minute propice, Altenheim pour supprimer Sernine, et Sernine pour précipiter Altenheim dans le gouffre qu’il creusait devant lui. Tous deux savaient que le dénouement ne pouvait tarder. L’un ou l’autre y laisserait sa peau, et c’était une question d’heures, de jours, tout au plus.

      Drame passionnant, et dont un homme comme Sernine devait goûter l’étrange et puissante saveur. Connaître son adversaire et vivre à ses côtés, savoir que, au moindre pas, à la moindre étourderie, c’est la mort qui vous guette, quelle volupté !

      Un jour, dans le jardin du cercle de la rue Cambon, dont Altenheim faisait également partie, ils étaient seuls, à cette heure de crépuscule où l’on commence à dîner au mois de juin, et où les joueurs du soir ne sont pas encore là. Ils se promenaient autour d’une pelouse, le long de laquelle il y avait, bordé de massifs, un mur que perçait une petite porte. Et soudain, pendant qu’Altenheim parlait, Sernine eut l’impression que sa voix devenait moins assurée, presque tremblante. Du coin de l’œil il l’observa. La main d’Altenheim était engagée dans la poche de son veston, et Sernine vit, à travers l’étoffe, cette main qui se crispait au manche d’un poignard, hésitante, indécise, tour à tour résolue et sans force.

      Moment délicieux ! Allait-il frapper ? Qui remporterait, de l’instinct peureux et qui n’ose pas, ou de la volonté consciente, toute tendue vers l’acte de tuer ?

      Le buste droit, les bras derrière le dos, Sernine attendait, avec des frissons d’angoisse et de plaisir. Le baron s’était tu, et dans le silence ils marchaient tous les deux côte à côte.

      – Mais frappe donc ! s’écria le prince.

      Il s’était arrêté, et, tourné vers son compagnon :

      – Frappe donc, disait-il, c’est l’instant ou jamais ! Personne ne peut te voir. Tu files par cette petite porte dont la clef se trouve par hasard accrochée au mur, et bonjour, baron… ni vu ni connu… Mais j’y pense, tout cela était combiné… C’est toi qui m’as amené ici… Et tu hésites ? Mais frappe donc !

      Il le regardait au fond des yeux. L’autre était livide, tout frémissant d’énergie impuissante.

      – Poule mouillée ! ricana Sernine. Je ne ferai jamais rien de toi. La vérité, veux-tu que je te la dise ? Eh bien, je te fais peur. Mais oui, tu n’es jamais très sûr de ce qui va t’arriver quand tu es en face de moi. C’est toi qui veux agir, et ce sont mes actes, mes actes possibles, qui dominent la situation. Non, décidément, tu n’es pas encore celui qui fera pâlir mon étoile !

      Il n’avait pas achevé ce mot qu’il se sentit pris au cou et attiré en arrière. Quelqu’un, qui se cachait dans le massif, près de la petite porte, l’avait happé par la tête. Il vit un bras qui se levait, armé d’un couteau dont la lame était toute brillante. Le bras s’abattit, la pointe du couteau l’atteignit en pleine gorge.

      Au même moment, Altenheim sauta sur lui pour l’achever, et ils roulèrent dans les plates-bandes. Ce fut l’affaire de vingt à trente secondes, tout au plus. Si fort qu’il fût, si entraîné aux exercices de lutte, Altenheim céda presque aussitôt, en poussant un cri de douleur. Sernine se releva et courut vers la petite porte qui venait de se refermer sur une silhouette sombre. Trop tard ! Il entendit le bruit de la clef dans la serrure. Il ne put l’ouvrir.

      – Ah ! Bandit ! jura-t-il, le jour où je t’aurai, ce sera le jour de mon premier crime ! Mais pour Dieu !…

      Il revint, se baissa, et recueillit les morceaux du poignard qui s’était brisé en le frappant.

      Altenheim commençait à bouger. Il lui dit :

      – Eh bien, baron, ça va mieux ? Tu ne connaissais pas ce coup-là, hein ? C’est ce que j’appelle le coup direct au plexus solaire, c’est-à-dire que ça vous mouche votre soleil vital, comme une chandelle. C’est propre, rapide, sans douleur… et infaillible. Tandis qu’un coup de poignard ?… Peuh ! Il n’y a qu’à porter un petit gorgerin à mailles d’acier, comme j’en porte moi-même, et l’on se fiche de tout le monde, surtout de ton petit camarade noir, puisqu’il frappe toujours à la gorge, le monstre idiot ! Tiens, regarde son joujou favori… Des miettes !

      Il lui tendit la main.

      – Allons, relève-toi, baron. Je t’invite à dîner. Et veuille bien te rappeler le secret de ma supériorité : une âme intrépide dans un corps inattaquable.

      Il rentra dans les salons du cercle, retint une table pour deux personnes, s’assit sur un divan et attendit l’heure du dîner en songeant :

      « évidemment la partie est amusante, mais ça devient dangereux. Il faut en finir… Sans quoi, ces animaux-là m’enverront au paradis plus tôt que je ne veux… L’embêtant, c’est que je ne peux rien faire contre eux avant d’avoir retrouvé le vieux Steinweg… Car, au fond, il n’y a que cela d’intéressant, le vieux Steinweg, et si je me cramponne au baron, c’est que j’espère toujours recueillir un indice quelconque… Que diable en ont-ils fait ? Il est hors de doute qu’Altenheim est en communication quotidienne avec lui, il est hors de doute qu’il tente l’impossible pour lui arracher des informations sur le projet Kesselbach. Mais où le voit-il ? Où l’a-t-il fourré ? Chez des amis ? Chez lui, au 29 de la villa Dupont ? »

      Il réfléchit assez longtemps, puis alluma une cigarette dont il tira trois bouffées et qu’il jeta. Ce devait être un signal, car deux jeunes gens vinrent s’asseoir à côté de lui, qu’il semblait ne point connaître, mais avec lesquels il s’entretint furtivement.

      C’étaient les frères Doudeville, en hommes du monde ce jour-là.

      – Qu’y a-t-il, patron ?

      – Prenez six de nos hommes, allez au 29 de la villa Dupont, et entrez.

      – Fichtre ! Comment ?

      – Au nom de la loi. N’êtes-vous pas inspecteurs de la Sûreté ? Une perquisition.

      – Mais nous n’avons pas le droit…

      – Prenez-le.

      – Et les domestiques ? S’ils résistent ?

      – Ils ne sont que quatre.

      – S’ils crient ?

      – Ils ne crieront pas.

      – Si Altenheim revient ?

      – Il ne reviendra pas avant dix heures. Je m’en charge. Ça vous fait deux heures et demie. C’est plus qu’il ne vous en faut pour fouiller la maison de fond en comble. Si vous trouvez le vieux Steinweg, venez m’avertir.

      Le baron Altenheim s’approchait, il alla au-devant de lui.

      – Nous dînons, n’est-ce pas ? Le petit incident du jardin m’a creusé l’estomac. À ce propos, mon cher baron, j’aurais quelques conseils à vous donner…

      Ils se mirent à table.

      Après le repas, Sernine proposa une partie de billard, qui fut acceptée. Puis, la partie de billard terminée, ils passèrent dans la salle de baccara. Le croupier justement clamait :

      – La banque est à cinquante louis, personne n’en veut ?

      – Cent louis, dit Altenheim.

      Sernine regarda sa montre. Dix heures. Les Doudeville n’étaient pas revenus. Donc les recherches demeuraient infructueuses.

      – Banco, dit-il.

      Altenheim s’assit et répartit les cartes.

      – J’en donne.

      – Non.

      – Sept.

      – Six.

      –


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