Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан
– Je n’ai pas besoin de secours, grogna l’Allemand.
Il se pencha de nouveau. L’auto n’était plus qu’à deux ou trois cents mètres. Il dit à ses hommes en leur désignant Lupin :
– Qu’on l’attache ! Et s’il résiste… Il tira son revolver.
– Pourquoi résisterais-je, doux Teuton ? ricana Lupin.
Et il ajouta tandis qu’on lui liait les mains :
– Il est vraiment curieux de voir comme les gens prennent des précautions quand c’est inutile, et n’en prennent pas quand il le faut. Que diable peut vous faire cette auto ? Des complices à moi ? Quelle idée !
Sans répondre, l’Allemand donnait des ordres au mécanicien :
– À droite ! Ralentis… Laisse-les passer… S’ils ralentissent aussi, halte !
Mais à son grand étonnement, l’auto semblait au contraire redoubler de vitesse. Comme une trombe elle passa devant la voiture, dans un nuage de poussière.
Debout, à l’arrière de la voiture qui était en partie découverte, on distingua la forme d’un homme vêtu de noir.
Il leva le bras.
Deux coups de feu retentirent.
Le comte, qui masquait toute la portière gauche, s’affaissa dans la voiture.
Avant même de s’occuper de lui, les deux compagnons sautèrent sur Lupin et achevèrent de le ligoter.
– Gourdes ! Butors ! cria Lupin qui tremblait de rage… Lâchez-moi au contraire ! Allons, bon, voilà qu’on arrête ! Mais triples idiots, courez donc dessus… Rattrapez-le !… C’est l’homme noir… l’assassin… Ah ! Les imbéciles…
On le bâillonna. Puis on s’occupa du comte. La blessure ne paraissait pas grave et l’on eût vite fait de la panser. Mais le malade, très surexcité, fut pris d’un accès de fièvre et se mit à délirer.
Il était huit heures du matin. On se trouvait en rase campagne, loin de tout village. Les hommes n’avaient aucune indication sur le but exact du voyage. Où aller ? Qui prévenir ?
On rangea l’auto le long d’un bois et l’on attendit.
Toute la journée s’écoula de la sorte. Ce n’est qu’au soir qu’un peloton de cavalerie arriva, envoyé de Trêves à la recherche de l’automobile. Deux heures plus tard, Lupin descendait de la limousine, et, toujours escorté de ses deux Allemands, montait, à la lueur d’une lanterne, les marches d’un escalier qui conduisait dans une petite chambre aux fenêtres barrées de fer.
Il y passa la nuit.
Le lendemain matin un officier le mena, à travers une cour encombrée de soldats, jusqu’au centre d’une longue série de bâtiments qui s’arrondissaient au pied d’un monticule où l’on apercevait des ruines monumentales.
On l’introduisit dans une vaste pièce sommairement meublée. Assis devant un bureau, son visiteur de l’avant-veille lisait des journaux et des rapports qu’il biffait à gros traits de crayon rouge.
– Qu’on nous laisse, dit-il à l’officier.
Et s’approchant de Lupin :
– Les papiers.
Le ton n’était plus le même. C’était maintenant le ton impérieux et sec du maître qui est chez lui, et qui s’adresse à un inférieur – et quel inférieur ! Un escroc, un aventurier de la pire espèce, devant lequel il avait été contraint de s’humilier !
– Les papiers, répéta-t-il.
Lupin ne se démonta pas. Il dit calmement :
– Ils sont dans le château de Veldenz.
– Nous sommes dans les communs du château de Veldenz.
– Les papiers sont dans ces ruines.
– Allons-y. Conduisez-moi.
Lupin ne bougea pas.
– Eh bien ?
– Eh bien ! Sire, ce n’est pas aussi simple que vous le croyez. Il faut un certain temps pour mettre en jeu les éléments nécessaires à l’ouverture de cette cachette.
– Combien d’heures vous faut-il ?
– Vingt-quatre.
Un geste de colère, vite réprimé.
– Ah ! Il n’avait pas été question de cela entre nous.
– Rien n’a été précisé, Sire… cela pas plus que le petit voyage que Sa Majesté m’a fait faire entre six gardes du corps. Je dois remettre les papiers, voilà tout.
– Et moi je ne dois vous donner la liberté que contre la remise de ces papiers.
– Question de confiance, Sire. Je me serais cru tout aussi engagé à rendre ces papiers si j’avais été libre, au sortir de prison, et Votre Majesté peut être sûre que je ne les aurais pas emportés sous mon bras. L’unique différence, c’est qu’ils seraient déjà en votre possession. Sire. Car nous avons perdu un jour. Et un jour, dans cette affaire… c’est un jour de trop… Seulement, voilà, il fallait avoir confiance.
L’Empereur regardait avec une certaine stupeur ce déclassé, ce bandit qui semblait vexé qu’on se méfiât de sa parole.
Sans répondre, il sonna.
– L’officier de service, ordonna-t-il.
Le comte de Waldemar apparut, très pâle.
– Ah ! C’est toi, Waldemar ? Tu es remis ?
– À vos ordres. Sire.
– Prends cinq hommes avec toi… les mêmes puisque tu es sûr d’eux. Tu ne quitteras pas ce… monsieur jusqu’à demain matin. Il regarda sa montre.
– Jusqu’à demain matin, dix heures… Non, je lui donne jusqu’à midi. Tu iras où il lui plaira d’aller, tu feras ce qu’il te dira de faire. Enfin, tu es à sa disposition. À midi, je te rejoindrai. Si, au dernier coup de midi, il ne m’a pas remis le paquet de lettres, tu le remonteras dans ton auto, et, sans perdre une seconde, tu le ramèneras droit à la prison de la Santé.
– S’il cherche à s’évader
– Arrange-toi.
Il sortit.
Lupin prit un cigare sur la table et se jeta dans un fauteuil.
– À la bonne heure ! J’aime mieux cette façon d’agir. C’est franc et catégorique.
Le comte avait fait entrer ses hommes. Il dit à Lupin :
– En marche !
Lupin alluma son cigare et ne bougea pas.
– Liez-lui les mains ! fit le comte.
Et lorsque l’ordre fut exécuté, il répéta :
– Allons… en marche !
– Non.
– Comment, non ?
– Je réfléchis.
– À quoi ?
– À l’endroit où peut se trouver cette cachette.
Le comte sursauta.
– Comment ! Vous ignorez ?
– Parbleu ! ricana Lupin, et c’est ce qu’il y a de plus joli dans l’aventure, je n’ai pas la plus petite idée sur cette fameuse cachette, ni les moyens de la découvrir. Hein, qu’en dites-vous, mon