Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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me révélèrent. Tout de suite j’eus cette idée me servir, pour sauver mon fils aîné, de son frère, de mon petit Jacques, si mince lui aussi et si intelligent, si brave comme vous avez pu le voir. Nous partîmes dans la nuit. Sur les indications de mes compagnons, je trouvai, au domicile personnel de Gilbert, les doubles clefs de votre appartement de la rue Matignon, où vous deviez coucher, paraît-il. En route, Grognard et Le Ballu me confirmèrent dans ma résolution, et je pensais beaucoup moins à vous demander secours qu’à vous reprendre le bouchon de cristal, lequel évidemment, s’il avait été découvert à Enghien, devait être chez vous. Je ne me trompais pas. Au bout de quelques minutes, mon petit Jacques, qui s’était introduit dans votre chambre, me le rapportait. Je m’en allai, frémissante d’espoir. Maîtresse à mon tour du talisman, le gardant pour moi seule, sans en prévenir Prasville, j’avais tout pouvoir sur Daubrecq. Je le faisais agir à ma guise et, dirigé par moi, esclave de ma volonté, il multiplierait les démarches en faveur de Gilbert, obtiendrait qu’on le laissât évader, ou tout au moins qu’on ne le condamnât pas. C’était le salut.

      – Eh bien ?

      Clarisse se leva dans un élan de tout son être, se pencha sur Lupin, et lui dit d’une voix sourde :

      – Il n’y avait rien dans ce morceau de cristal, rien, vous entendez, aucun papier, aucune cachette. Toute l’expédition d’Enghien était inutile ! Inutile, le meurtre de Léonard ! Inutile, l’arrestation de mon fils ! Inutiles, tous mes efforts !

      – Mais pourquoi ? Pourquoi ?

      – Pourquoi ? Vous aviez volé à Daubrecq, non pas le bouchon fabriqué sur son ordre, mais le bouchon qui avait servi de modèle au verrier John Howard, de Stourbridge.

      Si Lupin n’avait pas été en face d’une douleur aussi profonde, il n’eût pu retenir quelqu’une de ces boutades ironiques que lui inspirent les malices du destin.

      Il dit entre ses dents :

      – Est-ce bête ! Et d’autant plus bête qu’on avait donné l’éveil à Daubrecq.

      – Non, dit-elle, le jour même, je me rendis à Enghien. Dans tout cela Daubrecq n’avait vu et ne voit encore aujourd’hui qu’un cambriolage ordinaire, qu’une mainmise sur ses collections. Votre participation l’a induit en erreur.

      – Cependant le bouchon a disparu…

      – D’abord cet objet ne peut avoir pour lui qu’une importance secondaire, puisque ce n’est que le modèle.

      – Comment le savez-vous ?

      Il y a une éraflure à la base de la tige, et je me suis renseignée depuis en Angleterre.

      – Soit, mais pourquoi la clef du placard où il fut volé ne quittait-elle pas le domestique ? Et pourquoi, en second lieu, l’a-t-on retrouvé dans le tiroir d’une table chez Daubrecq, à Paris ?

      – Évidemment Daubrecq y fait attention, et il y tient comme on tient au modèle d’une chose qui a de la valeur. Et c’est précisément pourquoi j’ai remis ce bouchon dans le placard, avant qu’il n’en eût constaté la disparition. Et c’est pourquoi aussi, la seconde fois, je vous fis reprendre le bouchon par mon petit Jacques, dans la poche même de votre pardessus, et le fis replacer par la concierge.

      – Alors, il ne soupçonne rien ?

      – Rien, il sait qu’on cherche la liste, mais il ignore que Prasville et moi nous connaissons l’objet où il la cache.

      Lupin s’était levé et marchait à travers la pièce en réfléchissant. Puis il s’arrêta près de Clarisse Mergy.

      – En somme, depuis les événements d’Enghien, vous n’avez pas fait un seul pas en avant ?

      – Pas un seul, dit-elle. J’ai agi au jour le jour, conduite par ces deux hommes ou bien les conduisant, tout cela sans plan précis.

      – Ou du moins, dit-il, sans autre plan que d’arracher à Daubrecq la liste des vingt-sept.

      – Oui, mais comment ? En outre, vos manœuvres me gênaient, nous n’avions pas tardé à reconnaître, dans la nouvelle cuisinière de Daubrecq, votre vieille servante Victoire, et à découvrir, grâce aux indications de la concierge, que Victoire vous donnait asile, et j’avais peur de vos projets.

      – C’est vous, n’est-ce pas, qui m’écriviez de me retirer de la lutte ?

      – Oui.

      – Vous également qui me demandiez de ne pas aller au théâtre le soir du Vaudeville ?

      – Oui, la concierge avait surpris Victoire écoutant la conversation que Daubrecq et moi nous avions par téléphone, et Le Ballu, qui surveillait la maison, vous avait vu sortir. Je pensais donc bien que vous fileriez Daubrecq, le soir.

      – Et l’ouvrière qui est venue ici, une fin d’après-midi ?

      – C’était moi, moi, découragée, qui voulais vous voir.

      – Et c’est vous qui avez intercepté la lettre de Gilbert ?

      – Oui, j’avais reconnu son écriture sur l’enveloppe.

      – Mais votre petit Jacques n’était pas avec vous ?

      – Non. Il était dehors, en automobile avec Le Ballu. Je l’ai fait monter par la fenêtre du salon, et il s’est glissé dans cette chambre par l’orifice du panneau.

      – Que contenait la lettre ?

      – Malheureusement des reproches de Gilbert. Il vous accusait de le délaisser, de prendre l’affaire à votre compte. Bref, cela me confirmait dans ma méfiance. Je me suis enfuie.

      Lupin haussa les épaules avec irritation.

      – Que de temps perdu ! Et par quelle fatalité n’avons-nous pas pu nous entendre plus tôt ! Nous jouions tous deux à cache-cache… Nous nous tendions des pièges absurdes… Et les jours passaient, des jours précieux, irréparables.

      – Vous voyez, vous voyez, dit-elle en frissonnant… vous aussi, vous avez peur de l’avenir !

      – Non, je n’ai pas peur, s’écria Lupin. Mais je pense à ce que nous aurions pu déjà accomplir d’utile si nous avions réuni nos efforts. Je pense à toutes les erreurs, à toutes les imprudences que notre accord nous eût évitées. Je pense que votre tentative de cette nuit pour fouiller les vêtements que porte Daubrecq, fut tout aussi vaine que les autres, et que, en ce moment, grâce à notre duel stupide, grâce au tumulte que nous avons fait dans son hôtel, Daubrecq est averti et se tiendra sur ses gardes plus encore qu’auparavant.

      Clarisse Mergy hocha la tête.

      – Non, non, je ne crois pas, le bruit n’a pas dû le réveiller, car nous avions retardé d’un jour cette tentative pour que la concierge pût mêler à son vin un narcotique très violent.

      Et elle ajouta lentement :

      – Et puis, voyez-vous, aucun événement ne fera que Daubrecq se tienne davantage sur ses gardes. Sa vie n’est qu’un ensemble de précautions contre le danger. Rien n’est laissé au hasard… D’ailleurs, n’a-t-il pas tous les atouts dans les mains ?

      Lupin s’approcha et lui demanda :

      – Que voulezvous dire ? Selon vous il n’y aurait donc pas d’espoir de ce côté ? Il n’y aurait pas un seul moyen pour arriver au but ?

      – Si, murmura-t-elle, il y en a un, un seul…

      Avant qu’elle eût caché de nouveau son visage entre ses mains, il remarqua sa pâleur. Et de nouveau un frisson de fièvre la secoua tout entière.

      Il crut comprendre la raison de son épouvante, et, se penchant vers elle, ému par sa douleur :

      – Je vous en prie, répondez sans détours. C’est à cause de Gilbert, n’est-ce pas ?… Si la justice n’a pas pu, heureusement,


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