Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан
Je vous prie donc de ne pas ajouter un mot et de sortir d’ici.
– Je n’ai jamais eu l’intention de vous imposer ma présence indéfiniment, répondit Sholmès, aussi paisible qu’elle. Seulement j’ai résolu de ne pas sortir seul de cet hôtel.
– Et qui donc vous accompagnera, Monsieur ?
– Vous !
– Moi ?
– Oui, Mademoiselle, nous sortirons ensemble de cet hôtel, et vous me suivrez, sans une protestation, sans un mot.
Ce qu’il y avait d’étrange dans cette scène, c’était le calme absolu des deux adversaires. Plutôt qu’un duel implacable entre deux volontés puissantes, on eût dit, à leur attitude, au ton de leurs voix, le débat courtois de deux personnes qui ne sont pas du même avis.
Dans la rotonde, par la baie grande ouverte, on apercevait M. Destange qui maniait ses livres avec des gestes mesurés.
Clotilde se rassit en haussant légèrement les épaules. Herlock tira sa montre.
– Il est dix heures et demie. Dans cinq minutes nous partons.
– Sinon ?
– Sinon, je vais trouver M. Destange, et je lui raconte…
– Quoi ?
– La vérité. Je lui raconte la vie mensongère de Maxime Bermond, et je lui raconte la double vie de sa complice.
– De sa complice ?
– Oui, de celle que l’on appelle la Dame blonde, de celle qui fut blonde.
– Et quelles preuves lui donnerez-vous ?
– Je l’emmènerai rue Chalgrin, et je lui montrerai le passage qu’Arsène Lupin, profitant des travaux dont il avait la direction, a fait pratiquer par ses hommes entre le 40 et le 42, le passage qui vous a servi à tous les deux, l’avant-dernière nuit.
–Après ?
– Après, j’emmènerai M. Destange chez Maître Detinan, nous descendrons l’escalier de service par lequel vous êtes descendue avec Arsène Lupin pour échapper à Ganimard. Et nous chercherons tous deux la communication sans doute analogue qui existe avec la maison voisine, maison dont la sortie donne sur le boulevard des Batignolles et non sur la rue Clapeyron ?
– Après ?
– Après, j’emmènerai M. Destange au château de Crozon, et il lui sera facile, à lui qui sait le genre de travaux exécutés par Arsène Lupin lors de la restauration de ce château, de découvrir les passages secrets qu’Arsène Lupin a fait pratiquer par ses hommes. Il constatera que ces passages ont permis à la Dame blonde de s’introduire, la nuit, dans la chambre de la comtesse et d’y prendre sur la cheminée le diamant bleu, puis, deux semaines plus tard, de s’introduire dans la chambre du conseiller Bleichen et de cacher ce diamant bleu au fond d’un flacon… acte assez bizarre, je l’avoue, petite vengeance de femme peut-être, je ne sais, cela n’importe point.
– Après ?
– Après, fit Herlock d’une voix plus grave, j’emmènerai M. Destange au 134 avenue Henri-Martin, et nous chercherons comment le Baron d’Hautrec…
– Taisez-vous, taisez-vous, balbutia la jeune fille, avec un effroi soudain… je vous défends ! … Alors vous osez dire que c’est moi… vous m’accusez…
– Je vous accuse d’avoir tué le Baron d’Hautrec.
– Non, non, c’est une infamie.
– Vous avez tué le Baron d’Hautrec, Mademoiselle. Vous étiez entrée à son service sous le nom d’Antoinette Bréhat, dans le but de lui ravir le diamant bleu, et vous l’avez tué.
De nouveau elle murmura, brisée, réduite à la prière :
– Taisez-vous, Monsieur, je vous en supplie. Puisque vous savez tant de choses, vous devez savoir que je n’ai pas assassiné le Baron.
– Je n’ai pas dit que vous l’aviez assassiné, Mademoiselle. Le Baron d’Hautrec était sujet à des accès de folie que, seule, la sœur Auguste pouvait maîtriser. Je tiens ce détail d’elle-même. En l’absence de cette personne, il a dû se jeter sur vous, et c’est au cours de la lutte, pour défendre votre vie, que vous l’avez frappé. Épouvantée par un tel acte, vous avez sonné et vous vous êtes enfuie sans même arracher du doigt de votre victime ce diamant bleu que vous étiez venue prendre. Un instant après vous rameniez un des complices de Lupin, domestique dans la maison voisine, vous transportiez le Baron sur son lit, vous remettiez la chambre en ordre… mais toujours sans oser prendre le diamant bleu. Voilà ce qui s’est passé. Donc, je le répète, vous n’avez pas assassiné le Baron. Cependant ce sont bien vos mains qui l’ont frappé.
Elle les avait croisées sur son front, ses longues mains fines et pâles, et elle les garda longtemps ainsi, immobiles. Enfin, déliant ses doigts, elle découvrit son visage douloureux et prononça :
– Et c’est tout cela que vous avez l’intention de dire à mon père ?
– Oui, et je lui dirai que j’ai comme témoins Mlle Gerbois, qui reconnaîtra la Dame blonde, la sœur Auguste qui reconnaîtra Antoinette Bréhat, la comtesse de Crozon qui reconnaîtra Mme de Réal. Voilà ce que je lui dirai.
– Vous n’oserez pas, dit-elle, recouvrant son sang-froid devant la menace d’un péril immédiat.
Il se leva et fit un pas vers la bibliothèque. Clotilde l’arrêta :
– Un instant, Monsieur.
Elle réfléchit, maîtresse d’elle-même maintenant, et, fort calme, lui demanda :
– Vous êtes Herlock Sholmès, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Que voulezvous de moi ?
– Ce que je veux ? J’ai engagé contre Arsène Lupin un duel dont il faut que je sorte vainqueur. Dans l’attente d’un dénouement qui ne saurait tarder beaucoup, j’estime qu’un otage aussi précieux que vous me donne sur mon adversaire un avantage considérable. Donc, vous me suivrez, Mademoiselle, je vous confierai à quelqu’un de mes amis. Dès que mon but sera atteint, vous serez libre.
– C’est tout ?
– C’est tout, je ne fais pas partie de la police de votre pays, et je ne me sens par conséquent aucun droit… de justicier.
Elle semblait résolue. Cependant elle exigea encore un moment de répit. Ses yeux se fermèrent, et Sholmès la regardait, si tranquille soudain, presque indifférente aux dangers qui l’entouraient.
« Et même, songeait l’Anglais, se croit-elle en danger ? Mais non, puisque Lupin la protège. Avec Lupin rien ne peut vous atteindre. Lupin est tout-puissant, Lupin est infaillible. »
– Mademoiselle, dit-il, j’ai parlé de cinq minutes, il y en a plus de trente.
– Me permettez-vous de monter dans ma chambre, Monsieur, et d’y prendre mes affaires ?
– Si vous le désirez, Mademoiselle, j’irai vous attendre rue Montchanin. Je suis un excellent ami du concierge Jeanniot.
– Ah ! vous savez… fit-elle avec un effroi visible.
– Je sais bien des choses.
– Soit. Je sonnerai donc.
On lui apporta son chapeau et son vêtement, et Sholmès lui dit :
– Il faut que vous donniez à M. Destange une raison qui explique notre départ, et que cette raison puisse au besoin expliquer votre absence pendant quelques jours.
– C’est inutile. Je serai ici tantôt.
De nouveau ils se défièrent du regard, ironiques tous deux et souriants.