Pierre Nozière. Anatole France

Pierre Nozière - Anatole France


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contre un crible.

      Je tirai la jupe d'indienne.

      "M'ame Mathias, pourquoi ils font ca? dis, m'ame Mathias?"

      Elle ne repondit point. Elle s'etait baissee pour ramasser quelque chose a terre. Je croyais d'abord que c'etait une epingle. Elle en trouvait chaque jour deux ou trois, qu'elle piquait a son corsage. Mais, cette fois, ce n'etait pas une epingle. C'etait un couteau de poche, dont le manche de cuivre representait la colonne Vendome.

      "Montre, montre-moi ce couteau, m'ame Mathias. Donne-le moi! Pourquoi tu ne me le donnes pas, dis?"

      Immobile, muette, elle regardait le petit couteau avec une attention profonde et je ne sais quoi d'egare qui me fit presque peur.

      "M'ame Mathias, qu'est-ce que tu as, dis?"

      Elle murmura, d'une voix faible que je ne lui connaissais pas:

      "Il en avait un tout pareil.

      —Qui donc ca? M'ame Mathias, qui donc qu'en avait un tout pareil?"

      Et tiree par la robe, elle me regarda, de ses yeux brules, ou l'on ne voyait que du rouge et du noir, toute surprise, comme si elle ne me savait plus la, et elle me repondit:

      "Mais c'etait Mathias, donc; c'etait Mathias.

      —Qui Mathias?"

      Elle se passa la main sur les paupieres qui resterent froissees et tirees, mit soigneusement le couteau dans sa poche, sous son mouchoir, et me repondit:

      "Mathias, mon mari.

      —Alors, tu l'avais epouse.

      —Je l'avais epouse pour mon malheur! J'etais riche, j'avais un moulin a Aunot, pres de Chartres. Il a mange la farine, l'ane et le moulin, et tout! Il m'a mise sur la paille et, quand je n'ai plus rien eu, il m'a quittee. C'etait un ancien militaire, un grenadier de l'Empereur, blesse a Waterloo. Il avait pris du vice a l'armee."

      Tout cela m'etonnait beaucoup; je reflechis un instant et je dis:

      "Ton mari, ce n'etait pas un mari comme papa, n'est-ce pas, m'ame

       Mathias?"

      Mme Mathias ne pleurait plus; c'est avec une sorte de fierte qu'elle me repondit:

      "Des hommes comme Mathias, il n'y en a plus. Il avait tout pour lui, celui-la! Grand, fort, et beau, et malin, et jovial! Et toujours bien tenu, toujours une rose a la boutonniere. C'etait un homme bien agreable!"

       Table des matières

      L'ECRIVAIN PUBLIC

      Dans l'humble maison que ma mere gouvernait avec sagesse, Mme Mathias n'etait precisement ni femme de charge ni bonne d'enfant, bien qu'elle s'occupat du menage et me menat promener tous les jours. Son grand age, son visage fier, son caractere ombrageux et farouche, donnaient a sa domesticite un air d'independance; elle gardait dans les soins les plus familiers l'expression tragique d'une personne qui a eu des malheurs; le souvenir lui en demeurait cher, et elle le conservait precieusement au dedans d'elle. Les levres serrees par l'habitude du silence, elle n'aimait point a raconter les aventures de sa vie passee.

      Elle apparaissait dans mon imagination d'enfant comme une maison devoree par un antique incendie. Je savais seulement que, nee, ainsi qu'elle le disait, l'annee de la mort du roi, fille de riches fermiers beaucerons, de bonne heure orpheline, elle avait epouse en 1815, a l'age de vingt-deux ans, le capitaine Mathias, un bien bel homme qui, mis a la demi-solde par les Bourbons, disait leur fait aux chevaliers du Lys, qu'il appelait poliment les compagnons d'Ulysse. Mes parents etaient un peu plus instruits. Ils n'ignoraient point que le capitaine Mathias avait mange les ecus de la fermiere au Rocher de Cancale, et que, laissant ensuite sa pauvre femme sur la paille, il s'en etait alle courir les filles. Dans les premieres annees de la monarchie de Juillet, Mme Mathias l'avait retrouve, par grand hasard, tandis qu'il sortait d'un cabaret de la rue de Rambuteau, ou, rase de frais, le teint vermeil sous ses cheveux blancs, une rose a la boutonniere, il donnait chaque jour des consultations aux commercants poursuivis par les huissiers.

      Il redigeait des actes devant une bouteille de vin blanc, en souvenir de son premier etat; car il avait ete saute-ruisseau avant d'entrer au regiment. Elle l'avait repris alors; elle l'avait ramene chez elle avec une joie triomphale. Mais il n'y etait pas reste longtemps; il avait disparu un jour, emportant, disait-on, une douzaine d'ecus caches par Mme Mathias sous sa paillasse. Depuis lors, on n'avait plus de ses nouvelles. On croyait qu'il s'etait laisse mourir dans un lit d'hopital, et on l'en approuvait.

      "C'est pour vous une delivrance", disait mon pere a Mme Mathias.

      Alors des larmes brulantes et comme enflammees montaient aux yeux de Mme

       Mathias; ses levres tremblaient, et elle ne repondait pas.

      Or, un jour de printemps, Mme Mathias, ayant serre sur ses epaules son terrible chale noir, m'emmena promener a l'heure accoutumee. Mais elle ne me conduisit pas ce jour-la aux Tuileries, notre jardin royal et familier, ou tant de fois, laissant ma balle et mes billes, j'avais colle mon oreille contre le piedestal de la statue du Tibre pour ecouter des voix mysterieuses. Elle ne me conduisit pas vers ces boulevards calmes et tristes d'ou l'on voit, au-dessus des lignes poudreuses des arbres, le dome dore sous lequel est couche dans son tombeau rouge Napoleon; elle ne me conduisit pas vers les avenues monotones ou elle se plaisait, assise sur un banc, a causer avec quelque invalide, tandis que je faisais des jardins dans la terre humide.

      En ce jour de printemps, elle prit un chemin inaccoutume, suivit des rues encombrees de passants et de voitures, bordees de boutiques ou s'etalaient des objets innombrables et divers, dont j'admirais les formes sans en concevoir l'usage. Les pharmacies surtout m'etonnaient par la grandeur et l'eclat de leurs bocaux. Quelques-unes de ces boutiques etaient peuplees de grandes statues peintes et dorees. Je demandai:

      "Quoi c'est, m'ame Mathias?"

      Et Mme Mathias me repondit avec la fermete d'une citoyenne nourrie dans les faubourgs de Paris:

      "C'est rien, c'est des bons dieux."

      Ainsi, dans ma tendre enfance, tandis que ma mere m'inclinait doucement au culte des images, Mme Mathias m'enseignait a mepriser la superstition. De la voie etroite ou nous etions, une grande place plantee de petits arbres m'apparut soudain. Je la reconnus et il me souvint de ma bonne Nanette en revoyant ce pavillon etrange ou des pretres de pierre sont assis, les pieds dans la vasque d'une fontaine. C'est avec Nanette que, dans des temps vagues et d'incertaine memoire, j'avais visite ces choses. En les revoyant, je fus saisi du regret de Nanette perdue. J'eus envie de courir en pleurant et en criant: "Nanette!" Mais soit faiblesse d'ame, soit delicatesse obscure du coeur, soit debilite d'esprit, je ne parlai point de Nanette a Mme Mathias.

      Nous traversames la place et nous nous engageames dans des ruelles aux paves pointus, qu'une grande eglise recouvrait de son ombre humide. Sur les portails ornes de pyramides et de boules moussues, ca et la une statue faisait un grand geste en l'air et des couples de pigeons s'envolaient devant nous.

      Ayant contourne la grande eglise, nous primes une rue bordee de porches sculptes et de vieux murs au-dessus desquels les acacias penchaient leurs branches fleuries. Il y avait, a gauche, dans une encoignure, une echoppe vitree avec cette enseigne: Ecrivain public. Des lettres et des enveloppes etaient collees sur tous les carreaux. Du toit de zinc sortait un tuyau de cheminee coiffe d'un grand chapeau. Mme Mathias tourna le bec de canne et, me poussant devant elle, entra dans l'echoppe. Un vieillard, courbe sur une table, leva la tete a notre vue. Des favoris en fer a cheval bordaient ses joues roses. Ses cheveux blancs s'enlevaient sur son front comme dans un coup de vent orageux. Sa redingote noire etait par endroits blanchie et luisante. Il portait un bouquet de violettes a la boutonniere.

      "Tiens! c'est la vieille!" dit-il sans se lever.

      Puis me regardant d'un air peu sympathique:

      "C'est


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