Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires. Galopin Arnould

Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires - Galopin Arnould


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avec une rapidité folle, car le film était très long, paraît-il, et il fallait l'expédier en un nombre déterminé de minutes, afin que le programme pût être épuisé à onze heures juste.

      Par une ironie assez étrange, cela débutait par un cambriolage accompli dans des conditions particulièrement difficiles, mais comme on voyait bien que ce n'étaient pas des «professionnels» qui jouaient dans cette pièce! Le cambrioleur était d'une maladresse insigne et opérait avec une naïveté ridicule. Il forçait un coffre-fort comme il eût ouvert un placard, et ne prenait même pas la peine de masquer avec le pan de sa jaquette la petite lampe électrique suspendue à la ceinture de son pantalon.

      Quant au détective, c'était bien le plus grand benêt qui se pût voir, et il serait à souhaiter que nous n'eussions jamais devant nous des gaillards plus dégourdis.

      Non, vraiment, ceux qui se figurent que des films semblables peuvent inspirer les jeunes gens qui se destinent au cambriolage, ceux-là se trompent étrangement. De pareils spectacles ne servent qu'à fausser l'esprit des débutants, et à faire d'eux ce que nous appelons des «mazettes». Ils veulent, dans la vie, opérer comme au cinéma et se font cueillir à la douzaine.

      Si un jour, je me décide à paraître sur l'écran—la chose n'est pas impossible, après tout—alors, le public comprendra la différence qu'il y a entre un vulgaire escarpe et un artiste de la cambriole.

      Profitant d'un moment où Alcide était absolument empaumé par une scène tragique, je me levai doucement, longeai dans l'obscurité l'étroit couloir ménagé entre les fauteuils et, deux minutes après, j'étais dans la rue.

      Du cinéma des Ternes au 210 du boulevard de Courcelles, il n'y a que deux pas, et pendant qu'Alcide suivait attentivement les phases palpitantes de la Sandale Rouge, un autre cambrioleur, qu'il ne soupçonnait pas, montait tranquillement l'escalier qui conduit à l'appartement de M. Bénoni. Le vieil antiquaire habitait au troisième et j'étais sûr, ce soir-là, de ne pas le rencontrer chez lui, car, ainsi que me l'avait appris ce bon Alcide, il passait sa soirée chez une petite poule des Batignolles.

      Au premier étage, je rencontrai une dame et m'effaçai poliment. Elle me décocha un petit coup d'œil en coulisse et je crus remarquer que je ne lui étais pas indifférent. Je continuai à monter lentement, et arrivé au troisième, je me penchai sur la rampe de l'escalier... Personne!... J'écoutai quelques instants et, n'entendant aucun bruit, je m'approchai de la porte de l'antiquaire.

      Tirant alors de ma poche mon trousseau de cambrioleur, je me mis à caresser doucement la serrure qui s'ouvrit du premier coup, car cet étourdi d'Alcide n'avait même pas pris la précaution de donner un tour de clef.

      Je refermai la porte sans bruit et fis jouer le déclic de ma petite lampe de poche. J'étais dans une antichambre tendue d'andrinople; un tapis moelleux recouvrait le parquet; des meubles qui n'avaient rien d'ancien étaient placés le long de la muraille et je m'étonnai de ne pas trouver là quelqu'un de ces bahuts, de ces coffres à ferrures, de ces cassettes moyenageuses qui ornent habituellement l'intérieur d'un collectionneur. Ce qui me frappa aussi, ce fut l'extrême propreté de cet appartement où je m'attendais à voir tout pêle-mêle. Une grande porte en laqué blanc et à bouton de cuivre ouvragé s'offrait en face de moi. D'après le plan que m'avait involontairement fourni Alcide, c'était là que devait se trouver le cabinet de M. Bénoni. Il s'agissait de faire vite, car j'ignorais à quelle heure devait rentrer le bonhomme.

      Je tournai résolument le bouton, la porte s'ouvrit, mais ô surprise! un flot de clarté m'aveugla dès l'entrée, en même temps qu'une voix dure, prononçait, avec un accent bizarre: «Un pas de plus et vous êtes mort!...»

      C'est seulement à cette minute que j'aperçus celui qui me menaçait. Il se tenait debout, derrière un bureau et braquait sur moi le canon d'un revolver. C'était un homme d'une quarantaine d'années, solidement bâti, très brun, et dont les yeux brillaient comme des ampoules électriques.

      J'avais eu un mouvement de recul, mais la voix reprit, plus sèche, plus impérieuse:

      —Si vous tentez de fuir, je tire!

      Et ce disant, l'inconnu s'avança vers moi.

      Nous sommes, dans notre métier, préparés à toutes les surprises, mais avouez que celle-là était plutôt roide.

      Je me ressaisis cependant et cherchai une excuse:

      —Pardon... Monsieur... balbutiai-je. Je croyais trouver ici M. Bénoni à qui j'ai une affaire à proposer et...

      L'homme brun éclata de rire, eut un haussement d'épaules, puis m'ordonna de lever les mains, ce que je fis sans murmurer, car je voyais toujours le petit canon du revolver braqué entre mes deux yeux...

      —Je vous assure... repris-je... c'est à M. Bénoni que je désirais parler... il était d'ailleurs prévenu de ma visite...

      —Ah! répliqua mon interlocuteur d'un ton narquois... ah! il était prévenu de votre visite... Est-ce lui aussi qui vous avait prié de crocheter sa serrure?...

      —Je...

      —Taisez-vous, gredin... vous êtes un cambrioleur... un maladroit cambrioleur, voilà tout...

      C'était la première fois que l'on m'appelait maladroit et c'était la première fois aussi que je me trouvais face à face avec un de mes «fournisseurs» habituels.

      On a beau avoir du sang-froid, ces coups imprévus vous coupent bras et jambes.

      —Oui, un maladroit... reprit l'homme brun avec un haussement d'épaules... on prend ses informations, que diable! et l'on ne vient pas stupidement se jeter dans la gueule du loup...

      Ne sachant que répondre, je répétais machinalement le nom de M. Bénoni...

      —Qu'est-ce que vous me chantez avec votre Bénoni?... est-ce que je le connais, moi, votre Bénoni?... vous cherchez une défaite, mais ça ne prend pas... vous savez... Vous êtes ici chez le comte Melchior de Manzana, attaché d'ambassade...

      —Cependant... fis-je avec un peu plus d'assurance, c'est bien ici le troisième étage?

      —Mais non... idiot... c'est le deuxième... vous n'avez donc pas remarqué qu'il y a un entresol... Faut-il que vous soyez bouché, tout de même... Et vous vous livrez au cambriolage!... c'est probablement la première fois que vous opérez?...

      —Oui... c'est la première fois, avouai-je humblement, dans l'espoir d'attendrir l'homme au revolver...

      —Vous n'aurez pas de sitôt l'envie de recommencer, prononça-t-il sèchement, car je vais incontinent vous remettre entre les mains des sergents de ville...

      —Oh! je vous en supplie... ne faites pas cela... ayez pitié de moi... je ne vous ai, en somme, causé aucun préjudice... et puis, j'ai une circonstance atténuante... ce n'est pas chez vous que je venais... il y a erreur.

      —Vous êtes bon, vous, avec vos erreurs... Ah! vous prenez gaîment les choses! Vous vous introduisez chez les gens dans l'intention de mettre à sac leur appartement et quand vous tombez sur quelqu'un qui ne veut pas se laisser faire vous vous excusez, en disant: «Pardon... il y a erreur...» C'est commode cela... oui, très commode en vérité, mais je ne saurais admettre une telle excuse... mon devoir est de vous faire arrêter, car si je vous laissais partir, demain vous recommenceriez votre joli métier et feriez peut-être des victimes...

      —Oh! non, je vous le jure, répondis-je d'un ton larmoyant...

      —Ta, ta, ta!... tout ça, c'est de la blague... vous cherchez à m'apitoyer, mais vous n'y réussirez pas... D'ailleurs, vous ne dites pas un mot de vrai... vous prétendez vous être trompé d'étage, cela n'est pas exact...

      —Je vous jure que j'allais chez M. Bénoni...

      —Oui... dites que vous y êtes allé, et que, n'ayant rien trouvé chez lui, vous avez pensé vous rattraper ici... Ça ne prend pas... allez raconter cela à d'autres, mais


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