La sagesse et la destinée. Maurice Maeterlinck

La sagesse et la destinée - Maurice Maeterlinck


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ouvrir toutes les portes, et à l'auberge, et dans la boutique de M. Sauce, le brave épicier du village, enfin à l'arrivée de Goguelat et de Choiseul, entourés des hussards qui apportent le salut, à vingt reprises, tout n'a-t-il pas dépendu d'un oui ou d'un non, d'un pas, d'un geste, d'un regard? Mettez dix hommes que vous connaissez assez intimement dans la situation du roi de France, et vous prévoirez à coup sûr l'issue de leurs dix nuits. Ah! c'est bien là la nuit honteuse, la nuit révélatrice de la fatalité! Vit-on jamais plus clairement la dépendance, la misère familière et effarée de cette grande force mystérieuse qui dans nos heures trop résignées semble peser sur notre vie? La vit-on jamais, plus complètement dépouillée de ses vêtements empruntés, imposants et trompeurs, aller et venir, cent fois de suite et tout en larmes, de la mort à la vie, de la vie à la mort, et se jeter enfin, comme une femme épouvantée, dans les bras d'un malheureux homme un peu moins inexistant, un peu moins indécis qu'elle-même, pour implorer jusqu'au matin une décision, une existence qu'elle ne trouve jamais qu'au fond d'une intelligence, d'une volonté humaine?

       Table des matières

      Pourtant, ce n'est pas là toute la vérité. Il est salutaire d'envisager les choses de cette façon, de diminuer ainsi le rôle de la fatalité, de la traiter comme une femme hésitante et égarée qu'il convient de recueillir et de guider. Cela nous donne, en attendant notre heure dangereuse, une confiance, une initiative, un courage sans lesquels on ne ferait rien d'utile: mais cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas autre chose, qu'il ne faille jamais compter qu'avec sa volonté et son intelligence. L'intelligence et la volonté, comme des soldats victorieux, doivent s'habituer à vivre aux dépens de tout ce qui leur fait la guerre. Elles doivent apprendre à se nourrir de l'inconnu qui les domine. On ne sort du bonheur trop étroit des hommes sans mission, on ne sort des actes ordinaires, qu'en marchant avec une certitude volontaire dans le sentier que l'on connaît, tout en ne cessant pas de songer à l'espace inexploré à travers lequel ce sentier se déroule. Accoutumons-nous à agir comme si tout nous était soumis; mais en entretenant dans notre âme une pensée chargée de se soumettre noblement aux grandes forces que nous rencontrerons. Il est nécessaire que la main croie que l'on a tout prévu; mais qu'une idée secrète, inviolable, incorruptible, n'oublie jamais que tout ce qui est grand est presque toujours imprévu. C'est l'imprévu, c'est l'inconnu qui exécutent ce que nous n'aurions pas osé tenter; mais ils ne viennent à notre aide que s'ils trouvent au fond de notre coeur un autel qui leur soit dédié. Voyez la part que, dans leurs actes extraordinaires, les hommes les plus doués de volonté, comme Napoléon, savent réserver à la fortune. Ceux qui n'ont aucune espérance généreuse emprisonnent le hasard, comme un enfant chétif; les autres lui livrent toutes grandes les plaines sans limites que l'être humain n'a pas encore la force de parcourir, mais ne l'y perdent pas de vue.

       Table des matières

      Il en est de ces heures convulsives de l'histoire comme des tempêtes sur la mer. On vient du fond des plaines, on accourt sur la plage, on regarde du haut des falaises, on attend quelque chose, on interroge les vagues énormes avec je ne sais quelle curiosité puérilement passionnée. En voici une trois fois plus haute et plus furieuse que les autres. Elle s'avance comme un monstre aux muscles transparents. Elle se déroule en hâte du bout de l'horizon, porteuse, semble-t-il, d'une révélation urgente et décisive. Elle creuse derrière elle un sillon si profond qu'il va livrer sans doute l'un des secrets de l'Océan; et de même qu'entre les plus indolentes petites vagues des jours sans souffle et sans nuage, des flots limpides et insondables, roulent sur d'autres flots limpides et insondables. Pas un être vivant, pas une herbe, pas une pierre ne surgit.

      Si quelque chose pouvait décourager le sage, qui n'est point sage tant qu'un motif inattendu de découragement n'illumine pas son étonnement et n'élève pas sa curiosité, on trouverait dans cette même Révolution française, plus d'une destinée infiniment plus sombre, plus écrasante et plus inexplicable que celle de Louis XVI. Je songe aux Girondins, je songe surtout à l'admirable Vergniaud. Même aujourd'hui que nous savons tout ce que l'avenir lui cachait, et que nous devinons à peu près où voulait en venir l'idée instinctive d'un siècle exceptionnel, il nous serait probablement impossible d'agir plus sagement, plus noblement que lui. Il serait, en tout cas, difficile à tout homme, jeté par le hasard dans le brasier d'un drame qui n'avait plus de bornes, d'unir à un plus grand esprit un plus grand caractère. Le beau fantôme sans souillure, le bel être sans crainte, sans arrière-pensées, sans erreurs, sans faiblesses, que parfois nous formons au fond de notre coeur, de toutes nos forces les plus pures, de toute notre sagesse et de tout notre amour, voudrait aller s'asseoir non loin de lui, sur ces bancs déjà déserts de la Convention «où semblait planer l'ombre de la mort» pour penser, pour parler, pour agir comme il fit. Il aperçut ce qu'il y avait d'éternel et d'infaillible de l'autre côté du moment tragique, il sut rester fidèle à l'humanité et à l'indulgence durant des jours terribles où l'humanité et l'indulgence semblaient les pires ennemis d'un idéal de justice auquel il avait tout sacrifié; et, «dans un grand et noble doute, il alla courageusement, directement et infiniment au delà de ce qui paraissait raisonnable, réalisable et juste». La mort, violente mais attendue, vint à sa rencontre avant qu'il eût fait la moitié du chemin, pour nous apprendre que bien souvent, dans ces étranges luttes de l'homme et du destin, il ne s'agit pas de sauver la vie de notre corps, mais celle de nos sentiments les plus beaux et de nos meilleures pensées.

      Qu'importent mes meilleures pensées si je n'existe plus? disent les uns; que reste-t-il de moi, si pour conserver ma vie, tout ce que j'aime doit périr dans mon coeur et dans mon esprit? leur répondent les autres. Et n'est-ce pas à ce choix-là que se réduit presque toujours toute la morale, toute la vertu, tout l'héroïsme humain?

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