Le comte de Moret. Alexandre Dumas

Le comte de Moret - Alexandre Dumas


Скачать книгу
les douze pieds carrés lui donnaient plus de travail et d'embarras que le reste du monde.

      Il rentrait triste, lassé, presque dégoûté, murmurant comme Luther: «Il est des moments où Notre-Seigneur a l'air de s'ennuyer du jeu et de jeter les cartes sous la table.»

      C'est qu'il savait aussi à quel fil, à quel cheveu, à quel souffle tenait non seulement sa puissance, mais sa vie. Son cilice à lui était fait de pointes de poignards. Il sentait qu'il en était, en 1628, où Henri IV en était en 1606. Tout le monde avait besoin de sa mort; ce qu'il y avait de pis, c'est que Louis XIII n'aimait pas ce visage pointu; lui seul le soutenait, mais à tout moment Richelieu se sentait chanceler sous les défaillances royales.

      Ce n'eût été rien encore si cet homme de génie eût été sain et vigoureux comme l'était son odieux rival Bérulle; mais l'insuffisance de l'argent, l'effort continuel d'esprit pour inventer des ressources, dix intrigues de cour auxquelles il fallait faire face à la fois, le tenaient sans cesse dans une agitation terrible.

      C'était cette fièvre qui lui empourprait les pommettes des joues, tout en lui faisant un front de marbre et des mains d'ivoire.

      Joignez à cela les discussions théologiques, la rage des vers, la nécessité de ravaler le fiel et la fureur, et, du jour au lendemain, brûlé aux entrailles par un fer rouge, il était à deux doigts de la mort.

      Curieux accouplement que celui de ces deux malades. Par bonheur, le roi pressentait, sans en être sûr cependant, que si Richelieu lui manquait, le royaume était perdu; mais, par malheur, Richelieu savait que, le roi mort, il n'avait pas vingt-quatre heures à vivre; haï de Gaston, haï d'Anne d'Autriche, haï de la reine mère, haï de M. de Soissons qu'il tenait en exil, haï des deux Vendôme qu'il tenait en prison, haï de toute la noblesse qu'il empêchait de scandaliser Paris par des duels en place publique, il devait s'arranger pour mourir le même jour au moins que Louis XIII, à la même heure s'il était possible.

      Une seule personne lui était fidèle, dans ce jeu de bascule, dans cette bonne et mauvaise fortune qui se succédait si rapidement que le même jour qui amenait l'orage, tôt après ramenait le soleil.

      C'était sa fille adoptive, sa nièce, madame de Combalet, que nous avons vue chez madame de Rambouillet, avec ce costume de carmélite qu'elle portait depuis la mort de son mari.

      Aussi, la première chose qu'il fit en rentrant dans son appartement de la Place-Royale, fut-elle de frapper sur un timbre.

      Trois portes s'ouvrirent presqu'en même temps.

      A l'une apparaissait Guillemot, son valet de chambre de confiance.

      A l'autre, Charpentier, son secrétaire.

      A la troisième, Rossignol, son déchiffreur de dépêches.

      —Ma nièce est-elle rentrée? demanda-t-il à Guillemot.

      —Elle rentre à l'instant même, monseigneur, répondit le valet de chambre.

      —Dis-lui que je dois passer la nuit au travail, et demande lui si elle veut me venir voir ici, ou si elle préfère que je monte chez elle.

      Le valet de chambre referma la porte, et s'en alla exécuter l'ordre qu'il avait reçu.

      Se retournant alors vers Charpentier:

      —Avez-vous vu le révérend père Joseph? lui demanda-t-il.

      —Il est venu deux fois dans la soirée, et il faut, dit-il, qu'il parle à monseigneur ce soir.

      —S'il revient une troisième fois, faites-le entrer. M. de Cavois est dans la chambre des gardes?

      —Oui, monseigneur.

      —Prévenez-le de ne pas s'éloigner... Il se pourrait que j'eusse cette nuit besoin de ses services.

      Le secrétaire se retira.

      —Et vous, Rossignol, demanda le cardinal, avez-vous trouvé le chiffre de la lettre que je vous ai donnée? Vous savez... cette lettre volée dans les papiers de Senelle, le médecin du roi, à son retour de Lorraine.

      —Oui, monseigneur, répondit avec un accent méridional des plus prononcés, un petit homme de quarante-cinq à cinquante ans, presque bossu par l'habitude de se tenir courbé, dont le trait le plus saillant était un long nez, sur lequel il eût pu étager trois ou quatre paires de lunettes, et sur lequel il avait la modestie de n'en faire chevaucher qu'une. Il est on ne peut plus facile: le roi s'appelle Céphale, la reine Procris, Votre Eminence l'Oracle, Mme de Combalet Vénus.

      —C'est bien, dit le cardinal, donnez-moi la clef entière du chiffre, je lirai la dépêche moi-même.

      Rossignol fit un pas en arrière pour se retirer.

      —A propos, ajouta le cardinal, vous me ferez signer demain une gratification de vingt pistoles.

      —Monseigneur n'a pas d'autres ordres à me donner?

      —Non, rentrez dans votre cabinet, faites la clef du chiffre et me la tenez prête pour le moment où je vous appellerai.

      Rossignol se retira à reculons et en saluant jusqu'à terre.

      Au moment où la porte se refermait sur lui, le bruit d'une espèce de grelot chevrotta, à peine perceptible, dans le tiroir même du bureau du cardinal.

      Il ouvrit le tiroir et trouva le grelot frémissant encore. Aussitôt, en manière de réponse, il appuya le bout du doigt sur un petit bouton, qui correspondait sans doute à l'appartement de Mme de Combalet, car une minute après elle entrait chez son oncle par une porte opposée à celles qui, jusque-là, s'étaient ouvertes.

      Un grand changement s'était fait dans son costume; elle avait enlevé son voile et son bandeau, son scapulaire et sa guimpe, de sorte qu'elle n'avait plus que sa tunique d'étamine serrée à la taille par une ceinture de cuir; ses beaux cheveux châtains, délivrés de leur prison, tombaient en boucles soyeuses jusque sur ses épaules, et sa tunique, un peu plus décolletée que l'ordre ne l'eût permis si elle eût été une vraie carmélite au lieu d'en porter seulement l'habit à la suite d'un vœu, laissait voir la forme d'un sein dont un bouquet de violettes et de boutons de rose, bouquet que nous avons déjà remarqué, mais sur sa guimpe, chez Mme de Rambouillet, en indiquait tout à la fois la naissance et la séparation.

      Cette tunique brune, posée sans intermédiaire sur la peau, faisait ressortir la blancheur satinée de son col élégant et de ses belles mains, et comme sa taille n'était point emprisonnée dans les corsets de fer que l'on portait à cette époque, elle ondulait gracieuse, sous ces plis élégants que fait la laine, c'est-à-dire l'étoffe qui drape le mieux.

      A la vue de cette adorable créature, tout enveloppée d'un parfum mystique, qui, atteignant à peine vingt-cinq ans, était dans toute la fleur de sa beauté, et que la simplicité de son costume rendait plus belle et plus gracieuse encore, s'il était possible, le visage froncé du cardinal se détendit, un rayon illumina cette physionomie sombre, un soupir d'allégement souleva sa poitrine, et il étendit vers elle ses deux bras en disant:

      —Oh! venez, venez, Marie!

      La jeune femme n'avait pas besoin de cet encouragement, car elle venait à lui avec un charmant sourire, détachant son bouquet de son corsage, le portant à ses lèvres, et le présentant à son oncle.

      —Merci, mon bel enfant chéri, dit le cardinal, qui, sous prétexte de respirer le bouquet, le porta à son tour à ses lèvres; merci, ma fille bien aimée!

      Puis, l'attirant à lui, et l'embrassant au front, comme un père eût fait à sa fille:

      —Oui, j'aime les fleurs, elles sont fraîches comme vous, parfumées comme vous.

      —Vous êtes cent fois bon, cher oncle! Vous m'avez fait dire que vous désiriez me voir, serais-je assez heureuse pour que vous eussiez besoin de moi?

      —J'ai toujours


Скачать книгу