Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера. Александр Дюма

Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера - Александр Дюма


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ce que je vous en dis, répondit Aramis, n’est point pour vous chercher une querelle. Dieu merci ! je ne suis pas un spadassin, et n’étant mousquetaire que par intérim, je ne me bats que lorsque j’y suis forcé, et toujours avec une grande répugnance ; mais cette fois l’affaire est grave, car voici une dame compromise par vous.

      – Par nous, c’est-à-dire, s’écria d’Artagnan.

      – Pourquoi avez-vous eu la maladresse de me rendre le mouchoir ?

      – Pourquoi avez-vous eu celle de le laisser tomber ?

      – J’ai dit et je répète, monsieur, que ce mouchoir n’est point sorti de ma poche.

      – Eh bien, vous en avez menti deux fois, monsieur, car je l’en ai vu sortir, moi !

      – Ah ! vous le prenez sur ce ton, monsieur le Gascon ! eh bien, je vous apprendrai à vivre.

      – Et moi je vous renverrai à votre messe, monsieur l’abbé ! Dégainez, s’il vous plaît, et à l’instant même.

      – Non pas, s’il vous plaît, mon bel ami ; non, pas ici, du moins. Ne voyez-vous pas que nous sommes en face de l’hôtel d’Aiguillon, lequel est plein de créatures du cardinal ? Qui me dit que ce n’est pas Son Éminence qui vous a chargé de lui procurer ma tête ? Or j’y tiens ridiculement, à ma tête, attendu qu’elle me semble aller assez correctement à mes épaules. Je veux donc vous tuer, soyez tranquille, mais vous tuer tout doucement, dans un endroit clos et couvert, là où vous ne puissiez vous vanter de votre mort à personne.

      – Je le veux bien, mais ne vous y fiez pas, et emportez votre mouchoir, qu’il vous appartienne ou non ; peut-être aurez-vous l’occasion de vous en servir.

      – Monsieur est Gascon ? demanda Aramis.

      – Oui. Monsieur ne remet pas un rendez-vous par prudence ?

      – La prudence, monsieur, est une vertu assez inutile aux mousquetaires, je le sais, mais indispensable aux gens d’Église, et comme je ne suis mousquetaire que provisoirement, je tiens à rester prudent. À deux heures, j’aurai l’honneur de vous attendre à l’hôtel de M. de Tréville. Là je vous indiquerai les bons endroits. »

      Les deux jeunes gens se saluèrent, puis Aramis s’éloigna en remontant la rue qui remontait au Luxembourg, tandis que d’Artagnan, voyant que l’heure s’avançait, prenait le chemin des Carmes-Deschaux, tout en disant à part soi :

      « Décidément, je n’en puis pas revenir ; mais au moins, si je suis tué, je serai tué par un mousquetaire. »

      V. Les mousquetaires du roi et les gardes de M. le cardinal

      D’Artagnan ne connaissait personne à Paris. Il alla donc au rendez-vous d’Athos sans amener de second, résolu de se contenter de ceux qu’aurait choisis son adversaire. D’ailleurs son intention était formelle de faire au brave mousquetaire toutes les excuses convenables, mais sans faiblesse, craignant qu’il ne résultât de ce duel ce qui résulte toujours de fâcheux, dans une affaire de ce genre, quand un homme jeune et vigoureux se bat contre un adversaire blessé et affaibli : vaincu, il double le triomphe de son antagoniste ; vainqueur, il est accusé de forfaiture et de facile audace.

      Au reste, ou nous avons mal exposé le caractère de notre chercheur d’aventures, ou notre lecteur a déjà dû remarquer que d’Artagnan n’était point un homme ordinaire. Aussi, tout en se répétant à lui-même que sa mort était inévitable, il ne se résigna point à mourir tout doucettement, comme un autre moins courageux et moins modéré que lui eût fait à sa place. Il réfléchit aux différents caractères de ceux avec lesquels il allait se battre, et commença à voir plus clair dans sa situation. Il espérait, grâce aux excuses loyales qu’il lui réservait, se faire un ami d’Athos, dont l’air grand seigneur et la mine austère lui agréaient fort. Il se flattait de faire peur à Porthos avec l’aventure du baudrier, qu’il pouvait, s’il n’était pas tué sur le coup, raconter à tout le monde, récit qui, poussé adroitement à l’effet, devait couvrir Porthos de ridicule ; enfin, quant au sournois Aramis, il n’en avait pas très grand-peur, et en supposant qu’il arrivât jusqu’à lui, il se chargeait de l’expédier bel et bien, ou du moins en le frappant au visage, comme César avait recommandé de faire aux soldats de Pompée, d’endommager à tout jamais cette beauté dont il était si fier.

      Ensuite il y avait chez d’Artagnan ce fonds inébranlable de résolution qu’avaient déposé dans son coeur les conseils de son père, conseils dont la substance était : « Ne rien souffrir de personne que du roi, du cardinal et de M. de Tréville. » Il vola donc plutôt qu’il ne marcha vers le couvent des Carmes Déchaussés, ou plutôt Deschaux, comme on disait à cette époque, sorte de bâtiment sans fenêtres, bordé de prés arides, succursale du Pré-aux-Clercs, et qui servait d’ordinaire aux rencontres des gens qui n’avaient pas de temps à perdre.

      Lorsque d’Artagnan arriva en vue du petit terrain vague qui s’étendait au pied de ce monastère, Athos attendait depuis cinq minutes seulement, et midi sonnait. Il était donc ponctuel comme la Samaritaine, et le plus rigoureux casuiste à l’égard des duels n’avait rien a dire.

      Athos, qui souffrait toujours cruellement de sa blessure, quoiqu’elle eût été pansée à neuf par le chirurgien de M. de Tréville, s’était assis sur une borne et attendait son adversaire avec cette contenance paisible et cet air digne qui ne l’abandonnaient jamais. À l’aspect de d’Artagnan, il se leva et fit poliment quelques pas au-devant de lui. Celui-ci, de son côté, n’aborda son adversaire que le chapeau à la main et sa plume traînant jusqu’à terre.

      « Monsieur, dit Athos, j’ai fait prévenir deux de mes amis qui me serviront de seconds, mais ces deux amis ne sont point encore arrivés. Je m’étonne qu’ils tardent : ce n’est pas leur habitude.

      – Je n’ai pas de seconds, moi, monsieur, dit d’Artagnan, car arrivé d’hier seulement à Paris, je n’y connais encore personne que M. de Tréville, auquel j’ai été recommandé par mon père qui a l’honneur d’être quelque peu de ses amis. »

      Athos réfléchit un instant.

      « Vous ne connaissez que M. de Tréville ? demanda-t-il.

      – Oui, monsieur, je ne connais que lui.

      – Ah çà, mais…, continua Athos parlant moitié à lui-même, moitié à d’Artagnan, ah… çà, mais si je vous tue, j’aurai l’air d’un mangeur d’enfants, moi !

      – Pas trop, monsieur, répondit d’Artagnan avec un salut qui ne manquait pas de dignité ; pas trop, puisque vous me faites l’honneur de tirer l’épée contre moi avec une blessure dont vous devez être fort incommodé.

      – Très incommodé, sur ma parole, et vous m’avez fait un mal du diable, je dois le dire ; mais je prendrai la main gauche, c’est mon habitude en pareille circonstance. Ne croyez donc pas que je vous fasse une grâce, je tire proprement des deux mains ; et il y aura même désavantage pour vous : un gaucher est très gênant pour les gens qui ne sont pas prévenus. Je regrette de ne pas vous avoir fait part plus tôt de cette circonstance.

      – Vous êtes vraiment, monsieur, dit d’Artagnan en s’inclinant de nouveau, d’une courtoisie dont je vous suis on ne peut plus reconnaissant.

      – Vous me rendez confus, répondit Athos avec son air de gentilhomme ; causons donc d’autre chose, je vous prie, à moins que cela ne vous soit désagréable. Ah ! sangbleu ! que vous m’avez fait mal ! l’épaule me brûle.

      – Si vous vouliez permettre…, dit d’Artagnan avec timidité.

      – Quoi, monsieur ?

      – J’ai un baume miraculeux pour les blessures, un baume qui me vient de ma mère, et dont j’ai fait l’épreuve sur moi-même.

      – Eh bien ?

      – Eh bien, je suis sûr qu’en moins de trois jours ce baume vous guérirait, et au bout de trois jours, quand vous seriez guéri : eh bien, monsieur, ce me


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