Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера. Александр Дюма

Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера - Александр Дюма


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ce que c’est qu’une souricière.

      On fit donc une souricière de l’appartement de maître Bonacieux, et quiconque y apparut fut pris et interrogé par les gens de M. le cardinal. Il va sans dire que, comme une allée particulière conduisait au premier étage qu’habitait d’Artagnan, ceux qui venaient chez lui étaient exemptés de toutes visites.

      D’ailleurs les trois mousquetaires y venaient seuls ; ils s’étaient mis en quête chacun de son côté, et n’avaient rien trouvé, rien découvert. Athos avait été même jusqu’à questionner M. de Tréville, chose qui, vu le mutisme habituel du digne mousquetaire, avait fort étonné son capitaine. Mais M. de Tréville ne savait rien, sinon que, la dernière fois qu’il avait vu le cardinal, le roi et la reine, le cardinal avait l’air fort soucieux, que le roi était inquiet, et que les yeux rouges de la reine indiquaient qu’elle avait veillé ou pleuré. Mais cette dernière circonstance l’avait peu frappé, la reine, depuis son mariage, veillant et pleurant beaucoup.

      M. de Tréville recommanda en tout cas à Athos le service du roi et surtout celui de la reine, le priant de faire la même recommandation à ses camarades.

      Quant à d’Artagnan, il ne bougeait pas de chez lui. Il avait converti sa chambre en observatoire. Des fenêtres il voyait arriver ceux qui venaient se faire prendre ; puis, comme il avait ôté les carreaux du plancher, qu’il avait creusé le parquet et qu’un simple plafond le séparait de la chambre au-dessous, où se faisaient les interrogatoires, il entendait tout ce qui se passait entre les inquisiteurs et les accusés.

      Les interrogatoires, précédés d’une perquisition minutieuse opérée sur la personne arrêtée, étaient presque toujours ainsi conçus :

      « Mme Bonacieux vous a-t-elle remis quelque chose pour son mari ou pour quelque autre personne ?

      – M. Bonacieux vous a-t-il remis quelque chose pour sa femme ou pour quelque autre personne ?

      – L’un et l’autre vous ont-ils fait quelque confidence de vive voix ? »

      « S’ils savaient quelque chose, ils ne questionneraient pas ainsi, se dit à lui-même d’Artagnan. Maintenant, que cherchent-ils à savoir ? Si le duc de Buckingham ne se trouve point à Paris et s’il n’a pas eu ou s’il ne doit point avoir quelque entrevue avec la reine. »

      D’Artagnan s’arrêta à cette idée, qui, d’après tout ce qu’il avait entendu, ne manquait pas de probabilité.

      En attendant, la souricière était en permanence, et la vigilance de d’Artagnan aussi.

      Le soir du lendemain de l’arrestation du pauvre Bonacieux, comme Athos venait de quitter d’Artagnan pour se rendre chez M. de Tréville, comme neuf heures venaient de sonner, et comme Planchet, qui n’avait pas encore fait le lit, commençait sa besogne, on entendit frapper à la porte de la rue ; aussitôt cette porte s’ouvrit et se referma : quelqu’un venait de se prendre à la souricière.

      D’Artagnan s’élança vers l’endroit décarrelé, se coucha ventre à terre et écouta.

      Des cris retentirent bientôt, puis des gémissements qu’on cherchait à étouffer. D’interrogatoire, il n’en était pas question.

      « Diable ! se dit d’Artagnan, il me semble que c’est une femme : on la fouille, elle résiste, – on la violente, – les misérables ! »

      Et d’Artagnan, malgré sa prudence, se tenait à quatre pour ne pas se mêler à la scène qui se passait au-dessous de lui.

      « Mais je vous dis que je suis la maîtresse de la maison, messieurs ; je vous dis que je suis Mme Bonacieux, je vous dis que j’appartiens à la reine ! » s’écriait la malheureuse femme.

      « Mme Bonacieux ! murmura d’Artagnan ; serais-je assez heureux pour avoir trouvé ce que tout le monde cherche ? »

      « C’est justement vous que nous attendions », reprirent les interrogateurs.

      La voix devint de plus en plus étouffée : un mouvement tumultueux fit retentir les boiseries. La victime résistait autant qu’une femme peut résister à quatre hommes.

      « Pardon, messieurs, par… », murmura la voix, qui ne fit plus entendre que des sons inarticulés.

      « Ils la bâillonnent, ils vont l’entraîner, s’écria d’Artagnan en se redressant comme par un ressort. Mon épée ; bon, elle est à mon côté. Planchet !

      – Monsieur ?

      – Cours chercher Athos, Porthos et Aramis. L’un des trois sera sûrement chez lui, peut-être tous les trois seront-ils rentrés. Qu’ils prennent des armes, qu’ils viennent, qu’ils accourent. Ah ! je me souviens, Athos est chez M. de Tréville.

      – Mais où allez-vous, monsieur, où allez-vous ?

      – Je descends par la fenêtre, s’écria d’Artagnan, afin d’être plus tôt arrivé ; toi, remets les carreaux, balaie le plancher, sors par la porte et cours où je te dis.

      – Oh ! monsieur, monsieur, vous allez vous tuer, s’écria Planchet.

      – Tais-toi, imbécile », dit d’Artagnan. Et s’accrochant de la main au rebord de sa fenêtre, il se laissa tomber du premier étage, qui heureusement n’était pas élevé, sans se faire une écorchure.

      Puis il alla aussitôt frapper à la porte en murmurant :

      « Je vais me faire prendre à mon tour dans la souricière, et malheur aux chats qui se frotteront à pareille souris. »

      À peine le marteau eut-il résonné sous la main du jeune homme, que le tumulte cessa, que des pas s’approchèrent, que la porte s’ouvrit, et que d’Artagnan, l’épée nue, s’élança dans l’appartement de maître Bonacieux, dont la porte, sans doute mue par un ressort, se referma d’elle-même sur lui.

      Alors ceux qui habitaient encore la malheureuse maison de Bonacieux et les voisins les plus proches entendirent de grands cris, des trépignements, un cliquetis d’épées et un bruit prolongé de meubles. Puis, un moment après, ceux qui, surpris par ce bruit, s’étaient mis aux fenêtres pour en connaître la cause, purent voir la porte se rouvrir et quatre hommes vêtus de noir non pas en sortir, mais s’envoler comme des corbeaux effarouchés, laissant par terre et aux angles des tables des plumes de leurs ailes, c’est-à-dire des loques de leurs habits et des bribes de leurs manteaux.

      D’Artagnan était vainqueur sans beaucoup de peine, il faut le dire, car un seul des alguazils était armé, encore se défendit-il pour la forme. Il est vrai que les trois autres avaient essayé d’assommer le jeune homme avec les chaises, les tabourets et les poteries ; mais deux ou trois égratignures faites par la flamberge du Gascon les avaient épouvantés. Dix minutes avaient suffi à leur défaite et d’Artagnan était resté maître du champ de bataille.

      Les voisins, qui avaient ouvert leurs fenêtres avec le sang-froid particulier aux habitants de Paris dans ces temps d’émeutes et de rixes perpétuelles, les refermèrent dès qu’ils eurent vu s’enfuir les quatre hommes noirs : leur instinct leur disait que, pour le moment, tout était fini.

      D’ailleurs il se faisait tard, et alors comme aujourd’hui on se couchait de bonne heure dans le quartier du Luxembourg.

      D’Artagnan, resté seul avec Mme Bonacieux, se retourna vers elle : la pauvre femme était renversée sur un fauteuil et à demi évanouie. D’Artagnan l’examina d’un coup d’oeil rapide.

      C’était une charmante femme de vingt-cinq à vingt-six ans, brune avec des yeux bleus, ayant un nez légèrement retroussé, des dents admirables, un teint marbré de rose et d’opale. Là cependant s’arrêtaient les signes qui pouvaient la faire confondre avec une grande dame. Les mains étaient blanches, mais sans finesse : les pieds n’annonçaient pas la femme de qualité. Heureusement d’Artagnan n’en était pas encore à se préoccuper de ces détails.

      Tandis que d’Artagnan examinait Mme Bonacieux, et en était aux pieds, comme nous l’avons dit, il vit à terre un fin mouchoir de batiste, qu’il


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