Bel-Ami / Милый друг. Ги де Мопассан

Bel-Ami / Милый друг - Ги де Мопассан


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au journal, une enveloppe contenant, en retour, la carte de Mme Walter» qui remerciait bien vivement M. Georges Duroy, et restait chez elle tous les samedis».

      Le samedi suivant il se présenta.

      M. Walter habitait, boulevard Malesherbes, une maison double lui appartenant, et dont une partie était louée, procédé économique de gens pratiques. Un seul concierge, gîté entre les deux portes cochères, tirait le cordon pour le propriétaire, et pour le locataire, et donnait à chacune des entrées un grand air d'hôtel riche et comme il faut par sa belle tenue de suisse d'église, ses gros mollets emmaillotés en des bas blancs, et son vêtement de représentation à boutons d'or et à revers écarlates.

      Les salons de réception étaient au premier étage, précédés d'une antichambre tendue de tapisseries et enfermée par des portières. Deux valets sommeillaient sur des sièges. Un d'eux prit le pardessus de Duroy, et l'autre s'empara de sa canne, ouvrit une porte, devança de quelques pas le visiteur, puis, s'effaçant, le laissa passer, en criant son nom dans un appartement vide.

      Le jeune homme, embarrassé, regardait de tous les côtés, quand il aperçut dans une glace des gens assis et qui semblaient fort loin. Il se trompa d'abord de direction, le miroir ayant égaré son œil, puis il traversa encore deux salons vides pour arriver dans une sorte de petit boudoir tendu de soie bleue à boutons d'or où quatre dames causaient à mi-voix autour d'une table ronde qui portait des tasses de thé.

      Malgré l'assurance qu'il avait gagnée dans son existence parisienne et surtout dans son métier de reporter qui le mettait incessamment en contact avec des personnages marquants, Duroy se sentait un peu intimidé par la mise en scène de l'entrée et par la traversée des salons déserts.

      Il balbutia:

      – «Madame, je me suis permis…» en cherchant de l'œil la maîtresse de la maison.

      Elle lui tendit la main, qu'il prit en s'inclinant, et lui ayant dit:

      – Vous êtes fort aimable, monsieur, de venir me voir.

      Elle lui montra un siège où, voulant s'asseoir, il se laissa tomber, l'ayant cru beaucoup plus haut.

      On s'était tu. Une des femmes se remit à parler. Il s'agissait du froid qui devenait violent, pas assez cependant pour arrêter l'épidémie de fièvre typhoïde ni pour permettre de patiner. Et chacune donna son avis sur cette entrée en scène de la gelée à Paris; puis elles exprimèrent leurs préférences dans les saisons, avec toutes les raisons banales qui traînent dans les esprits comme la poussière dans les appartements.

      Un bruit léger de porte fit retourner la tête de Duroy, et il aperçut, à travers deux glaces sans tain, une grosse dame qui s'en venait. Dès qu'elle apparut dans le boudoir une des visiteuses se leva, serra les mains, puis partit; et le jeune homme suivit du regard, par les autres salons, son dos noir où brillaient des perles de jais.

      Quand l'agitation de ce changement de personnes se fut calmée, on parla spontanément, sans transition, de la question du Maroc et de la guerre en Orient, et aussi des embarras de l'Angleterre à l'extrémité de l'Afrique.

      Ces dames discutaient ces choses de mémoire, comme si elles eussent récité une comédie mondaine et convenable, répétée bien souvent.

      Une nouvelle entrée eut lieu, celle d'une petite blonde frisée, qui détermina la sortie d'une grande personne sèche, entre deux âges.

      Et on parla des chances qu'avait M. Linet pour entrer à l'Académie. La nouvelle venue pensait fermement qu'il serait battu par M. Cabanon-Lebas, l'auteur de la belle adaptation en vers français de Don Quichotte pour le théâtre.

      – Vous savez que ce sera joué à l'Odéon l'hiver prochain?

      – Ah! vraiment. J'irai certainement voir cette tentative très littéraire.

      Mme Walter répondait gracieusement, avec calme et indifférence, sans hésiter jamais sur ce qu'elle devait dire, son opinion étant toujours prête d'avance.

      Mais elle s'aperçut que la nuit venait et elle sonna pour les lampes, tout en écoutant la causerie qui coulait comme un ruisseau de guimauve, et en pensant qu'elle avait oublié de passer chez le graveur pour les cartes d'invitation du prochain dîner.

      Elle était un peu trop grasse, belle encore, à l'âge dangereux où la débâcle est proche. Elle se maintenait à force de soins, de précautions, d'hygiène et de pâtes pour la peau. Elle semblait sage en tout, modérée et raisonnable, une de ces femmes dont l'esprit est aligné comme un jardin français. On y circule sans surprise, tout en y trouvant un certain charme. Elle avait de la raison, une raison fine, discrète et sûre qui lui tenait lieu de fantaisie, de la bonté, du dévouement, et une bienveillance tranquille, large pour tout le monde et pour tout.

      Elle remarqua que Duroy n'avait rien dit, qu'on ne lui avait point parlé, et qu'il semblait un peu contraint; et comme ces dames n'étaient point sorties de l'Académie, ce sujet préféré les retenant toujours longtemps, elle demanda:

      – Et vous qui devez être renseigné mieux que personne, monsieur Duroy, pour qui sont vos préférences?

      Il répondit sans hésiter:

      – Dans cette question, madame, je n'envisagerais jamais le mérite, toujours contestable, des candidats, mais leur âge et leur santé. Je ne demanderais point leurs titres, mais leur mal. Je ne rechercherais point s'ils ont fait une traduction rimée de Lope de Vega, mais j'aurais soin de m'informer de l'état de leur foie, de leur cœur, de leurs reins et de leur moelle épinière. Pour moi, une bonne hypertrophie, une bonne albuminurie, et surtout un bon commencement d'ataxie locomotrice vaudraient cent fois mieux que quarante volumes de digressions sur l'idée de patrie dans la poésie barbaresque.

      Un silence étonné suivit cette opinion.

      Mme Walter, souriant, reprit:

      – Pourquoi donc?

      Il répondit:

      – Parce que je ne cherche jamais que le plaisir qu'une chose peut causer aux femmes. Or, madame, l'Académie n'a vraiment d'intérêt pour vous que lorsqu'un académicien meurt. Plus il en meurt, plus vous devez être heureuses. Mais pour qu'ils meurent vite, il faut les nommer vieux et malades.

      Comme on demeurait un peu surpris, il ajouta:

      – Je suis comme vous d'ailleurs et j'aime beaucoup lire dans les échos de Paris le décès d'un académicien. Je me demande tout de suite: «Qui va le remplacer?» Et je fais ma liste. C'est un jeu, un petit jeu très gentil auquel on joue dans tous les salons parisiens à chaque trépas d'immortel: «Le jeu de la mort et des quarante vieillards.»

      Ces dames, un peu déconcertées encore, commençaient cependant à sourire, tant était juste sa remarque.

      Il conclut, en se levant:

      – C'est vous qui les nommez, mesdames, et vous ne les nommez que pour les voir mourir. Choisissez-les donc vieux, très vieux, le plus vieux possible, et ne vous occupez jamais du reste.

      Puis il s'en alla avec beaucoup de grâce.

      Dès qu'il fut parti, une des femmes déclara:

      – Il est drôle, ce garçon. Qui est-ce?

      Mme Walter répondit:

      – Un de nos rédacteurs, qui ne fait encore que la menue besogne du journal, mais je ne doute pas qu'il n'arrive vite.

      Duroy descendait le boulevard Malesherbes gaîment, à grands pas dansants, content de sa sortie et murmurant: «Bon départ.»

      Il se réconcilia avec Rachel, ce soir-là.

      La semaine suivante lui apporta deux événements. Il fut nommé chef des Échos et invité à dîner chez Mme Walter. Il vit tout de suite un lien entre les deux nouvelles.

      La Vie Française était avant tout un journal d'argent, le patron étant un homme d'argent à qui la presse et la députation avaient servi de leviers. Se faisant de la bonhomie une arme, il avait toujours manœuvré sous un masque souriant de brave homme, mais il n'employait à ses besognes, quelles qu'elles


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