Le comte de Monte Cristo. Alexandre Dumas

Le comte de Monte Cristo - Alexandre  Dumas


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son oreille du bruit des chansons et du choc des verres.

      Caderousse s’approcha de lui au moment où Danglars, qu’il semblait fuir, venait de le rejoindre dans un angle de la salle.

      «En vérité, dit Caderousse, à qui les bonnes façons de Dantès et surtout le bon vin du père Pamphile avaient enlevé tous les restes de la haine dont le bonheur inattendu de Dantès avait jeté les germes dans son âme, en vérité, Dantès est un gentil garçon; et quand je le vois assis près de sa fiancée, je me dis que ç’eût été dommage de lui faire la mauvaise plaisanterie que vous complotiez hier.

      – Aussi, dit Danglars, tu as vu que la chose n’a pas eu de suite; ce pauvre M. Fernand était si bouleversé qu’il m’avait fait de la peine d’abord; mais du moment qu’il en a pris son parti, au point de s’être fait le premier garçon de noces de son rival, il n’y a plus rien à dire.»

      Caderousse regarda Fernand, il était livide.

      «Le sacrifice est d’autant plus grand, continua Danglars, qu’en vérité la fille est belle. Peste! l’heureux coquin que mon futur capitaine; je voudrais m’appeler Dantès douze heures seulement.

      – Partons-nous? demanda la douce voix de Mercédès; voici deux heures qui sonnent, et l’on nous attend à deux heures un quart.

      – Oui, oui, partons! dit Dantès en se levant vivement.

      – Partons!» répétèrent en chœur tous les convives.

      Au même instant, Danglars, qui ne perdait pas de vue Fernand assis sur le rebord de la fenêtre, le vit ouvrir des yeux hagards, se lever comme par un mouvement convulsif, et retomber assis sur l’appui de cette croisée; presque au même instant un bruit sourd retentit dans l’escalier; le retentissement d’un pas pesant, une rumeur confuse de voix mêlées à un cliquetis d’armes couvrirent les exclamations des convives, si bruyantes qu’elles fussent, et attirèrent l’attention générale, qui se manifesta à l’instant même par un silence inquiet. Le bruit s’approcha: trois coups retentirent dans le panneau de la porte; chacun regarda son voisin d’un air étonné.

      «Au nom de la loi!» cria une voix vibrante, à laquelle aucune voix ne répondit.

      Aussitôt la porte s’ouvrit, et un commissaire, ceint de son écharpe, entra dans la salle, suivi de quatre soldats armés, conduits par un caporal.

      L’inquiétude fit place à la terreur.

      «Qu’y a-t-il? demanda l’armateur en s’avançant au-devant du commissaire qu’il connaissait; bien certainement, monsieur, il y a méprise.

      – S’il y a méprise, monsieur Morrel, répondit le commissaire croyez que la méprise sera promptement réparée; en attendant, je suis porteur d’un mandat d’arrêt; et quoique ce soit avec regret que je remplisse ma mission, il ne faut pas moins que je la remplisse: lequel de vous, messieurs, est Edmond Dantès?»

      Tous les regards se tournèrent vers le jeune homme qui, fort ému, mais conservant sa dignité, fit un pas en avant et dit:

      «C’est moi, monsieur, que me voulez-vous?

      – Edmond Dantès, reprit le commissaire, au nom de la loi, je vous arrête!

      – Vous m’arrêtez! dit Edmond avec une légère pâleur, mais pourquoi m’arrêtez-vous?

      – Je l’ignore, monsieur, mais votre premier interrogatoire vous l’apprendra.»

      M. Morrel comprit qu’il n’y avait rien à faire contre l’inflexibilité de la situation: un commissaire ceint de son écharpe n’est plus un homme, c’est la statue de la loi, froide, sourde, muette.

      Le vieillard, au contraire, se précipita vers l’officier; il y a des choses que le cœur d’un père ou d’une mère ne comprendra jamais.

      Il pria et supplia: larmes et prières ne pouvaient rien; cependant son désespoir était si grand, que le commissaire en fut touché.

      «Monsieur, dit-il, tranquillisez-vous; peut-être votre fils a-t-il négligé quelque formalité de douane ou de santé, et, selon toute probabilité, lorsqu’on aura reçu de lui les renseignements qu’on désire en tirer, il sera remis en liberté.

      – Ah çà! qu’est-ce que cela signifie? demanda en fronçant le sourcil Caderousse à Danglars, qui jouait la surprise.

      – Le sais-je, moi? dit Danglars; je suis comme toi: je vois ce qui se passe, je n’y comprends rien, et je reste confondu.»

      Caderousse chercha des yeux Fernand: il avait disparu. Toute la scène de la veille se représenta alors à son esprit avec une effrayante lucidité. On eût dit que la catastrophe venait de tirer le voile que l’ivresse de la veille avait jeté entre lui et sa mémoire.

      «Oh! oh! dit-il d’une voix rauque, serait-ce la suite de la plaisanterie dont vous parliez hier, Danglars? En ce cas, malheur à celui qui l’aurait faite, car elle est bien triste.

      – Pas du tout! s’écria Danglars, tu sais bien, au contraire, que j’ai déchiré le papier.

      – Tu ne l’as pas déchiré, dit Caderousse; tu l’as jeté dans un coin, voilà tout.

      – Tais-toi, tu n’as rien vu, tu étais ivre.

      – Où est Fernand? demanda Caderousse.

      – Le sais-je, moi! répondit Danglars, à ses affaires probablement: mais, au lieu de nous occuper de cela, allons donc porter du secours à ces pauvres affligés.»

      En effet, pendant cette conversation, Dantès avait en souriant, serré la main à tous ses amis, et s’était constitué prisonnier en disant:

      «Soyez tranquilles, l’erreur va s’expliquer, et probablement que je n’irai même pas jusqu’à la prison.

      – Oh! bien certainement, j’en répondrais», dit Danglars qui, en ce moment, s’approchait, comme nous l’avons dit, du groupe principal.

      Dantès descendit l’escalier, précédé du commissaire de police et entouré par les soldats. Une voiture, dont la portière était tout ouverte, attendait à la porte, il y monta, deux soldats et le commissaire montèrent après lui; la portière se referma, et la voiture reprit le chemin de Marseille.

      «Adieu, Dantès! adieu, Edmond!» s’écria Mercédès en s’élançant sur la balustrade.

      Le prisonnier entendit ce dernier cri, sorti comme un sanglot du cœur déchiré de sa fiancée; il passa la tête par la portière, cria: «Au revoir, Mercédès!» et disparut à l’un des angles du fort Saint-Nicolas.

      «Attendez-moi ici, dit l’armateur, je prends la première voiture que je rencontre, je cours à Marseille, et je vous rapporte des nouvelles.

      – Allez! crièrent toutes les voix, allez! et revenez bien vite!»

      Il y eut, après ce double départ, un moment de stupeur terrible parmi tous ceux qui étaient restés.

      Le vieillard et Mercédès restèrent quelque temps isolés, chacun dans sa propre douleur; mais enfin leurs yeux se rencontrèrent; ils se reconnurent comme deux victimes frappées du même coup, et se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.

      Pendant ce temps, Fernand rentra, se versa un verre d’eau qu’il but, et alla s’asseoir sur une chaise.

      Le hasard fit que ce fut sur une chaise voisine que vint tomber Mercédès en sortant des bras du vieillard.

      Fernand, par un mouvement instinctif, recula sa chaise.

      «C’est lui, dit à Danglars Caderousse, qui n’avait pas perdu de vue le Catalan.

      – Je ne crois pas, répondit Danglars, il était trop bête; en tout cas, que le coup retombe sur celui qui l’a fait.

      – Tu ne me parles pas de celui qui l’a conseillé, dit Caderousse.

      – Ah! ma foi, dit Danglars, si l’on était responsable de tout ce que l’on dit en l’air!

      – Oui,


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