Les fleurs du mal. Charles Baudelaire

Les fleurs du mal - Charles  Baudelaire


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      LII. Le beau navire

      Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!

      Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;

      Je veux te peindre ta beauté,

      Où l’enfance s’allie à la maturité.

      Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,

      Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,

      Chargé de toile, et va roulant

      Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

      Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

      Ta tête se pavane avec d’étranges grâces;

      D’un air placide et triomphant

      Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

      Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!

      Les diverses beautés qui parent ta jeunesse;

      Je veux te peindre ta beauté,

      Où l’enfance s’allie à la maturité.

      Ta gorge qui s’avance et qui pousse la moire,

      Ta gorge triomphante est une belle armoire

      Dont les panneaux bombés et clairs

      Comme les boucliers accrochent des éclairs,

      Boucliers provoquants, armés de pointes roses!

      Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,

      De vins, de parfums, de liqueurs

      Qui feraient délirer les cerveaux et les cœurs!

      Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,

      Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,

      Chargé de toile, et va roulant

      Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

      Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent,

      Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,

      Comme deux sorcières qui font

      Tourner un philtre noir dans un vase profond.

      Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,

      Sont des boas luisants les solides émules,

      Faits pour serrer obstinément,

      Comme pour l’imprimer dans ton cœur, ton amant.

      Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

      Ta tête se pavane avec d’étranges grâces;

      D’un air placide et triomphant

      Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

      LIII. L’invitation au voyage

      Mon enfant, ma sœur,

      Songe à la douceur

      D’aller là-bas vivre ensemble!

      Aimer à loisir,

      Aimer et mourir

      Au pays qui te ressemble!

      Les soleils mouillés

      De ces ciels brouillés

      Pour mon esprit ont les charmes

      Si mystérieux

      De tes traîtres yeux,

      Brillant à travers leurs larmes.

      Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

      Luxe, calme et volupté.

      Des meubles luisants,

      Polis par les ans,

      Décoreraient notre chambre;

      Les plus rares fleurs

      Mêlant leurs odeurs

      Aux vagues senteurs de l’ambre,

      Les riches plafonds,

      Les miroirs profonds,

      La splendeur orientale,

      Tout y parlerait

      À l’âme en secret

      Sa douce langue natale.

      Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

      Luxe, calme et volupté.

      Vois sur ces canaux

      Dormir ces vaisseaux

      Dont l’humeur est vagabonde;

      C’est pour assouvir

      Ton moindre désir

      Qu’ils viennent du bout du monde.

      – Les soleils couchants

      Revêtent les champs,

      Les canaux, la ville entière,

      D’hyacinthe et d’or;

      Le monde s’endort

      Dans une chaude lumière.

      Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

      Luxe, calme et volupté.

      LIV. L’irréparable

      Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,

      Qui vit, s’agite et se tortille,

      Et se nourrit de nous comme le ver des morts,

      Comme du chêne la chenille?

      Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords?

      Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,

      Noierons-nous ce vieil ennemi,

      Destructeur et gourmand comme la courtisane,

      Patient comme la fourmi?

      Dans quel philtre? – dans quel vin? – dans quelle tisane?

      Dis-le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,

      À cet esprit comblé d’angoisse

      Et pareil au mourant qu’écrasent les blessés,

      Que le sabot du cheval froisse,

      Dis-le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais,

      À cet agonisant que le loup déjà flaire

      Et que surveille le corbeau,

      À ce soldat brisé! s’il faut qu’il désespère

      D’avoir sa croix et son tombeau;

      Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire!

      Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

      Peut-on déchirer des ténèbres

      Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,

      Sans astres, sans éclairs funèbres?

      Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

      L’Espérance qui brille aux carreaux de l’Auberge

      Est soufflée, est morte à jamais!

      Sans lune et sans rayons, trouver où l’on héberge

      Les martyrs d’un chemin mauvais!

      Le Diable a tout éteint aux carreaux de l’Auberge!

      Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

      Dis, connais-tu l’irrémissible?

      Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés,

      À qui notre cœur sert de cible?

      Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

      L’Irréparable ronge avec sa dent maudite

      Notre âme, piteux monument,

      Et souvent il attaque,


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