L'homme qui rit. Victor Hugo

L'homme qui rit - Victor  Hugo


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y todos.

      – Qual Dios?

      – Dios.

      – Como le llamas?

      – El Tonto.

      – Como dices que le llamas?

      – El Sabio.

      – En vuestre tropa, que esta?

      – Esta lo que esta.

      – El gefe?

      – No.

      – Pues, que esta?

      – La alma.

      – Le Fou. – Comment dis-tu que tu le nommes? – Le Sage.

      – Dans votre troupe, qu’est-ce qu’il est? – Il est ce qu’il

      est. – Le chef? – Non. – Alors, quel est-il? – L’âme.

      Le chef et le patron se séparèrent, chacun retournant à sa pensée, et peu après la Matutina sortit du golfe.

      Les grands balancements du large commencèrent.

      La mer, dans les écartements de l’écume, était d’apparence visqueuse; les vagues, vues dans la clarté crépusculaire à profil perdu, avaient des aspects de flasques de fiel. Ça et là une lame, flottant à plat, offrait des fêlures et des étoiles, comme une vitre où l’on a jeté des pierres. Au centre de ces étoiles, dans un trou tournoyant, tremblait une phosphorescence, assez semblable à cette réverbération féline de la lumière disparue qui est dans la prunelle des chouettes.

      La Matutina traversa fièrement et en vaillante nageuse le redoutable frémissement du banc Chambours. Le banc Chambours, obstacle latent à la sortie de la rade de Portland, n’est point un barrage, c’est un amphithéâtre. Un cirque de sable sous l’eau, des gradins sculptés par les cercles de l’onde, une arène ronde et symétrique, haute comme une Yungfrau, mais noyée, un colisée de l’océan entrevu par le plongeur dans la transparence visionnaire de l’engloutissement, c’est là le banc Chambours. Les hydres s’y combattent, les léviathans s’y rencontrent; il y a là, disent les légendes, au fond du gigantesque entonnoir, des cadavres de navires saisis et coulés par l’immense araignée Kraken, qu’on appelle aussi le poisson-montagne. Telle est l’effrayante ombre de la mer.

      Ces réalités spectrales ignorées de l’homme se manifestent à la surface par un peu de frisson.

      Au dix-neuvième siècle, le banc Chambours est en ruine. Le brise-lames récemment construit a bouleversé et tronqué à force de ressacs cette haute architecture sous-marine, de même que la jetée bâtie au Croisie en 1760 y a changé d’un quart d’heure l’établissement des marées. La marée pourtant, c’est éternel; mais l’éternité obéit à l’homme plus qu’on ne croit.

      IV. ENTRÉE EN SCÈNE D’UN NUAGE DIFFÉRENT DES AUTRES

      Le vieux homme que le chef de la troupe avait qualifié d’abord le Fou, puis le Sage, ne quittait plus l’avant. Depuis le passage du banc Chambours, son attention se partageait entre le ciel et l’océan. Il baissait les yeux, puis les relevait; ce qu’il scrutait surtout, c’était le nord-est,

      Le patron confia la barre à un matelot, enjamba le panneau de la fosse aux câbles, traversa le passavent et vint au gaillard de proue.

      Il aborda le vieillard, mais non de face. Il se tint un peu en arrière, les coudes serrés aux hanches, les mains écartées, la tête penchée sur l’épaule, l’oeil ouvert, le sourcil haut, un coin des lèvres souriant, ce qui est l’attitude de la curiosité, quand elle flotte entre l’ironie et le respect.

      Le vieillard, soit qu’il eût l’habitude de parler quelquefois seul, soit que sentir quelqu’un derrière lui l’excitât à parler, se mit à monologuer, en considérant l’étendue.

      – Le méridien d’où l’on compte l’ascension droite est marqué dans ce siècle par quatre étoiles, la Polaire, la chaise de Cassiopée, la tête d’Andromède, et l’étoile Algénib, qui est dans Pégase. Mais aucune n’est visible.

      Ces paroles se succédaient automatiquement, confuses, à peu près dites, et en quelque façon sans qu’il se mêlât de les prononcer. Elles flottaient hors de sa bouche et se dissipaient. Le monologue est la fumée des feux intérieurs de l’esprit.

      Le patron interrompit:

      – Seigneur…

      Le vieillard, peut-être un peu sourd en même temps que très pensif, continua:

      – Pas assez d’étoiles, et trop de vent. Le vent quitte toujours sa route pour se jeter sur la côte. Il s’y jette à pic. Cela tient à ce que la terre est plus chaude que la mer. L’air en est plus léger. Le vent froid et lourd de la mer se précipite sur la terre pour le remplacer. C’est pourquoi dans le grand ciel le vent souffle vers la terre de tous les côtés. Il importerait de faire des bordées allongées entre le parallèle estimé et le parallèle présumé. Quand la latitude observée ne diffère pas de la latitude présumée de plus de trois minutes sur dix lieues, et de quatre sur vingt, on est en bonne route.

      Le patron salua, mais le vieillard ne le vit point. Cet homme, qui portait presque une simarre d’universitaire d’Oxford ou de Goettingue, ne bougeait pas de sa posture hautaine et revêche. Il observait la mer en connaisseur des flots et des hommes. Il étudiait les vagues, mais presque comme s’il allait demander dans leur tumulte son tour de parole, et leur enseigner quelque chose. Il y avait en lui du magister et de l’augure. Il avait l’air du pédant de l’abîme.

      Il poursuivit son soliloque, peut-être fait, après tout, pour être écouté.

      – On pourrait lutter, si l’on avait une roue au lieu d’une barre. Par une vitesse de quatre lieues à l’heure, trente livres d’effort sur la roue peuvent produire trois cent mille livres d’effet sur la direction. Et plus encore, car il y a des cas o l’on fait faire à la trousse deux tours de plus.

      Le patron salua une deuxième fois, et dit:

      – Seigneur…

      L’oeil du vieillard se fixa sur lui. La tête tourna sans que le corps remuât.

      – Appelle-moi docteur.

      – Seigneur docteur, c’est moi qui suis le patron.

      – Soit, répondit le «docteur».

      Le docteur – nous le nommerons ainsi dorénavant – parut consentir au dialogue:

      – Patron, as-tu un octant anglais?

      – Non.

      – Sans octant anglais, tu ne peux prendre hauteur ni par derrière, ni par devant.

      – Les basques, répliqua le patron, prenaient hauteur avant qu’il y eût des anglais,

      – Méfie-toi de l’olofée.

      – Je mollis quand il le faut.

      – As-tu mesuré la vitesse du navire?

      – Oui.

      – Quand?

      – Tout à l’heure.

      – Par quel moyen?

      – Au moyen du loch.

      – As-tu eu soin d’avoir l’oeil sur le bois du loch?

      – Oui.

      – Le sablier fait-il juste ses trente secondes?

      – Oui.

      – Es-tu sûr que le sable n’a point usé le trou entre les deux empoulettes?

      – Oui.

      – As-tu fait la contre-épreuve du sablier par la vibration d’une balle de mousquet suspendue…

      – A un fil plat tiré de dessus le chanvre roui? Sans doute.

      – As-tu ciré le fil de peur qu’il


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