La reine Margot. Alexandre Dumas

La reine Margot - Alexandre  Dumas


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mes frères; on veut me tuer, on veut m’égorger aussi. Ah! vous êtes la reine… sauvez-moi.

      Et il se précipita à ses pieds, laissant sur le tapis une large trace de sang.

      En voyant cet homme pâle, défait, agenouillé devant elle, la reine de Navarre se dressa épouvantée, cachant son visage entre ses mains et criant au secours.

      – Madame, dit La Mole en faisant un effort pour se relever, au nom du Ciel, n’appelez pas, car si l’on vous entend, je suis perdu! Des assassins me poursuivent, ils montaient les degrés derrière moi. Je les entends… les voilà! les voilà! …

      – Au secours! répéta la reine de Navarre, hors d’elle, au secours!

      – Ah! c’est vous qui m’avez tué! dit La Mole au désespoir. Mourir par une si belle voix, mourir par une si belle main! Ah! j’aurais cru cela impossible!

      Au même instant la porte s’ouvrit et une meute d’hommes haletants, furieux, le visage taché de sang et de poudre, arquebuses, hallebardes et épées en arrêt, se précipita dans la chambre.

      À leur tête était Coconnas, ses cheveux roux hérissés, son œil bleu pâle démesurément dilaté, la joue toute meurtrie par l’épée de La Mole, qui avait tracé sur les chairs son sillon sanglant: ainsi défiguré, le Piémontais était terrible à voir.

      – Mordi! cria-t-il, le voilà, le voilà! Ah! cette fois, nous le tenons, enfin!

      La Mole chercha autour de lui une arme et n’en trouva point. Il jeta les yeux sur la reine et vit la plus profonde pitié peinte sur son visage. Alors il comprit qu’elle seule pouvait le sauver, se précipita vers elle et l’enveloppa dans ses bras.

      Coconnas fit trois pas en avant, et de la pointe de sa longue rapière troua encore une fois l’épaule de son ennemi, et quelques gouttes de sang tiède et vermeil diaprèrent comme une rosée les draps blancs et parfumés de Marguerite.

      Marguerite vit couler le sang, Marguerite sentit frissonner ce corps enlacé au sien, elle se jeta avec lui dans la ruelle. Il était temps. La Mole, au bout de ses forces, était incapable de faire un mouvement ni pour fuir, ni pour se défendre. Il appuya sa tête livide sur l’épaule de la jeune femme, et ses doigts crispés se cramponnèrent, en la déchirant, à la fine batiste brodée qui couvrait d’un flot de gaze le corps de Marguerite.

      – Ah! madame! murmura-t-il d’une voix mourante, sauvez-moi!

      Ce fut tout ce qu’il put dire. Son œil voilé par un nuage pareil à la nuit de la mort s’obscurcit; sa tête alourdie retomba en arrière, ses bras se détendirent, ses reins plièrent et il glissa sur le plancher dans son propre sang, entraînant la reine avec lui.

      En ce moment Coconnas, exalté par les cris, enivré par l’odeur du sang, exaspéré par la course ardente qu’il venait de faire, allongea le bras vers l’alcôve royale. Un instant encore et son épée perçait le cœur de La Mole, et peut-être en même temps celui de Marguerite.

      À l’aspect de ce fer nu, et peut-être plutôt encore à la vue de cette insolence brutale, la fille des rois se releva de toute sa taille et poussa un cri tellement empreint d’épouvante, d’indignation et de rage, que le Piémontais demeura pétrifié par un sentiment inconnu; il est vrai que, si cette scène se fût prolongée renfermée entre les mêmes acteurs, ce sentiment allait se fondre comme neige matinale au soleil d’avril.

      Mais tout à coup, par une porte cachée dans la muraille s’élança un jeune homme de seize à dix-sept ans, vêtu de noir, pâle et les cheveux en désordre.

      – Attends, ma sœur, attends, cria-t-il, me voilà! me voilà!

      – François! François! à mon secours! dit Marguerite.

      – Le duc d’Alençon! murmura La Hurière en baissant son arquebuse.

      – Mordi, un fils de France! grommela Coconnas en reculant d’un pas.

      Le duc d’Alençon jeta un regard autour de lui. Il vit Marguerite échevelée, plus belle que jamais, appuyée à la muraille, entourée d’hommes la fureur dans les yeux, la sueur au front, et l’écume à la bouche.

      – Misérables! s’écria-t-il.

      – Sauvez-moi, mon frère! dit Marguerite épuisée. Ils veulent m’assassiner. Une flamme passa sur le visage pâle du duc.

      Quoiqu’il fût sans armes, soutenu, sans doute par la conscience de son nom, il s’avança les poings crispés contre Coconnas et ses compagnons, qui reculèrent épouvantés devant les éclairs qui jaillissaient de ses yeux.

      – Assassinerez-vous ainsi un fils de France? voyons! Puis, comme ils continuaient de reculer devant lui:

      – Çà, mon capitaine des gardes, venez ici, et qu’on me pende tous ces brigands!

      Plus effrayé à la vue de ce jeune homme sans armes qu’il ne l’eût été à l’aspect d’une compagnie de reîtres ou de lansquenets, Coconnas avait déjà gagné la porte. La Hurière redescendait les degrés avec des jambes de cerf, les soldats s’entrechoquaient et se culbutaient dans le vestibule pour fuir au plus tôt, trouvant la porte trop étroite comparée au grand désir qu’ils avaient d’être dehors.

      Pendant ce temps, Marguerite avait instinctivement jeté sur le jeune homme évanoui sa couverture de damas, et s’était éloignée de lui.

      Quand le dernier meurtrier eut disparu, le duc d’Alençon se retourna.

      – Ma sœur, s’écria-t-il en voyant Marguerite toute marbrée de sang, serais tu blessée?

      Et il s’élança vers sa sœur avec une inquiétude qui eût fait honneur à sa tendresse, si cette tendresse n’eût pas été accusée d’être plus grande qu’il ne convenait à un frère.

      – Non, dit-elle, je ne le crois pas, ou, si je le suis, c’est légèrement.

      – Mais ce sang, dit le duc en parcourant de ses mains tremblantes tout le corps de Marguerite; ce sang, d’où vient-il?

      – Je ne sais, dit la jeune femme. Un de ces misérables a porté la main sur moi, peut-être était-il blessé.

      – Porté la main sur ma sœur! s’écria le duc. Oh! si tu me l’avais seulement montré du doigt, si tu m’avais dit lequel, si je savais où le trouver!

      – Chut! dit Marguerite.

      – Et pourquoi? dit François.

      – Parce que si l’on vous voyait à cette heure dans ma chambre…

      – Un frère ne peut-il pas visiter sa sœur, Marguerite?

      La reine arrêta sur le duc d’Alençon un regard si fixe et cependant si menaçant, que le jeune homme recula.

      – Oui, oui, Marguerite, dit-il, tu as raison, oui, je rentre chez moi. Mais tu ne peux rester seule pendant cette nuit terrible. Veux-tu que j’appelle Gillonne?

      – Non, non, personne; va-t’en, François, va-t’en par où tu es venu.

      Le jeune prince obéit; et à peine eut-il disparu, que Marguerite, entendant un soupir qui venait de derrière son lit, s’élança vers la porte du passage secret, la ferma au verrou, puis courut à l’autre porte, qu’elle ferma de même, juste au moment où un gros d’archers et de soldats qui poursuivaient d’autres huguenots logés dans le Louvre passait comme un ouragan à l’extrémité du corridor.

      Alors, après avoir regardé avec attention autour d’elle pour voir si elle était bien seule, elle revint vers la ruelle de son lit, souleva la couverture de damas qui avait dérobé le corps de La Mole aux regards du duc d’Alençon, tira avec effort la masse inerte dans la chambre, et, voyant que le malheureux respirait encore, elle s’assit, appuya sa tête sur ses genoux, et lui jeta de l’eau au visage pour le faire revenir.

      Ce fut alors seulement que, l’eau écartant le voile de poussière, de poudre et de sang qui couvrait la figure du blessé, Marguerite


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