Jim l'indien. Gustave Aimard

Jim l'indien - Gustave  Aimard


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la voiture, renversé par le brusque départ de l’ardent trotteur auquel la belle écuyère venait de rendre la main. Après avoir télégraphié quelques instants des pieds et des mains, Halleck se releva, non sans peine, en se frottant la tête ; son calme imperturbable ne l’avait point abandonné, il se réinstalla sur la banquette fort adroitement et soutint sans sourciller le feu de la conversation.

      Cependant ses tribulations n’étaient pas finies ; miss Maria avait lancé le cheval à fond de train, et lui faisait exécuter une vraie course au clocher par-dessus pierres, troncs d’arbres, ruisseaux et ravins ; tellement que pour n’être pas lancé dans les airs comme une balle, Adolphe se vit obligé de se cramponner à deux mains aux courroies du siège : en même temps la voiture faisait, en roulant, un tel fracas, que pour causer il fallait littéralement se livrer à des vociférations.

      Au bout d’un mille, à peine, l’album sauta hors du caisson, ses feuilles s’éparpillèrent à droite et à gauche, dans un désordre parfait. On mit bien un grand quart d’heure pour ramasser les croquis indisciplinés et les paysages voltigeants ; puis, lorsqu’ils furent dûment emballés, on recommença la même course folle.

      Cependant la nuit arrivait, on avait déjà laissée bien des milles en arrière ; le terme du voyage n’apparaissait pas.

      – Peut-on espérer d’atteindre aujourd’hui le logis de l’oncle John ? demanda Halleck entre deux cahots qui avaient failli lui faire rendre l’âme.

      – Mais oui ! nous ne sommes plus qu’à un mille ou deux de la maison. Regardez là-bas, à, gauche ; voyez-vous cette lumière à travers les feuillages ?

      – Ah ! ah ! Très bien ; j’aperçois.

      – C’est la case ; nous y serons dans quelques instants.

      – Si vous le permettez, je prendrai les rênes ? j’ai peur, mais réellement peur qu’il lui arrive quelque accident.

      – J’ai pris sur moi la responsabilité de l’attelage, et je ne m’en considérerai comme déchargée que lorsque je l’aurai amené jusqu’à la porte.

      – Eh bien ! Maria, souffrez que je vous donne un conseil d’ami pendant le trajet qui nous reste à faire d’ici à la maison. Méfiez-vous de votre science en sport ; l’été dernier, je promenais une dame à Central Park, elle a eu la même lubie que vous ; celle de prendre les rênes et de conduire à fond de train… vlan ! elle jette la roue sur une borne ! et patatras ! voilà le tilbury en l’air ; il est retombé en dix morceaux, nous deux compris… Coût, vingt dollars !… Le cheval abattu, couronné, hors de service… Coût, trente dollars !… Total, cinquante : c’était un peu cher pour une fantaisie féminine !

      Tout en parlant, riant, se moquant, nos trois voyageurs finirent par arriver.

      L’hospitalière maison de l’oncle John, quoique dépendant actuellement du comté de Minnesota, avait été originairement construite dans l’Ohio.

      Transportée ensuite vers l’Ouest, à, la recherche d’un site convenable, elle avait un peu subi le sort du temple de Salomon, tout y avait été fait par pièces et par morceaux ; à tel point que les accessoires en étaient devenus le principal. Finalement, d’additions en additions, les bâtiments étaient arrivés à représenter une masse imposante. Dans ce pêle-mêle de toits ronds, plats, pointus, de hangars, de murailles en troncs d’arbres, de cours, de ruelles, de galeries, d’escaliers, on croyait voir un village ; on y trouvait assurément le confortable, le luxe, l’opulence sauvage.

      Lorsque la voiture s’arrêta, au bout de sa course bruyante, la lourde et large porte s’ouvrit en grinçant sur ses gonds ; un flot de lumière en sortit, dessinant en clair-obscur la silhouette d’un homme de grande taille, coiffé d’un chapeau bas et large, en manches de chemise, et dont la posture indiquait l’attente.

      Dés que ses regards eurent pénétré dans les profondeurs du véhicule, et constaté que trois personnes l’occupaient, il fut fixé sur leur identité et se répandit en joyeuses exclamations.

      – Whoa ! Polly ! Whoa ! cria-t-il d’une voix de stentor ; viens recevoir le wagon. Est-ce vous, Adolphe ? poursuivit-il, en prenant le cheval par la bride.

      – D’abord, affirmez-moi, cher oncle, que vous tenez solidement cet animal endiablé ; bon ! Maintenant, je m’empresse de répondre ; oui, c’est moi, qui me réjouis de vous rendre visite.

      – Ah ! toujours farceur ! Ravi de te voir, mon garçon ! Allons, saute en bas, et courons au salon. Là, donne la main ; voilà ta valise ; en avant, marche ! Je vous suivrai tous lorsque Polly sera arrivé.

      Les trois voyageurs furent prompts à obéir et en entrant dans le parloir, furent cordialement accueillis par leur excellente et digne tante, mistress Brainerd. Maggie quitta avec empressement le piano pour courir au-devant de son frère et de sa cousine ; mais elle recula timidement à l’aspect inattendu d’un étranger. Cependant elle reconnut bien vite Adolphe qui avait été son compagnon d’enfance, et ne lui laissa pas le temps de dire son nom.

      – Eh quoi ! c’est vous, mon cousin ? s’écria-t-elle avec un charmant sourire ; quelle frayeur vous m’avez faite !

      – Je m’empresse de la dissiper ; répliqua l’artiste en lui tendant la main avec son sans façon habituel ; touchez-là ! cousine, je suis un revenant, mais en chair et en os.

      – Hé ! jeunes gens ! nous vous attendions pour souper ; interrompit l’oncle John, qui venait d’arriver ; je ne crois pas nécessaire de vous demander si vous avez bon appétit.

      – Ceci va vous être démontré, répondit Adolphe en riant ; quoique Maria m’ait secoué à me faire perdre tout bon sentiment, je sens que je me remets un peu.

      On s’attabla devant un de ces abondants repas qui réjouissent les robustes estomacs du forestier et du laborieux settler, mais qui feraient pâlir un citadin ; chacun aborda courageusement son rôle de joyeux convive.

      L’oncle John était d’humeur joviale, grand parleur, grand hâbleur, possédant la rare faculté de débiter sans rire les histoires les plus hétéroclites. Sa femme, douce et gracieuse, un peu solennelle, méticuleuse sur les convenances, grondait de temps en temps lorsque quelqu’un de la famille enfreignait l’étiquette dont elle donnait le plus parfait exemple : mais ses reproches faisaient fort minime impression sur mistress Brainerd.

      Le jeune Will, modeste et réservé pour son âge, quoiqu’il eût des dispositions naturelles à une gaîté communicative, était loin d’atteindre le niveau paternel. Maggie était extrêmement timide, parlait peu, se contentant de répondre lorsqu’on l’interrogeait, ou lorsque l’imperturbable Adolphe la prenait malicieusement à partie.

      Quant à, Maria, c’était la folle du logis ; rien ne pouvait suspendre son charmant babil ; son intarissable conversation était un feu d’artifice ; elle tenait tout le monde en joie.

      Quoiqu’on fût à la fin du mois d’août, la soirée était tiède, admirable, parfumée comme une nuit d’été.

      – Oui ! l’atmosphère est pure dans nos belles prairies de l’Ouest, dit M. Brainerd en réponse à une observation d’Halleck ; toute la belle saison est ainsi. Tu as bien fait de fuir les mortelles émanations des villes.

      – Hum ! je ne les ai pas entièrement esquivées cette année. En juin, j’étais à New York, en juillet, à Philadelphie ; il y avait de quoi rôtir !

      – Eh bien ! puisque te voilà avec nous, tu peux passer l’hiver ici. Tu auras une idée du froid le plus accompli que tu aies rencontré de l’autre côté du Mississipi.

      – Je m’aperçois que vous êtes disposés à proclamer la supériorité de cette région, en tous points ; mais si vous me prophétisez un hiver encore plus rigoureux que ceux de l’Est, je serai fort empressé de vous quitter avant cette lamentable saison.

      – Froid !…


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