Le temps retrouvé. Marcel Proust

Le temps retrouvé - Marcel  Proust


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Ce premier pas fait vers un conseil d’intervention, rien n’arrête plus Norpois, ce n’est plus seulement le principe mais l’époque de l’intervention sur lesquels il donne des conseils de moins en moins déguisés. « Certes, dit-il en faisant ce qu’il appellerait lui-même le bon apôtre, c’est à l’Italie, à la Roumanie seules de décider de l’heure opportune et de la forme sous laquelle il leur conviendra d’intervenir. Elles ne peuvent pourtant ignorer qu’à trop tergiverser elles risquent de laisser passer l’heure. Déjà les sabots des cavaliers russes font frémir la Germanie traquée d’une indicible épouvante. Il est bien évident que les peuples qui n’auront fait que voler au secours de la victoire, dont on voit déjà l’aube resplendissante, n’auront nullement droit à cette même récompense qu’ils peuvent encore en se hâtant, etc. » C’est comme au théâtre quand on dit : « Les dernières places qui restent ne tarderont pas à être enlevées. Avis aux retardataires. » Raisonnement d’autant plus stupide que Norpois le refait tous les six mois, et dit périodiquement à la Roumanie : « L’heure est venue pour la Roumanie de savoir si elle veut ou non réaliser ses aspirations nationales. Qu’elle attende encore, il risque d’être trop tard. » Or, depuis deux ans qu’il le dit, non seulement le « trop tard » n’est pas encore venu, mais on ne cesse de grossir les offres qu’on fait à la Roumanie. De même il invite la France, etc., à intervenir en Grèce en tant que puissance protectrice parce que le traité qui liait la Grèce à la Serbie n’a pas été tenu. Or, de bonne foi, si la France n’était pas en guerre et ne souhaitait pas le concours ou la neutralité bienveillante de la Grèce, aurait-elle l’idée d’intervenir en tant que puissance protectrice, et le sentiment moral qui la pousse à se révolter parce que la Grèce n’a pas tenu ses engagements avec la Serbie ne se tait-il pas aussi dès qu’il s’agit de violation tout aussi flagrante de la Roumanie et de l’Italie qui, avec raison, je le crois, comme la Grèce aussi, n’ont pas rempli leurs devoirs, moins impératifs et étendus qu’on ne dit, d’alliés de l’Allemagne. La vérité c’est que les gens voient tout par leur journal, et comment pourraient-ils faire autrement puisqu’ils ne connaissent pas personnellement les gens ni les événements dont il s’agit ? Au temps de l’affaire qui passionnait si bizarrement à une époque dont il est convenu de dire que nous sommes séparés par des siècles, car les philosophes de la guerre ont accrédité que tout lien est rompu avec le passé, j’étais choqué de voir des gens de ma famille accorder toute leur estime à des anticléricaux, anciens communards que leur journal leur avait présentés comme antidreyfusards, et honnir un général bien né et catholique mais révisionniste. Je ne le suis pas moins de voir tous les Français exécrer l’Empereur François-Joseph qu’ils vénéraient, avec raison, je peux vous le dire, moi qui l’ai beaucoup connu et qu’il veut bien traiter en cousin. Ah ! je ne lui ai pas écrit depuis la guerre, ajouta-t-il comme avouant hardiment une faute qu’il savait très bien qu’on ne pouvait blâmer. Si, la première année, et une seule fois. Mais qu’est-ce que vous voulez, cela ne change rien à mon respect pour lui, mais j’ai ici beaucoup de jeunes parents qui se battent dans nos lignes et qui trouveraient, je le sais, fort mauvais que j’entretienne une correspondance suivie avec le chef d’une nation en guerre avec nous. Que voulez-vous ? me critique qui voudra, ajouta-t-il, comme s’exposant hardiment à mes reproches, je n’ai pas voulu qu’une lettre signée Charlus arrivât en ce moment à Vienne. La plus grande critique que j’adresserais au vieux souverain, c’est qu’un seigneur de son rang, chef d’une des maisons les plus anciennes et les plus illustres d’Europe, se soit laissé mener par ce petit hobereau, fort intelligent d’ailleurs, mais enfin par un simple parvenu comme Guillaume de Hohenzollern. Ce n’est pas une des anomalies les moins choquantes de cette guerre. » Et comme, dès qu’il se replaçait au point de vue nobiliaire, qui pour lui au fond dominait tout, M. de Charlus arrivait à d’extraordinaires enfantillages, il me dit du même ton qu’il m’eût parlé de la Marne ou de Verdun qu’il y avait des choses capitales et fort curieuses que ne devrait pas omettre celui qui écrirait l’histoire de cette guerre. « Ainsi, me dit-il, par exemple, tout le monde est si ignorant que personne n’a fait remarquer cette chose si marquante : le grand maître de l’ordre de Malte, qui est un pur boche, n’en continue pas moins de vivre à Rome où il jouit, en tant que grand maître de notre ordre, du privilège de l’exterritorialité. C’est intéressant », ajouta-t-il d’un air de me dire : « Vous voyez que vous n’avez pas perdu votre soirée en me rencontrant. » Je le remerciai et il prit l’air modeste de quelqu’un qui n’exige pas de salaire. « Qu’est-ce que j’étais donc en train de vous dire ? Ah ! oui, que les gens haïssaient maintenant François-Joseph, d’après leur journal. Pour le roi Constantin de Grèce et le tzar de Bulgarie, le public a oscillé, à diverses reprises, entre l’aversion et la sympathie, parce qu’on disait tour à tour qu’ils se mettaient du côté de l’Entente ou de ce que Norpois appelle les Empires centraux. C’est comme quand il nous répète à tout moment que « l’heure de Venizelos va sonner ». Je ne doute pas que M. Venizelos soit un homme d’État plein de capacité, mais qui nous dit que les Grecs désirent tant que cela Venizelos ? Il voulait, nous dit-on, que la Grèce tînt ses engagements envers la Serbie. Encore faudrait-il savoir quels étaient ces engagements et s’ils étaient plus étendus que ceux que l’Italie et la Roumanie ont cru pouvoir violer. Nous avons de la façon dont la Grèce exécute ses traités et respecte sa constitution un souci que nous n’aurions certainement pas si ce n’était pas notre intérêt. Qu’il n’y ait pas eu la guerre, croyez-vous que les puissances « garantes » auraient même fait attention à la dissolution des Chambres ? Je vois simplement qu’on retire un à un ses appuis au Roi de Grèce pour pouvoir le jeter dehors ou l’enfermer le jour où il n’aura plus d’armée pour le défendre. Je vous disais que le public ne juge le Roi de Grèce et le Roi des Bulgares que d’après les journaux. Et comment pourraient-ils penser sur eux autrement que par le journal puisqu’ils ne les connaissent pas ? Moi je les ai vus énormément, j’ai beaucoup connu, quand il était diadoque, Constantin de Grèce, qui était une pure merveille. J’ai toujours pensé que l’Empereur Nicolas avait eu un énorme sentiment pour lui. En tout bien tout honneur, bien entendu. La princesse Christian en parlait ouvertement, mais c’est une gale. Quant au tzar des Bulgares, c’est une fine coquine, une vraie affiche, mais très intelligent, un homme remarquable. Il m’aime beaucoup. »

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