Madame Bovary. Gustave Flaubert

Madame Bovary - Gustave  Flaubert


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monsieur s’inclina, et, pendant qu’il faisait le mouvement d’étendre son bras, Emma vit la main de la jeune dame qui jetait dans son chapeau quelque chose de blanc, plié en triangle. Le monsieur, ramenant l’éventail, l’offrit à la dame, respectueusement; elle le remercia d’un signe de tête et se mit à respirer son bouquet.

      Après le souper, où il y eut beaucoup de vins d’Espagne et de vins du Rhin, des potages à la bisque et au lait d’amandes, des puddings à la Trafalgar et toutes sortes de viandes froides avec des gelées alentour qui tremblaient dans les plats, les voitures, les unes après les autres, commencèrent à s’en aller. En écartant du coin le rideau de mousseline, on voyait glisser dans l’ombre la lumière de leurs lanternes. Les banquettes s’éclaircirent; quelques joueurs restaient encore; les musiciens rafraîchissaient, sur leur langue, le bout de leurs doigts; Charles dormait à demi, le dos appuyé contre une porte.

      À trois heures du matin, le cotillon commença. Emma ne savait pas valser. Tout le monde valsait, mademoiselle d’Andervilliers elle-même et la marquise; il n’y avait plus que les hôtes du château, une douzaine de personnes à peu près.

      Cependant, un des valseurs, qu’on appelait familièrement vicomte, et dont le gilet très ouvert semblait moulé sur la poitrine, vint une seconde fois encore inviter madame Bovary, l’assurant qu’il la guiderait et qu’elle s’en tirerait bien.

      Ils commencèrent lentement, puis allèrent plus vite. Ils tournaient: tout tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris, et le parquet, comme un disque sur un pivot. En passant auprès des portes, la robe d’Emma, par le bas, s’éraflait au pantalon; leurs jambes entraient l’une dans l’autre; il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui; une torpeur la prenait, elle s’arrêta. Ils repartirent; et, d’un mouvement plus rapide, le vicomte, l’entraînant, disparut avec elle jusqu’au bout de la galerie, où, haletante, elle faillit tomber, et, un instant, s’appuya la tête sur sa poitrine. Et puis, tournant toujours, mais plus doucement, il la reconduisit à sa place; elle se renversa contre la muraille et mit la main devant ses yeux.

      Quand elle les rouvrit, au milieu du salon, une dame assise sur un tabouret avait devant elle trois valseurs agenouillés. Elle choisit le Vicomte, et le violon recommença.

      On les regardait. Ils passaient et revenaient, elle immobile du corps et le menton baissé, et lui toujours dans sa même pose, la taille cambrée, le coude arrondi, la bouche en avant. Elle savait valser, celle-là! Ils continuèrent longtemps et fatiguèrent tous les autres.

      On causa quelques minutes encore, et, après les adieux ou plutôt le bonjour, les hôtes du château s’allèrent coucher.

      Charles se traînait à la rampe, les genoux lui rentraient dans le corps. Il avait passé cinq heures de suite, tout debout devant les tables, à regarder jouer au whist sans y rien comprendre. Aussi poussa-t-il un grand soupir de satisfaction lorsqu’il eut retiré ses bottes.

      Emma mit un châle sur ses épaules, ouvrit la fenêtre et s’accouda.

      La nuit était noire. Quelques gouttes de pluie tombaient. Elle aspira le vent humide qui lui rafraîchissait les paupières. La musique du bal bourdonnait encore à ses oreilles, et elle faisait des efforts pour se tenir éveillée, afin de prolonger l’illusion de cette vie luxueuse qu’il lui faudrait tout à l’heure abandonner.

      Le petit jour parut. Elle regarda les fenêtres du château, longuement, tâchant de deviner quelles étaient les chambres de tous ceux qu’elle avait remarqués la veille. Elle aurait voulu savoir leurs existences, y pénétrer, s’y confondre.

      Mais elle grelottait de froid. Elle se déshabilla et se blottit entre les draps, contre Charles qui dormait.

      Il y eut beaucoup de monde au déjeuner. Le repas dura dix minutes; on ne servit aucune liqueur, ce qui étonna le médecin. Ensuite mademoiselle d’Andervilliers ramassa des morceaux de brioche dans une bannette, pour les porter aux cygnes sur la pièce d’eau, et on s’alla promener dans la serre chaude, où des plantes bizarres, hérissées de poils, s’étageaient en pyramides sous des vases suspendus, qui, pareils à des nids de serpents trop pleins, laissaient retomber, de leurs bords, de longs cordons verts entrelacés. L’orangerie, que l’on trouvait au bout, menait à couvert jusqu’aux communs du château. Le Marquis, pour amuser la jeune femme, la mena voir les écuries. Au-dessus des râteliers en forme de corbeille, des plaques de porcelaine portaient en noir le nom des chevaux. Chaque bête s’agitait dans sa stalle, quand on passait près d’elle, en claquant de la langue. Le plancher de la sellerie luisait à l’oeil comme le parquet d’un salon. Les harnais de voiture étaient dressés dans le milieu sur deux colonnes tournantes, et les mors, les fouets, les étriers, les gourmettes rangés en ligne tout le long de la muraille.

      Charles, cependant, alla prier un domestique d’atteler son boc. On l’amena devant le perron, et, tous les paquets y étant fourrés, les époux Bovary firent leurs politesses au Marquis et à la Marquise, et repartirent pour Tostes.

      Emma, silencieuse, regardait tourner les roues. Charles, posé sur le bord extrême de la banquette, conduisait les deux bras écartés, et le petit cheval trottait l’amble dans les brancards, qui étaient trop larges pour lui. Les guides molles battaient sur sa croupe en s’y trempant d’écume, et la boîte ficelée derrière le boc donnait contre la caisse de grands coups réguliers.

      Ils étaient sur les hauteurs de Thibourville, lorsque devant eux, tout à coup, des cavaliers passèrent en riant, avec des cigares à la bouche. Emma crut reconnaître le Vicomte: elle se détourna, et n’aperçut à l’horizon que le mouvement des têtes s’abaissant et montant, selon la cadence inégale du trot ou du galop.

      Un quart de lieue plus loin, il fallut s’arrêter pour raccommoder, avec de la corde, le reculement qui était rompu.

      Mais Charles, donnant au harnais un dernier coup d’oeil, vit quelque chose par terre, entre les jambes de son cheval; et il ramassa un porte-cigares tout bordé de soie verte et blasonné à son milieu comme la portière d’un carrosse.

      – Il y a même deux cigares dedans, dit-il; ce sera pour ce soir, après dîner.

      – Tu fumes donc? demanda-t-elle.

      – Quelquefois, quand l’occasion se présente.

      Il mit sa trouvaille dans sa poche et fouetta le bidet.

      Quand ils arrivèrent chez eux, le dîner n’était point prêt. Madame s’emporta. Nastasie répondit insolemment.

      – Partez! dit Emma. C’est se moquer, je vous chasse.

      Il y avait pour dîner de la soupe à l’oignon, avec un morceau de veau à l’oseille. Charles, assis devant Emma, dit en se frottant les mains d’un air heureux:

      – Cela fait plaisir de se retrouver chez soi!

      On entendait Nastasie qui pleurait. Il aimait un peu cette pauvre fille. Elle lui avait, autrefois, tenu société pendant bien des soirs, dans les désoeuvrements de son veuvage. C’était sa première pratique, sa plus ancienne connaissance du pays.

      – Est-ce que tu l’as renvoyée pour tout de bon? dit-il enfin.

      – Oui. Qui m’en empêche? répondit-elle.

      Puis ils se chauffèrent dans la cuisine, pendant qu’on apprêtait leur chambre. Charles se mit à fumer. Il fumait en avançant les lèvres, crachant à toute minute, se reculant à chaque bouffée.

      – Tu vas te faire mal, dit-elle dédaigneusement.

      Il déposa son cigare, et courut avaler, à la pompe, un verre d’eau froide. Emma, saisissant le porte-cigares, le jeta vivement au fond de l’armoire.

      La journée fut longue, le lendemain! Elle se promena dans son jardinet, passant et revenant par les mêmes allées, s’arrêtant devant les plates-bandes, devant l’espalier, devant le curé de plâtre, considérant avec ébahissement toutes ces choses d’autrefois qu’elle connaissait si bien. Comme le bal déjà lui semblait loin! Qui donc écartait, à tant de distance,


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