Poèmes saturniens. Paul Verlaine

Poèmes saturniens - Paul  Verlaine


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naguères

      On le vit au milieu des hommes, épousant

      Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant

      Aux guerres, célébrant l’orgueil des Républiques

      Et l’éclat militaire et les splendeurs auliques

      Sur la kithare, sur la harpe et sur le luth,

      S’il honorait parfois le présent d’un salut

      Et daignait consentir à ce rôle de prêtre

      D’aimer et de bénir, et s’il voulait bien être

      La voix qui rit ou pleure alors qu’on pleure ou rit,

      S’il inclinait vers l’âme humaine son esprit,

      C’est qu’il se méprenait alors sur l’âme humaine.

      – Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène!

      MELANCHOLIA

      À Ernest Boutier

      I. – Résignation

      Tout enfant, j’allais rêvant Ko-Hinnor,

      Somptuosité persane et papale

      Héliogabale et Sardanapale!

      Mon désir créait sous des toits en or,

      Parmi les parfums, au son des musiques,

      Des harems sans fin, paradis physiques!

      Aujourd’hui, plus calme et non moins ardent,

      Mais sachant la vie et qu’il faut qu’on plie,

      J’ai dû refréner ma belle folie,

      Sans me résigner par trop cependant.

      Soit! le grandiose échappe à ma dent,

      Mais, fi de l’aimable et fi de la lie!

      Et je hais toujours la femme jolie,

      La rime assonante et l’ami prudent.

      II. – Nevermore

      Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L’automne

      Faisait voler la grive à travers l’air atone,

      Et le soleil dardait un rayon monotone

      Sur le bois jaunissant où la bise détone.

      Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,

      Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.

      Soudain, tournant vers moi son regard émouvant:

      «Quel fut ton plus beau jour?» fit sa voix d’or vivant,

      Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.

      Un sourire discret lui donna la réplique,

      Et je baisai sa main blanche, dévotement.

      – Ah! les premières fleurs, qu’elles sont parfumées!

      Et qu’il bruit avec un murmure charmant

      Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées!

      III. – Après trois ans

      Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,

      Je me suis promené dans le petit jardin

      Qu’éclairait doucement le soleil du matin,

      Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.

      Rien n’a changé. J’ai tout revu: l’humble tonnelle

      De vigne folle avec les chaises de rotin…

      Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin

      Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

      Les roses comme avant palpitent; comme avant,

      Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,

      Chaque alouette qui va et vient m’est connue.

      Même j’ai retrouvé debout la Velléda,

      Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,

      – Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.

      IV. – Voeu

      Ah! les oaristys! les premières maîtresses!

      L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,

      Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,

      La spontanéité craintive des caresses!

      Sont-elles assez loin, toutes ces allégresses

      Et toutes ces candeurs! Hélas! toutes devers

      Le Printemps des regrets ont fui les noirs hivers

      De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses!

      Si que me voilà seul à présent, morne et seul,

      Morne et désespéré, plus glacé qu’un aïeul,

      Et tel qu’un orphelin pauvre sans soeur aînée.

      O la femme à l’amour câlin et réchauffant,

      Douce, pensive et brune, et jamais étonnée,

      Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant!

      V. – Lassitude

      «A batallas de amor campo de pluma».

Gongora

      De la douceur, de la douceur, de la douceur!

      Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.

      Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l’amante

      Doit avoir l’abandon paisible de la soeur.

      Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,

      Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.

      Va, l’étreinte jalouse et le spasme obsesseur

      Ne valent pas un long baiser, même qui mente!

      Mais dans ton cher coeur d’or, me dis-tu, mon enfant,

      La fauve passion va sonnant l’oliphant!…

      Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse!

      Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,

      Et fais-moi des serments que tu rompras demain,

      Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse!

      VI. – Mon rêve familier

      Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

      D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,

      Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même

      Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

      Car elle me comprend, et mon coeur transparent

      Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème

      Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

      Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

      Est-elle brune, blonde ou rousse? – Je l’ignore.

      Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore

      Comme ceux des aimés que la Vie exila.

      Son regard est pareil au regard des statues,

      Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

      L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

      VII. – À une femme

      À


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