Germinal. Emile Zola

Germinal - Emile  Zola


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d’un éclair. Déjà, on retombait au néant.

      Maheu disait:

      – C’est le premier accrochage. Nous sommes à trois cent vingt mètres… Regardez la vitesse.

      Levant sa lampe, il éclaira un madrier des guides, qui filait ainsi qu’un rail sous un train lancé à toute vapeur; et, au-delà, on ne voyait toujours rien. Trois autres accrochages passèrent, dans un envolement de clartés. La pluie assourdissante battait les ténèbres.

      – Comme c’est profond! murmura Étienne.

      Cette chute devait durer depuis des heures. Il souffrait de la fausse position qu’il avait prise, n’osant bouger, torturé surtout par le coude de Catherine. Elle ne prononçait pas un mot, il la sentait seulement contre lui, qui le réchauffait. Lorsque la cage, enfin, s’arrêta au fond, à cinq cent cinquante-quatre mètres, il s’étonna d’apprendre que la descente avait duré juste une minute. Mais le bruit des verrous qui se fixaient, la sensation sous lui de cette solidité, l’égaya brusquement; et ce fut en plaisantant qu’il tutoya Catherine.

      – Qu’as-tu sous la peau, à être chaud comme ça?… J’ai ton coude dans le ventre, bien sûr.

      Alors, elle éclata aussi. Était-il bête, de la prendre encore pour un garçon! Il avait donc les yeux bouchés?

      – C’est dans l’œil que tu l’as, mon coude, répondit-elle, au milieu d’une tempête de rires, que le jeune homme, surpris, ne s’expliqua point.

      La cage se vidait, les ouvriers traversèrent la salle de l’accrochage, une salle taillée dans le roc, voûtée en maçonnerie, et que trois grosses lampes à feu libre éclairaient. Sur les dalles de fonte, les chargeurs roulaient violemment des berlines pleines. Une odeur de cave suintait des murs, une fraîcheur salpêtrée où passaient des souffles chauds, venus de l’écurie voisine. Quatre galeries s’ouvraient là, béantes.

      – Par ici, dit Maheu à Étienne. Vous n’y êtes pas, nous avons à faire deux bons kilomètres.

      Les ouvriers se séparaient, se perdaient par groupes, au fond de ces trous noirs. Une quinzaine venaient de s’engager dans celui de gauche; et Étienne marchait le dernier, derrière Maheu, que précédaient Catherine, Zacharie et Levaque. C’était une belle galerie de roulage, à travers banc, et d’un roc si solide, qu’elle avait eu besoin seulement d’être muraillée en partie. Un par un, ils allaient, ils allaient toujours, sans une parole, avec les petites flammes des lampes. Le jeune homme butait à chaque pas, s’embarrassait les pieds dans les rails. Depuis un instant, un bruit sourd l’inquiétait, le bruit lointain d’un orage dont la violence semblait croître et venir des entrailles de la terre. Était-ce le tonnerre d’un éboulement, écrasant sur leurs têtes la masse énorme qui les séparait du jour? Une clarté perça la nuit, il sentit trembler le roc; et, lorsqu’il se fut rangé le long du mur, comme les camarades, il vit passer contre sa face un gros cheval blanc, attelé à un train de berlines. Sur la première, tenant les guides, Bébert était assis; tandis que Jeanlin, les poings appuyés au bord de la dernière, courait pieds nus.

      On se remit en marche. Plus loin, un carrefour se présenta, deux nouvelles galeries s’ouvraient, et la bande s’y divisa encore, les ouvriers se répartissaient peu à peu dans tous les chantiers de la mine. Maintenant, la galerie de roulage était boisée, des étais de chêne soutenaient le toit, faisaient à la roche ébouleuse une chemise de charpente, derrière laquelle on apercevait les lames des schistes, étincelants de mica, et la masse grossière des grès, ternes et rugueux. Des trains de berlines pleines ou vides passaient continuellement, se croisaient, avec leur tonnerre emporté dans l’ombre par des bêtes vagues, au trot de fantôme. Sur la double voie d’un garage, un long serpent noir dormait, un train arrêté, dont le cheval s’ébroua, si noyé de nuit, que sa croupe confuse était comme un bloc tombé de la voûte. Des portes d’aérage battaient, se refermaient lentement. Et, à mesure qu’on avançait, la galerie devenait plus étroite, plus basse, inégale de toit, forçant les échines à se plier sans cesse.

      Étienne, rudement, se heurta la tête. Sans la barrette de cuir, il avait le crâne fendu. Pourtant, il suivait avec attention, devant lui, les moindres gestes de Maheu, dont la silhouette sombre se détachait sur la lueur des lampes. Pas un des ouvriers ne se cognait, ils devaient connaître chaque bosse, nœud des bois ou renflement de la roche. Le jeune homme souffrait aussi du sol glissant, qui se trempait de plus en plus. Par moments, il traversait de véritables mares, que le gâchis boueux des pieds révélait seul. Mais ce qui l’étonnait surtout, c’étaient les brusques changements de température. En bas du puits, il faisait très frais, et dans la galerie de roulage, par où passait tout l’air de la mine, soufflait un vent glacé, dont la violence tournait à la tempête, entre les muraillements étroits. Ensuite, à mesure qu’on s’enfonçait dans les autres voies, qui recevaient seulement leur part disputée d’aérage, le vent tombait, la chaleur croissait, une chaleur suffocante, d’une pesanteur de plomb.

      Maheu n’avait plus ouvert la bouche. Il prit à droite une nouvelle galerie, en disant simplement à Étienne, sans se tourner:

      – La veine Guillaume.

      C’était la veine où se trouvait leur taille. Dès les premières enjambées, Étienne se meurtrit de la tête et des coudes. Le toit en pente descendait si bas que, sur des longueurs de vingt et trente mètres, il devait marcher cassé en deux. L’eau arrivait aux chevilles. On fit ainsi deux cents mètres; et, tout d’un coup, il vit disparaître Levaque, Zacharie et Catherine, qui semblaient s’être envolés par une fissure mince, ouverte devant lui.

      – Il faut monter, reprit Maheu. Pendez votre lampe à une boutonnière, et accrochez-vous aux bois.

      Lui-même disparut. Étienne dut le suivre. Cette cheminée, laissée dans la veine, était réservée aux mineurs et desservait toutes les voies secondaires. Elle avait l’épaisseur de la couche de charbon, à peine soixante centimètres. Heureusement, le jeune homme était mince, car, maladroit encore, il s’y hissait avec une dépense inutile de muscles, aplatissant les épaules et les hanches, avançant à la force des poignets, cramponné aux bois. Quinze mètres plus haut, on rencontra la première voie secondaire; mais il fallut continuer, la taille de Maheu et consorts était à la sixième voie, dans l’enfer, ainsi qu’ils disaient; et, de quinze mètres en quinze mètres, les voies se superposaient, la montée n’en finissait plus, à travers cette fente qui raclait le dos et la poitrine. Étienne râlait, comme si le poids des roches lui eût broyé les membres, les mains arrachées, les jambes meurtries, manquant d’air surtout, au point de sentir le sang lui crever la peau. Vaguement, dans une voie, il aperçut deux bêtes accroupies, une petite, une grosse, qui poussaient des berlines: c’étaient Lydie et la Mouquette, déjà au travail. Et il lui restait à grimper la hauteur de deux tailles! La sueur l’aveuglait, il désespérait de rattraper les autres, dont il entendait les membres agiles frôler le roc d’un long glissement.

      – Courage, ça y est! dit la voix de Catherine.

      Mais, comme il arrivait en effet, une autre voix cria du fond de la taille:

      – Eh bien! quoi donc? est-ce qu’on se fout du monde…? J’ai deux kilomètres à faire de Montsou, et je suis là le premier!

      C’était Chaval, un grand maigre de vingt-cinq ans, osseux, les traits forts, qui se fâchait d’avoir attendu. Lorsqu’il aperçut Étienne, il demanda, avec une surprise de mépris:

      – Qu’est-ce que c’est que ça?

      Et, Maheu lui ayant conté l’histoire, il ajouta entre les dents:

      – Alors, les garçons mangent le pain des filles!

      Les deux hommes échangèrent un regard, allumé d’une de ces haines d’instinct qui flambent subitement. Étienne avait senti l’injure, sans comprendre encore. Un silence régna, tous se mettaient au travail. C’étaient enfin les veines peu à peu emplies, les tailles en activité, à chaque étage, au bout de chaque voie. Le puits dévorateur avait avalé sa ration quotidienne d’hommes, près de sept cents ouvriers, qui besognaient à cette heure


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