La chasse aux lions. Alfred Assollant

La chasse aux lions - Alfred  Assollant


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viens avec moi ?

      – Pardi !»

      À ce moment, un bruit qui ressemblait à celui du tonnerre se fit entendre dans la vallée, du côté de la montagne. La veuve Mouilletrou, toujours pressée de fermer sa porte, nous dit :

      «Ah çà, voyons, entrez-vous ou sortez-vous, paire de blancs-becs ? Vous n’entendez donc pas le rugissement du lion ?»

      En effet, c’était bien ça.

      «Pour lors, dit Pitou, rentrons.»

      Mais il était trop tard. La mère Mouilletrou avait fermé sa cambuse et ne l’aurait pas rouverte pour trente sacs de pommes de terre.

      Alors je dis :

      «Pitou, le gueux va descendre. Allons chercher nos fusils à la caserne.»

      Il me suivit. Nous chargeâmes nos fusils et nous remontâmes jusqu’au bout du village. On n’entendait plus rien, rien de rien, oh ! mais ! ce qui s’appelle rien. Le gueux, qui avait fait peur à tout le monde, ne disait plus rien. Quant aux hommes, aux femmes et aux autres bêtes, ils ne remuaient pas plus que des marmottes en hiver.

      Alors Pitou me dit :

      «La nuit va venir, Dumanet… Rentrons !»

      Je répondis :

      «Pitou, le sergent nous a vus charger nos fusils pour tuer le lion. Si nous rentrons sans l’avoir tué, on dira : “Ce Pitou, ce Dumanet, ça fait de l’embarras ; ça veut tuer les lions comme des lapins, et ça revient au bout d’un quart d’heure ; ça se donne pour des guerriers de fort calibre, et c’est tout bonnement des farceurs, des propres à rien, des rien du tout, des rossards, quoi !” Et nous serons déshonorés.»

      Pitou soufflait comme un phoque, mais il ne disait rien.

      Je l’entrepris encore :

      «Pitou, ça ne te ferait donc rien d’être déshonoré ?

      – Ah ! tiens, ne me parle pas de ça, Dumanet ! Ça me fait monter le sang aux yeux. Déshonorés, moi Pitou et toi Dumanet ! Et la mère Pitou, tu ne la connais pas, mais je la connais, moi ! Et c’est une brave femme, va ! La mère Pitou, qui m’a nourri de son lait quand je ne lui étais de rien, – car ma mère est morte le jour de ma naissance, et mon père, qui s’appelait Pitou, n’était qu’un cousin germain, et il est mort trois mois auparavant en coupant un arbre qui lui tomba sur la tête et le tua raide, – la mère Pitou dirait : “Il s’est déshonoré, mon Pitou, mon petit Pitou que j’aimais tant, que j’avais élevé avec les miens, que je voulais donner en mariage à ma petite Jeanne, quand il serait revenu d’Alger et qu’il aurait pris Abd-el-Kader !” Ah ! tiens, Dumanet, ce n’est pas beau ce que tu dis là, et si ce n’était pas toi, oh ! si ce n’était pas toi !…»

      Il serrait les poings et il avait envie de pleurer.

      Je lui dis :

      «Tu vois bien, Pitou, tu ne pourrais pas vivre si tu étais déshonoré !

      – Eh bien, qu’est-ce qu’il faut faire pour ne pas être… ce que tu dis !»

      Je répliquai :

      «Pitou, le lion nous attend, c’est certain. La preuve, c’est qu’il ne dit plus rien.

      – Eh bien, dit Pitou, s’il veut nous attendre, qu’il attende ! Est-ce que nous sommes à ses ordres ?

      – Pitou, mon petit Pitou, encore cinq cents pas hors du village !

      – Cinq cents ? Pas un de plus ?

      – Je t’en donne ma parole, foi de Dumanet !

      – Puisque c’est comme ça, marchons !»

      Et, de fait, nous marchâmes comme des braves que nous étions : car il ne faut pas croire que Pitou, parce qu’il s’arrêtait de temps en temps pour réfléchir, ne fût pas aussi brave qu’un autre. Ah non ! au contraire !… Seulement, comme disait le capitaine Chambard, il n’était pas téméraire. Que voulez-vous ? tout le monde ne peut pas être téméraire ; et si tout le monde était téméraire, la terre ne serait plus habitable, et la lune non plus, parce que les téméraires qu’il y aurait de trop sur la terre voudraient monter dans la lune.

      Pour lors, Pitou et moi, nous prîmes le chemin de la vallée et de la montagne. Moi, j’allais en avant comme un guerrier ; Pitou, lui, comptait les pas comme un conducteur des ponts et chaussées.

      On n’entendait rien. Toutes les bêtes de la nature dormaient ou faisaient semblant de dormir. La lune se levait dans le ciel, derrière la montagne. Pitou, qui avait compté ses cinq cents pas, s’arrêta sous un vieux chêne et me dit tout bas, comme s’il avait eu peur d’éveiller quelqu’un :

      «Dumanet, c’est fini. Allons-nous-en. Il n’y a personne.»

      Je répondis bien haut :

      «Pitou, encore un kilomètre !

      – Non.

      – Un petit kilomètre ! le plus petit de tous les kilomètres !»

      Il répliqua d’une voix ferme :

      «Pas même un décamètre, Dumanet ! Pitou n’a qu’une parole ! et Pitou Jacques a donné sa parole à Jacques Pitou de ne pas le mener plus loin que cinq cents pas.»

      Tout à coup, dans le haut du chêne, une voix cria :

      «Allah ! Allah ! Allah !

      – Allons, bon ! dit Pitou, encore une autre affaire. Voilà quelque moricaud en détresse.»

      Au même instant, nous entendîmes un bruit de feuilles froissées et de branches cassées. Un Arabe vint tomber à nos pieds.

      Il tomba, je veux dire qu’il descendit de branche en branche, mais si vite que Pitou eut à peine le temps de s’écarter : autrement il lui aurait cogné la tête.

      L’Arabe se releva et dit en montrant la forêt :

      «Il est parti !

      – Qui ? demanda Pitou.

      – Celui que vous cherchez, le brigand qui a mangé ma femme et mes deux vaches, le sidi lion enfin.»

      Je demandai :

      «Comment sais-tu qu’il est parti ?»

      L’Arabe se roula la face contre terre en s’arrachant la barbe.

      «Ah ! dit-il, je l’ai vu et je l’ai suivi pendant qu’il tenait ma pauvre femme Fatma dans ses dents. Allah ! Allah ! Comme elle criait !»

      Et il nous raconta son malheur.

      «Je revenais avec Fatma et le bourricot qui portaient chacun sa charge de bois…»

      Pitou prit la parole :

      «Et toi, qu’est-ce que tu portais ?»

      L’Arabe le regarda très étonné et répondit :

      «Moi ?… je ne portais rien.

      – Alors tu étais comme l’autre dans la chanson de Malbrouck ?

      – Malbrouck ?… connais pas… Un Roumi peut-être ?

      – Oui, un seigneur Roumi que ses amis enterrèrent dans le temps. L’un portait son grand casque, l’autre portait son grand sabre ; l’autre portait sa cuirasse et l’autre ne portait rien… Va, va toujours… Alors tu suivais Fatma et le bourricot ?

      – Je ne les suivais pas, dit l’Arabe ; je les faisais marcher devant moi.

      – Ça, dit Pitou, c’est bien différent… Alors le lion est venu, et il a emporté ta femme et ton bourricot ?

      – Oh ! ma femme seulement, parce que le bourricot a jeté sa charge de bois et s’est sauvé dans la forêt ; mais le brigand saura bien l’y retrouver demain. Pauvre bourricot ! pauvre bon bourricot ! je l’aimais tant !…


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