L'archéologie égyptienne. Gaston Maspero
souvent encore la maison présentait sa façade à la rue. C’était alors un haut mur peint ou blanchi à la chaux, surmonté d’une corniche, et sans ouverture que la porte, ou percé irrégulièrement de quelques fenêtres.
La porte était souvent de pierre, même dans les maisons sans prétentions. Les jambages sont en saillie légère sur la paroi, et le linteau est supporté d’une gorge peinte ou sculptée. L’entrée franchie, on passait successivement dans deux petites pièces sombres, dont la dernière prend jour sur la cour centrale.
Le rez-de-chaussée servait ordinairement d’étable pour les baudets ou pour les bestiaux, de magasins pour le blé et pour les provisions, de cellier et de cuisine. Partout où les étages supérieurs subsistent encore, ils reproduisent presque sans modifications la distribution du rez-de-chaussée. On y arrivait par un escalier extérieur, étroit et raide, coupé à des intervalles très rapprochés par de petits paliers carrés. Les pièces étaient oblongues et ne recevaient de lumière et d’air que par la porte : lorsqu’on se décidait à percer des fenêtres sur la rue, c’étaient des soupiraux placés presque à la hauteur du plafond, sans régularité ni symétrie, garnis d’une sorte de grille en bois à barreaux espacés, et fermés par un volet plein. Les planchers étaient briquetés ou dallés, plus souvent formés d’une couche de terre battue. Les murs étaient blanchis à la chaux, quelquefois peints de couleurs vives. Le toit était plat et fait probablement comme aujourd’hui de branches de palmiers serrées l’une contre l’autre, et couvertes d’un enduit de terre assez épais pour résister à la pluie. Parfois il n’était surmonté que d’un ou deux de ces ventilateurs en bois qu’on rencontre encore si fréquemment en Égypte ; d’ordinaire, on y élevait une ou deux pièces isolées, servant de buanderie ou de dortoir pour les esclaves ou les gardiens. La terrasse et la cour jouaient un grand rôle dans la vie domestique des anciens Égyptiens ; les femmes y préparaient le pain, y cuisinaient, y causaient à l’air libre ; la famille entière y dormait l’été, protégée par des filets contre les attaques des moustiques. Les hôtels des riches et des seigneurs couvraient une surface considérable : ils étaient situés le plus souvent au milieu d’un jardin ou d’une cour plantée, et présentaient à la rue, ainsi que les maisons bourgeoises, des murs nus, crénelés comme ceux d’une forteresse.
La vie domestique était cachée et comme repliée sur elle-même : on sacrifiait le plaisir de voir les passants à l’avantage de n’être pas aperçu du dehors. La porte seule annonçait quelquefois l’importance de la famille qui se dissimulait derrière l’enceinte. Elle était précédée d’un perron de deux ou trois marches, ou d’un portique à colonnes orné de statues, qui lui donnaient l’aspect monumental ; parfois c’était un pylône analogue à celui qui annonçait l’entrée des temples. L’intérieur formait comme une petite ville, divisée en quartiers par des murs irréguliers : la maison d’habitation au fond, les greniers, les étables, les communs, répartis aux différents endroits de l’enclos, selon des règles qui nous échappent encore. Les détails de l’agencement devaient varier à l’infini ; pour donner une idée de ce qu’était l’hôtel d’un grand seigneur égyptien, moitié palais, moitié villa, je ne puis mieux faire que de reproduire deux des plans nombreux que nous ont conservés les tombeaux de la XVIIIe dynastie.
Le premier représente une maison thébaine. Le clos est carré entouré d’un mur crénelé. La porte principale s’ouvre sur une route bordée d’arbres, qui longe un canal ou un bras du Nil.
Le jardin est divisé en compartiments symétriques par des murs bas en pierres sèches, analogues à ceux qu’on voit encore dans les grands jardins d’Akhmîm ou de Girgéh ; au centre, une vaste treille disposée sur quatre rangs de colonnettes ; à droite et à gauche, quatre pièces d’eau peuplées de canards et d’oies, deux pépinières, deux kiosques à jour, et des allées de sycomores, de dattiers et de palmiers-doums ; dans le fond, en face de la porte, une maison à deux étages de petites dimensions, surmontée d’une corniche peinte. Le second plan est emprunté aux hypogées de Tell-el-Amarna.
Il nous montre une maison, située au fond des jardins d’un grand seigneur, Aï, gendre du pharaon Khouniaton et, plus tard, lui-même roi d’Égypte. Un bassin oblong s’étend devant la porte : il est bordé d’un quai en pente douce muni de deux escaliers. Le corps de bâtiment est un rectangle plus large sur la façade que sur les parois latérales.
Une grande porte s’ouvre au milieu et donne accès dans une cour plantée d’arbres et bordée de magasins remplis de provisions : deux petites cours placées symétriquement dans les angles les plus éloignés servent de cage aux escaliers qui mènent sur la terrasse. Ce premier édifice sert comme d’enveloppe au logis du maître. Les deux façades sont ornées d’un portique de huit colonnes, interrompu au milieu par la baie du pylône. La porte franchie, on débouchait dans une sorte de long couloir central, coupé par deux murs percés de portes, de manière à former trois cours d’enfilade. Celle du centre était bordée de chambres ; les deux autres communiquaient à droite et à gauche avec deux cours plus petites, d’où partaient les escaliers qui montent à la terrasse. Ce bâtiment central était ce que les textes appellent l’âkhonouti, la demeure intime du roi et des grands seigneurs, où la famille et les amis les plus proches avaient seuls le droit de pénétrer. Le nombre des étages, la disposition de la façade différaient selon le caprice du propriétaire. Le plus souvent la façade était unie ; parfois elle était divisée en trois corps, et le corps du milieu était en saillie.
Les deux ailes sont alors ornées d’un portique à chaque étage, ou surmontées d’une galerie à jour ; le pavillon central a quelquefois l’aspect d’une tour qui domine le reste de la construction. Les façades sont décorées assez souvent de ces longues colonnettes en bois peint qui ne portent rien et servent seulement à égayer l’aspect un peu sévère de l’édifice.
La distribution intérieure est peu connue ; comme dans les maisons bourgeoises, les chambres à coucher étaient probablement petites et mal éclairées ; mais, en revanche, les salles de réception devaient avoir à peu près les dimensions adoptées aujourd’hui encore en Égypte, dans les maisons arabes. L’ornementation des parois ne comportait pas des scènes ou des compositions analogues à celles qu’on rencontre dans les tombeaux. Les panneaux étaient passés à la chaux ou revêtus d’une teinte uniforme et bordés d’une bande multicolore. Les plafonds étaient d’ordinaire laissés en blanc ; parfois, cependant, ils étaient décorés d’ornements géométriques dont les principaux motifs étaient répétés dans les tombeaux et nous ont été conservés de la sorte, des méandres entremêlés de rosaces, des carrés multicolores, des têtes de bœuf vues de face, des enroulements, des vols d’oies.
Je n’ai parlé que du second empire thébain ; c’est en effet l’époque pour laquelle nous avons le plus de documents. Les lampes en forme de maisons, qu’on trouve en si grand nombre au Fayoum, montrent qu’au temps des Césars romains, on continuait à bâtir selon les mêmes règles qui avaient eu cours sous les Thoutmos et les Ramsès. Pour l’ancien empire, les renseignements sont peu nombreux et peu clairs. Cependant, on rencontre souvent sur les stèles, dans les hypogées ou dans les cercueils, des dessins qui nous montrent quel aspect avaient les portes, et un sarcophage de la IVe dynastie, celui de Khoutou-Poskhou, est taillé en forme de maison.
2. Les forteresses
La plupart des villes et même des bourgs importants étaient murés. C’était une conséquence presque nécessaire de la configuration géographique et de la constitution politique du pays. Contre les Bédouins, il avait fallu barrer le débouché des gorges qui mènent au désert ; les grands seigneurs féodaux avaient fortifié, contre leurs voisins et contre le roi, la ville où ils résidaient, et les villages de leur domaine qui commandaient les défilés des montagnes ou les passes resserrées du fleuve. Abydos, El-Kab, Semnéh possèdent les forteresses les plus anciennes. Abydos avait un sanctuaire d’Osiris et s’élevait à l’entrée d’une des routes qui conduisent aux Oasis. La renommée du temple y attirait les pèlerins, la situation de la ville y amenait les marchands, la prospérité que lui valait l’affluence des uns