Les terres d'or. Gustave Aimard

Les terres d'or - Gustave  Aimard


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jamais! observa Squire: si vous en réchappez, il faudra bénir cette médication bienfaisante.

      – Mes amis! je m’en vais! c’est fini, je le sens! voyez plutôt! hurla le patient qui se laissa tomber presque inanimé sur le sol.

      Les trois impitoyables farceurs eurent un moment d’anxiété: Ed se tordait dans les angoisses très-réelles d’une indigestion monstrueuse. Heureusement la vigueur de sa constitution prit le dessus, d’abondants vomissements le soulagèrent: il s’endormit tout brisé et tout endolori, d’un profond sommeil.

      La farce était jouée; les trois conspirateurs se retirèrent en leurs lits respectifs, dans le ravissement d’avoir aussi bien et aussi complètement réussi.

      Puis, ils s’abandonnèrent béatement aux douceurs du repos.

      Mais à une heure indue de la nuit, vers le matin, tous les dormeurs furent éveillés en sursaut par un bruit étrange; il leur sembla entendre quelqu’un entrer furtivement dans la chambre.

      – Est-ce vous Doc? demanda en baillant Squire qui occupait le même lit avec Flag.

      – Non, répondit l’autre: Je parie que c’est Ed: en tout cas il n’est pas dans le lit.

      – Hé! l’ami Ed! qu’avez-vous donc pour être si matinal? Vous sentiriez-vous plus mal?

      – Mal…! grommela l’infortuné, d’une voix de somnambule; je voudrais bien savoir si vous ne seriez pas dolents et tourmentés, ayant le corps bourré d’huile et de graisse!

      Un gros rire à demi étouffé fut la seule réponse. Ed s’en formalisa:

      – Il vous est facile de rire, Messieurs, je n’en doute pas: je voudrais seulement que quelqu’un de vous eût été aussi proche d’un empoisonnement mortel, et qu’il eût souffert toutes les épreuves qu’il m’a fallu traverser; nous verrions bien s’il trouverait la chose aussi réjouissante!

      – C’est un fait! observa Squire avec un accent sympathique. Mais comprenez, cher, qu’à présent vous voilà hors d’affaire: nous en sommes heureux… mais heureux…! au point d’en avoir le fou rire.

      – D’ailleurs, ajouta Flag! nous ne rions pas de votre accident; Dieu nous en garde! nous trouvons seulement, que votre médication, – si complètement efficace, – avait un cachet,… comment dirai-je?… un caractère… fort bizarre. Enfin, je pense, mon brave Ed, que vous restez notre débiteur d’au moins trois belles peaux de loups; car en absorbant ainsi leur ragoût futur, vous nous avez fait tort d’une superbe rafle; la nuit était magnifique pour la sortie du loup.

      – Que la peste vous confonde tous! vous et les loups! gronda la victime en continuant à se heurter çà et là dans les ténèbres, au milieu de ses évolutions inquiètes.

      – Allons, ami Ed, calmez-vous, ne vous faites pas de bile! Il n’y a eu là-dedans qu’un oubli bien involontaire. Doc va doubler ses jours de corvée, pour vous remplacer; il fera la cuisine pendant trois jours encore, en punition de sa négligence.

      Il ne fallait rien moins que cette flatteuse promesse pour calmer le malade: peu à peu son agitation fut calmée, tout le monde se rendormit.

      Dès les premières lueurs de l’aube, le quatuor fut debout; on expédia vivement le déjeûner afin de mettre en train, sans retard, les affaires de la journée.

      Les jeunes squatters se doutaient bien que Newcome ne manquerait pas de déraciner leurs clôtures pour les reculer à sa ligne idéale de démarcation sur le terrain de Squire et de Doc: ces deux derniers formèrent donc le projet de se tenir sur les lieux afin de s’opposer à l’usurpation.

      Flag avait rendez-vous avec une compagnie d’arpenteurs qui devaient l’occuper à une assez grande distance, et le retenir jusqu’à la nuit.

      Ed déclara que son intention était d’aller à la chasse, si, après le repas, il se sentait la force de porter son fusil.

      – Vous ferez acte de bonne camaraderie à notre égard, observa Flag, en fusillant les loups que vous avez mis hors de danger cette nuit.

      – Que la peste vous confonde, Flag! Je ne sais ce qui m’a empêché de faire feu sur vous ou sur Doc, ou sur celui qui a laissé traîner cette strychnine sur la table. Je ne suis pas encore bien sûr que toute cette aventure ne serve pas de base à une bonne plainte de ma part contre vous tous, qui amènerait parfaitement votre arrestation.

      – Non, mon chéri, répliqua Doc avec un sourire agaçant, car il n’y avait pas plus de strychnine que sur ma main. Le tour a été bien joué, croyez-moi.

      Ed lança successivement un regard sur Squire et sur Flag; il les vit gonflés d’un éclat de rire tout prêt à faire explosion. La vérité se fit aussitôt jour dans son esprit; il avala à la hâte sa tasse de café, et, sans prendre aucune autre nourriture, il se leva de table, prit son fusil et sortit sans dire un seul mot.

      – Whew…! il s’en va plus ahuri qu’un chat ébouillanté, dit Flag en riant; je ne serais point étonné qu’il méditât de prendre une éclatante revanche.

      – Certainement: une autre bonne farce serait de faire mettre son aventure dans les journaux. Ah! ah! ah! serait-il enragé! Sa dignité Éditoriale recevrait un cruel échec. Dans tous les cas il ne nous pardonnera pas, soyez-en sûrs.

      – Bah! une tempête dans une théière! fit Squire en pirouettant.

      – C’est cela; et l’orage sera passé d’ici à l’heure du dîner: Ed n’a presque rien mangé ce matin; or, la faim est un puissant réactif pour amener l’ennemi à composition, répondit Doc philosophiquement.

      – Eh bien! adieu mes amis, il faut que je parte, dit Flag en se levant et faisant ses préparatifs: Ayez soin de vous, Doc; prenez bien garde que Ed ne nous fasse aucune cuisine d’ici à quinze jours; il nous empoisonnerait pour tout de bon.

      A ces mots, le jeune arpenteur tourna les talons et s’éloigna en sifflant.

      – Flag est un bon garçon, observa Doc; ce serait dommage qu’il ne réussît pas.

      CHAPITRE III. UNE TRAGÉDIE DANS LES BOIS

      Les splendeurs joyeuses d’une belle matinée printanière semblaient avoir donné à toute chose une vie et une animation particulières. Partout, dans les bois, retentissaient le chant des oiseaux, le murmure des insectes, l’harmonie charmante et inexprimable de ces mille petites voix confuses qui se réunissent pour former l’hymne grandiose de la nature heureuse dans sa solitude. Dans les clairières on voyait çà et là, folâtrer gracieusement les jeunes loups des prairies, glisser de monstrueux serpents roulés en anneaux étincelants, voler des papillons, courir des écureuils aux branches les plus aériennes des arbres.

      Henry Edwards et Frédéric Allen (Doc et Squire du précédent chapitre) ne pouvaient contenir leur admiration à l’aspect du ravissant spectacle qui émerveillait à chaque pas leurs regards.

      Leur route côtoyait les bois des collines, en suivant un sentier qui séparait la prairie des régions boisées: d’un côté ondulait l’Océan de la verte plaine; de l’autre, la forêt profonde, comme une toison luxuriante, couvrait à perte de vue les croupes fuyantes des collines dont les pentes douces descendaient jusqu’au Missouri. Par intervalles quelques longues avenues livraient passage aux regards, et dans le fond lumineux de ces voûtes ombreuses, on voyait scintiller les flots majestueux du Père des Eaux.

      Un ciel dont l’azur sans tache annonçait une atmosphère pure, un soleil radieux, dans l’air et sur la terre les effluves balsamiques du jeune printemps, le bonheur de vivre, la force, la santé, le courage, l’espoir, tout souriait aux jeunes voyageurs.

      La hache sur leurs robustes épaules, alertes, gais, heureux, ils cheminaient enchantant, parlant et riant.

      O verte jeunesse! sourire de la vie! fleur de l’existence! que ton âme reste joyeuse! ton soleil brillant! ton ciel sans nuages!…

      Et pourtant, par cette douce matinée, il y avait


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