Le canon du sommeil. Paul d'Ivoi

Le canon du sommeil - Paul  d'Ivoi


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pouvait signifier: à la grâce de Dieu, ou bien «voilà une commission du diable» et je me dirigeai vers la porte.

      Le patron me retint encore:

      – Je télégraphie à Calais pour réserver votre chambre, hôtel de la Plage.

      – Non, merci… mon itinéraire est modifié, je gagne le continent par Folkestone.

      – Ah! très bien. Alors je câble à Boulogne. Hôtel Royal.

      – J’y serai vers minuit.

      – All right! cher Max Trelam. Soyez le plus habile pour Mrs. Trilny.

      – Je ferai comme pour vous même.

      VI. LE «SOSIE»

      C’est une vieille maison que l’école Trilny-Dalton. Un ancien logis noble de l’époque d’Elisabeth, que la pioche des démolisseurs a épargné.

      La demeure a grand air, avec sa façade sévère, ses ailes en retour, ses toits majestueux qu’allègent des fleurons compliqués et la frise faîtière ajourée.

      Ma carte de reporter du Times m’ouvrit de suite le bureau de Mrs. Trilny. En quelques mots, je lui expliquai la mission de confiance dont j’étais chargé, puis entrant dans le vif de l’affaire.

      – Il faut que je quitte Londres à 9 heures ce soir; vous concevrez donc que je ne puisse me lancer dans les conversations aimables des gens qui ont beaucoup de temps à dépenser, et vous permettrez que je vous adresse les questions indispensables pour me rendre compte de la physionomie de l’affaire.

      La vieille dame, très digne sous ses cheveux blancs; une nature très loyale, très courageuse, se lisant dans ses yeux qui regardaient bien en face, me répondit:

      – Interrogez, je répondrai. C’est toute une vie de respectabilité qui est en jeu.

      – Bien. Le nom de la jeune fille enlevée?

      – Ellen.

      – Son nom de famille?

      – Je ne le connais pas.

      Et comme à cette réponse tout à fait surprenante de la part d’une directrice d’établissement scolaire, je ne pouvais maîtriser un brusque mouvement, Mrs Trilny s’empressa de parler.

      – Cela vous étonne, je le vois. Cependant la chose est naturelle. Les familles ont parfois des secrets qu’elles ne jugent point à propos de divulguer. Et nous, les institutrices, rendues indulgentes par la connaissance de la vie, nous acceptons pour vrais les renseignements que l’on nous donne.

      – Mais encore, insistai-je émoustillé positivement par le côté obscur de l’affaire?

      – Il y a six mois, une dame blonde, paraissant environ quarante ans, se présenta à moi. Elle accompagnait une jeune fille de dix-sept ans; c’est l’âge qu’elle m’indiqua. Cette jeune fille lui ressemblait étonnamment, bien qu’elle eût les cheveux d’un brun doré très particulier, alors que la lady était blonde; et je n’eus aucune peine à admettre que je voyais la mère et la fille.

      Je hochai la tête pour engager la directrice à ne point s’interrompre.

      – Cette lady m’affirma que des raisons politiques et nobiliaires, sur lesquelles il lui était interdit de s’expliquer davantage, nécessitaient le secret du nom de la jeune personne. Je la rassurai aussitôt. On n’est point parvenu à mon âge sans avoir rencontré les douloureux drames de la vie. Ce que je demande, c’est que mes élèves soient bien élevées, qu’elles présentent les garanties morales, religieuses et autres, telles qu’elles ne puissent nuire aux chères enfants que l’on me confie. Il fut convenu que la «nouvelle» serait inscrite sous le nom d’Ellen Stride, étant bien entendu que ce nom de Stride était supposé, uniquement pour éviter les racontars des autres élèves. Ces fillettes, vous le savez, sont curieuses et la moindre apparence de mystère met leurs jeunes cervelles en ébullition. La mère d’Ellen me versa un semestre de pension d’avance, et je dois le dire, Ellen, durant ces six mois, me donna les plus grandes satisfactions. C’est une âme de cristal, une gaieté cordiale, une intelligence pleine d’originalité. Vraiment je l’aimais plus que mes plus chères anciennes élèves.

      Je crus prudent d’arrêter mistress Trilny sur la pente de ses confidences sentimentales. Non que je sois hostile au sentiment, mais dans l’espèce, il nous éloignait du but. Aussi lançai-je cette phrase:

      – Maintenant que savez-vous de l’enlèvement de cette miss Stride?

      – Rien.

      – Ah, voilà qui est fort.

      – Hier soir, la maman d’Ellen est venue. Elle avait une épaisse voilette sous laquelle je ne l’aurais certes pas reconnue. Elle m’a paru fatiguée, inquiète. Mais peut-être sont-ce là des suppositions sans fondement. Puis elle m’a versé un second semestre de pension, a embrassé sa fille avec une nervosité attendrie. On aurait pensé qu’elle se sentait sous le coup d’un malheur… Et puis, elle est partie, en me disant qu’elle resterait probablement des semaines avant de revenir.

      Ellen a passé sa soirée à l’étude ainsi qu’à l’ordinaire. Après quoi, elle regagna la chambre qu’elle occupe avec une de ses camarades, Ruthie Niellan.

      – Ah! elles étaient deux.

      – Elles auraient dû être. Mais vers neuf heures, on carillonna à la porte de la pension. C’était un domestique avec une voiture. Il venait, dit-il, chercher Miss Niellan pour la conduire chez ses parents, à Trafalgar-Square, le père de la jeune fille ayant été frappé d’une attaque d’apoplexie. L’une de mes répétitrices accompagna la pauvre Niellan éplorée… Or, une heure et demie plus tard, Ruthie Niellan revenait avec la répétitrice. Tout le monde se portait admirablement chez elle, ses parents n’avaient envoyé personne, aucun cocher, aucun domestique à la pension.

      – Mais ce cocher, hasardai-je?

      Au fond, j’étais très embarrassé. Il me semblait que les «facultés exceptionnelles» dont m’avait gratifié le «patron» se trouvaient absolument en défaut.

      On avait enlevé Miss Ellen, et c’était sa compagne Ruthie que l’on avait fait promener à travers la ville, à la faveur d’une mystification cruelle du plus mauvais goût.

      À ma question, Mrs. Trilny répondit:

      – Le cocher avait déposé les voyageuses à quelques pas de la maison Niellan, sur Trafalgar-Square, et avait tiré de son côté sous le prétexte d’autres courses urgentes à faire.

      – Et miss Ellen?

      – Pendant l’absence de sa compagne, elle avait disparu.

      Je perdis la tête. Entre nous, je n’y comprenais rien. Je me trouvais en présence de «la bouteille à l’encre» dans toute son horreur.

      – Pourrais-je voir la chambre de la jeune personne?

      – Certainement, consentit mon interlocutrice avec un touchant empressement.

      – Veuillez me guider.

      Mrs. Trilny ne se le fit pas dire deux fois. Elle m’indiquait la topographie des lieux, tout en marchant. Nous suivîmes un corridor-vestibule reliant le jardin d’entrée à la cour de récréation, augmentée d’un stand de gymnastique, d’un cours de tennis, etc.

      Sur ce couloir, s’ouvraient les portes du réfectoire, de l’escalier descendant aux cuisines. Au milieu à peu près, le mur de droite présentait une solution de continuité livrant passage à un escalier, aux marches recouvertes de sparterie et accédant aux chambres à dormir, à l’infirmerie. Au-dessus de cela, la toiture. Celle-ci, précisément dans la partie qui recouvrait la chambre des jeunes filles Ellen et Ruthie, formait terrasse. Ce coin de l’établissement était une annexe de construction récente, primitivement destinée à un cours de dessin et d’aquarelle.

      Ma visite à la chambre de la disparue ne m’apprit rien.

      La


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