Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi


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compagnie de nos anciennes connaissances.

      Une garde d’honneur, escortant M. le gobernador et faisant cortège à don José, les accompagna jusqu’à la planche, jetée du bateau sur le quai.

      Miraflor passa le premier, présenta ses hommages au commandant, esquissa une révérence à l’adresse des autres passagers et, ensuite, d’un geste arrondi, il salua la foule, sa cousine et son hôte.

      Après ces salamalecs, on agita la question de Bouvreuil. On apprit d’abord qu’il n’y avait pas de consul, on était dans un interrègne, entre une démission et une nomination. Mais justement le commerçant indigène chargé des intérêts français en attendant la venue du nouveau consul, avait escorté le gouverneur.

      – Voulez-vous, lui dit un officier du bord, nous débarrasser d’une sorte d’aliéné, embarqué accidentellement?

      Cette façon de recommander l’individu fit faire la grimace à l’Açoréen.

      – Mais, dit-il, que voulez-vous que j’en fasse?

      – Le garder et le rapatrier à la première occasion.

      Le brave négociant eut, pour éviter la corvée, une excellente inspiration.

      – D’abord, objecta-t-il, je n’ai pas de fonds pour cet objet. Ensuite, comme les services pour la France ne sont pas réguliers ici, je ne sais quand on le réembarquera. Il faudra le nourrir, qui paiera? L’enfermer, je ne dispose d’aucune prison. Ne vaudrait-il pas mieux, puisqu’il est à votre bord, que vous le gardiez jusqu’à destination? Vous du moins, vous êtes sûr de retourner à Bordeaux après avoir touché l’Amérique. Eh bien, vous l’y ramènerez beaucoup plus tôt que si vous me chargiez de ce soin.

      L’officier comprenait fort bien; mais il résistait encore.

      – Je vous assure, dit-il, que j’aimerais mieux le confier aux gendarmes que voilà.

      Ici, don José survint, magnanime et généreux.

      – Non, monsieur, dit-il, les agents de l’autorité portugaise n’auront pas à intervenir.

      Et, d’un mouvement superbe, il leur fit signe de s’éloigner.

      – Je prends ce malheureux sous ma protection, ajouta-t-il, et je l’attache à ma personne pour tout le temps de la traversée.

      – Pardon, fit le commandant, mais à quel titre?

      – J’en fais mon serviteur.

      – Alors vous vous chargerez de sa nourriture à bord?

      – Oui, commandant.

      – Et vous ne craignez rien de ses crises, de ses accès?

      – J’espère qu’il n’en aura pas, et, s’il en a, je le traiterai par la douceur.

      – Mais vous ne le connaissez pas?

      – Si, je l’ai vu à Paris. Il m’y a rendu service et je tiens à m’acquitter envers lui.

      – Soit, monsieur, mais vous serez responsable de ses actes, quoi qu’il puisse arriver. Je souhaite que vous n’ayez pas à regretter ce bon mouvement.

      Puis la planche fut retirée. Un dernier signe d’adieu fut échangé. Et la Lorraine continua sa route à travers les îles du gracieux archipel pour regagner bientôt la haute mer.

      Lavarède avait assisté muet à toute cette scène. Bouvreuil et lui avaient simplement échangé un coup d’œil significatif. Et le journaliste restait silencieux sur le pont, se demandant ce qui avait pu se passer entre ces deux hommes.

      Ce fut encore sa petite Providence, miss Aurett, qui le renseigna. Avec la finesse particulière aux femmes, elle avait saisi un geste d’étonnement échappé à don José quand il monta sur le pont. Bouvreuil avait aussitôt placé son index sur ses lèvres recommandant évidemment le silence au rastaquouère. Cela l’avait intriguée. Se glissant rapidement derrière le mât de misaine, elle s’était dissimulée un instant, assez longtemps cependant pour saisir au vol ce court dialogue, qu’elle vint répéter à Armand:

      – Comment, dit Bouvreuil, le personnage de qualité qu’on attendait, c’est vous?

      – Moi-même, répondit don José. Pas un mot, je vous en prie; il y va de ma position, de mon avenir.

      – Je ne vous trahirai pas; j’ai pour cela plusieurs raisons que vous connaissez bien, et, en plus, une que vous ignorez! Vous avez besoin de moi, j’ai besoin de vous, cela se trouve à merveille.

      – Que désirez-vous de moi?

      – On prétend me faire quitter ce navire. J’ai un grand intérêt à y rester; gardez-moi avec vous, même comme domestique, et cela suffira.

      – C’est facile.

      – Un point important: ici on ne veut pas que je m’appelle de mon vrai nom… On me nomme Lavarède, fit-il avec un sourire qui était une laide grimace.

      – C’est parfait.

      Et don José avait aussitôt tenu sa promesse.

      De cette confidence de la jeune Anglaise, Lavarède ne concluait encore que ceci: un lien mystérieux rapprochait ces hommes; mais lequel? Et comment le découvrir?

      Une seule chose était certaine pour lui, la Lorraine emportait à son bord deux ennemis au lieu d’un seul, et cela compliquait sa situation.

      IV. Le baptême sous la ligne

      Même si Lavarède avait connu la biographie del señor José, il n’eût pas été très rassuré. L’individu était, nous l’avons dit, de la race des aventuriers sans patrie qui ne reculent devant aucune indélicatesse.

      À Paris, il avait fallu vivre. Une fois mangé le sac de piastres rapporté de là-bas, une fois épuisé le petit crédit que les étrangers obtiennent toujours si aisément chez nous, la série des moyens blâmables avait commencé.

      José exploita d’abord le cœur et la pitié des nombreux réfugiés de langue castillane en résidence à Paris. Mais ils ne sont pas riches, et ce filon ne tarda pas à s’épuiser. La parente entrevue aux îles Açores apporta, pendant quelque temps, son contingent d’appui matériel. Mais bientôt elle dut songer à elle-même, afin de ne pas s’enliser dans les boues parisiennes.

      Don José s’aboucha alors avec certains exotiques, dont les dossiers ne sont pas assez connus, et pénétra dans des tripots indûment dénommés «cercles», où il exerça diverses industries aussi peu recommandables les unes que les autres. Un peu de tricherie, beaucoup de mendicité, passionnément d’emprunts, pas du tout de probité; avec ce programme, la pente est glissante. Notre personnage glissa, et bientôt il versa dans l’escroquerie.

      La victime fut un prêteur à la petite semaine, à proprement parler, un usurier. Mais cet individu n’était que l’homme de paille, le prête-nom d’un autre «spéculateur» qui exploitait les joueurs passionnés et les fils de famille en déveine. Et cet entrepreneur de prêts à taux usuraire n’était autre que le sieur Bouvreuil, un de ces tireurs dont l’arc a tant de cordes. Bouvreuil ne supportait pas aisément qu’on le mît dedans.

      En ce temps-là, don José s’appelait simplement Miraflor: c’était peut-être son nom, c’était peut-être celui de son village, l’histoire n’a pas encore éclairci ce point. Toujours est-il qu’un jour, interrogé par un compatriote sur ce que devenait l’aventurier, Bouvreuil répondit:

      – Votre ami, s’il continue, il court à Mazas.

      Et, de fait, il y allait. Car Bouvreuil le fit condamner à la prison. Mais, du même coup, Miraflor avait trouvé son nom de guerre sous lequel nous le retrouvons aujourd’hui. Les oreilles ibériques, séduites par la consonance, adoptèrent les sonorités de la phrase. Bouvreuil avait baptisé son escroc sans s’en douter. Voilà comment don José devint Miraflor y Courramazas, gentilhomme d’une quelconque des républiques sud-américaines.

      Telles


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