Mowgli (FR). Kipling Rudyard

Mowgli (FR) - Kipling Rudyard


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vu de ville hindoue auparavant, et, bien que celle-ci ne fût guère qu’un amoncellement de ruines, le spectacle lui parut aussi splendide qu’étonnant. Quelque roi l’avait bâtie, au temps jadis, sur une petite colline. On pouvait encore discerner les chaussées de pierre qui conduisaient aux portes en ruines où de derniers éclats de bois pendaient aux gonds rongés de rouille. Des arbres avaient poussé entre les pierres des murs, les créneaux étaient tombés et s’effritaient par terre, des lianes sauvages, aux fenêtres des tours, se balançaient en grosses touffes le long des murs.

      

      Un grand palais sans toit couronnait la colline, le marbre des cours d’honneur et des fontaines se fendait, tout taché de rouge et de vert, et les galets mêmes des cours où habitaient naguère les éléphants du roi avaient été soulevés et écartés par les herbes et les jeunes arbres. Du palais, on pouvait voir les innombrables rangées de maisons sans toits qui composaient la ville, semblables à des rayons de miel vides remplis de ténèbres ; le bloc de pierre informe qui avait été une idole, sur la place où se rencontraient quatre routes ; les puits et les rigoles aux coins des rues où se trouvaient jadis les réservoirs publics, et les dômes brisés des temples avec les figuiers sauvages qui sortaient de leurs flancs.

      

      

      Les singes appelaient ce lieu leur cité, et affectaient de mépriser le peuple de la jungle parce qu’il vit dans la forêt. Et cependant, ils ne savaient à quel usage avaient été destinés les édifices ni comment s’en servir. Ils s’asseyaient en cercles dans le vestibule conduisant à la chambre du conseil royal, grattaient leurs puces, et prétendaient être des hommes ; ou bien ils couraient au travers des maisons sans toits, ramassaient dans un coin des plâtras et de vieilles briques, puis oubliaient où ils les avaient cachés ; ou bien ils se battaient, ils criaient, ils se bousculaient en foule, puis, cessaient tout à coup pour jouer du haut en bas des terrasses, dans les jardins du roi où ils secouaient les rosiers et les orangers pour le plaisir d’en voir tomber les fruits et les fleurs. Ils exploraient tous les passages, tous les souterrains du palais et les centaines de petites chambres obscures, mais ils ne se rappelaient jamais ce qu’ils avaient vu ou pas ; et ils erraient ainsi au hasard, un par un, deux par deux, ou par groupes, en se disant l’un à l’autre qu’ils faisaient comme les hommes. Ils buvaient aux réservoirs dont ils troublaient l’eau, et se battaient pour en approcher, puis s’élançaient tous ensemble en masses compactes et criaient :

      – Il n’y a personne dans la jungle d’aussi sage, d’aussi bon, d’aussi intelligent, d’aussi fort et d’aussi doux que les Bandar-Log.

      Ensuite ils recommençaient jusqu’à ce que, fatigués de la ville, ils retournassent aux cimes des arbres, dans l’espoir que le peuple de la jungle les remarquerait.

      Mowgli, qui avait été élevé sous la Loi de la Jungle, n’aimait ni ne comprenait ce genre de vie. Il était tard dans l’après-midi quand les singes, le traînant, arrivèrent aux Grottes Froides. Et, au lieu d’aller dormir, comme Mowgli l’aurait fait après un long voyage, ils se prirent par la main, et se mirent à danser en chantant leurs plus folles chansons. Un des singes fit un discours, et dit à ses compagnons que la capture de Mowgli marquait une nouvelle étape dans l’histoire des Bandar-Log, car il allait leur montrer comment on entrelaçait des branches et des roseaux pour s’en faire un abri contre la pluie et le vent. Mowgli cueillit quelques lianes et se mit à les tresser ; les singes essayèrent de l’imiter, mais, au bout de quelques minutes, ils n’y prenaient déjà plus d’intérêt et se mirent à tirer les queues de leurs camarades, ou à sauter des quatre pattes en toussant.

      

      – Je voudrais manger, dit Mowgli. Je suis un étranger dans cette partie de la jungle. Apportez-moi de la nourriture, ou permettez-moi de chasser ici.

      Vingt ou trente singes bondirent au dehors pour lui rapporter des noix et des pawpaws sauvages ; mais ils se mirent à se battre en route, et cela leur eût donné trop de peine de revenir avec ce qui restait de fruits. Mowgli était endolori et furieux autant qu’affamé, et il errait dans la cité vide, lançant de temps à autre le cri de chasse des étrangers, mais personne ne lui répondait, et il pensait qu’en vérité c’était un mauvais gîte qu’il avait atteint là.

      – Tout ce qu’a dit Baloo au sujet des Bandar- Log est vrai, songeait-il en lui-même. Ils sont sans loi, sans cri de chasse, et sans chefs… rien qu’en mots absurdes et en petites mains adroites et pillardes. De sorte que si je meurs de faim ou suis tué en cet endroit, ce sera par ma propre faute. Mais il faut que j’essaie de retourner dans ma jungle. Baloo me battra sûrement, mais cela vaudra mieux que de faire la chasse à des billevesées en compagnie des Bandar-Log.

      À peine se dirigeait-il vers le mur de la ville, que les singes le tirèrent en arrière, en lui disant qu’il ne connaissait pas son bonheur, et en le pinçant pour lui donner de la reconnaissance. Il serra les dents et ne dit rien, mais marcha, parmi le tumulte des singes braillants, jusqu’à une terrasse qui dominait les réservoirs de grès rouge à demi remplis d’eau de pluie. Au centre de la terrasse, se dressaient les ruines d’un pavillon, tout de marbre blanc, bâti pour des reines mortes depuis cent ans. Le toit, en forme de dôme, s’était écroulé à demi et bouchait le passage souterrain par lequel les reines avaient coutume de venir du palais. Mais les murs étaient faits d’écrans de marbre découpés, merveilleux ouvrage d’entrelacs blancs comme le lait, incrustés d’agates, de cornalines, de jaspe et de lapis-lazuli ; et lorsque la lune se montra par-dessus la montagne, elle brilla au travers du lacis ajouré, projetant sur le sol des ombres semblables à une broderie de velours noir.

      

      Tout meurtri, las et affamé qu’il fût, Mowgli ne put, malgré tout, s’empêcher de rire quand les Bandar-Log se mirent, par vingt à la fois, à lui dire combien ils étaient grands, sages, forts et doux, et quelle folie c’était à lui de vouloir les quitter.

      –Nous sommes grands. Nous sommes libres. Nous sommes étonnants. Nous sommes le peuple le plus étonnant de toute la jungle ! Nous le disons tous, aussi, ce doit-il être vrai, criaient-ils. Maintenant, comme tu nous entends pour la première fois, et que tu es à même de rapporter nos paroles au peuple de la jungle afin qu’il nous remarque dans l’avenir, nous te dirons tout ce qui concerne nos excellentes personnes.

      Mowgli ne fit aucune objection, et les singes se rassemblèrent par centaines et centaines sur la terrasse pour écouter leurs propres orateurs chanter les louanges des Bandar-Log, et, toutes les fois qu’un orateur s’arrêtait par manque de respiration, ils criaient tous ensemble :

      – C’est vrai, nous sommes tous du même avis.

      Mowgli hochait la tête, battait des paupières et disait : Oui, quand ils lui posaient une question ; mais, tant de bruit lui donnait le vestige.

      – Tabaqui, le chacal, doit avoir mordu tous ces gens, se disait-il, et maintenant ils ont la rage. Certainement c’est la dewanee, la folie. Ne dorment-ils donc jamais ?… Tiens, voici un nuage sur cette lune de malheur. Si c’était seulement un nuage assez gros pour que je puisse tenter de me sauver dans l’obscurité. Mais… je suis si las !

      Deux fidèles guettaient le même nuage du fond du fossé en ruines, au bas du mur de la ville ; car Bagheera et Kaa, sachant bien le danger que présentait le Peuple Singe en masse, ne voulaient pas courir de risques inutiles. Les singes ne luttent jamais à moins d’être cent contre un, et peu de monde, dans la jungle, tient à jouer semblable partie.

      

      

      – Je vais aller au mur de l’ouest, murmura Kaa, et fondre sur eux brusquement à la faveur du sol en pente. Ils ne se jetteront pas sur mon dos, à moi, malgré leur nombre, mais…

      – Je le sais, dit Bagheera Que Baloo n’est-il ici


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