Les Histoires merveilleuses, ou les Petits Peureux corrigés. Antoine Antoine
il ne m'arrivera plus de me laisser aller à une téméraire et imprudente curiosité.
M. le Curé. Vous aviez sans doute laissé quelque fenêtre ouverte dans cette pièce?
Gertrude. Non, monsieur, aucune.
M. le Curé. Cela m'étonne. N'importe, ma bonne; je reconnais quelle espèce d'esprit s'est présentée à vous. Vous en rencontrerez peut-être encore plus d'une fois de semblables; mais n'ayez pas d'inquiétude, ils ne vous feront jamais de mal; du moins avec intention.
Gertrude. Je pensais bien que vous ne me traiteriez pas comme tout le monde me traite ici, d'ignorante, de peureuse, de visionnaire. Dites-moi, je vous prie, quels sont ces esprits qui reviennent dans ce château? ce sont sans doute ceux qui y ont mal vécu? vraisemblablement ils demandent des prières? y reviennent-ils souvent? que faut-il faire pour les éloigner de soi? Ah! de grâce, tranquillisez-moi sur tous ces points; parlez, parlez, je vous en prie.
M. le Curé. L'esprit que vous avez rencontré est un malheureux égaré qui a été autant effrayé par vous, qu'il vous a effrayée lui-même. Vous aviez un moyen bien simple de le satisfaire. Toutes les fois que vous en rencontrerez de cette nature, et que vous voudrez vous délivrer de leur présence, il faut…
En ce moment, il sembla que quelqu'un donnait un grand coup dans la porte de la chambre. Chacun ayant fait silence, on entendit dans le corridor le même bruit que Gertrude avait entendu dans la salle des portraits; on frappait avec force aux portes et fenêtres. – C'est encore l'esprit, dirent les petits peureux!.. Ah! monsieur le Curé, faites vîte ce qu'il faut pour qu'il s'éloigne.
M. le Curé. Je le veux bien. Mais si auparavant je vous le faisais connaître? vous n'en auriez pas de regret.
Les Enfans. Quoi! le faire entrer ici?
M. le Curé. Oui; si monsieur et madame veulent bien le permettre: il sortira aussitôt que l'un de nous le désirera.
Monsieur de Verseuil fit un signe de tête, et M. le Curé se leva. – Attendez un instant, s'écria Gertrude en se sauvant dans une alcove dont elle ferma bien soigneusement les rideaux. Cécile se cacha auprès de sa mère, et Victor se mit entre les genoux de son oncle. Albert fut le plus poltron; il alla se cacher avec Gertrude.
M. le Curé ayant ouvert la porte, on entendit le bruit confus qui s'avançait du fond du corridor, et l'on vit entrer dans la chambre une chauve-souris dont les agiles déployées formaient un volume assez considérable: elle fit plusieurs fois le tour de la chambre, en frappant les vitres et les boiseries; ensuite elle se posa sur une corniche au-dessus de la cheminée.
Comment! dirent les petits peureux, c'est-là l'esprit qui nous a battus? et ils appelèrent leur frère et leur bonne. Albert voyant tout le monde tranquille, s'avança sur la pointe du pied jusqu'au bord de l'alcove, puis passa tout doucement la tête entre les rideaux, et ne remarquant rien autre chose que l'espèce d'oiseau perché en face de lui, il vint enfin rire avec son frère et sa sœur de leur terreur panique; puis tous trois allèrent ensuite tirer du fond de sa cachette la pauvre Gertrude, qui tremblait de tout son corps.
M. le Curé. Vous voyez la cause de votre épouvante; voilà le terrible revenant! Cette pauvre chauve-souris aura trouvé quelque issue pour s'introduire dans la salle des portraits.
Victor. C'est moi qui en suis cause; tantôt j'ai cassé un carreau, en jouant avec ma balle.
M. le Curé. Vous pouvez maintenant tout expliquer comme moi: la chauve-souris, bien fâchée de se trouver enfermée dans la salle, a vu la clarté aussitôt que la porte a été entr'ouverte; elle s'est précipitée du côté de la lumière; elle a touché Gertrude, a fait tomber son bonnet et votre flambeau. En volant dans le corridor, elle s'est heurtée contre chacun de vous, et son choc, joint à votre frayeur, vous a renversés: il n'y a dans tout ceci rien que de très-simple. Quand il s'introduira de ces oiseaux dans la maison, ouvrez une fenêtre, et ils sortiront aussitôt. Vous allez voir que celui-ci ne demande pas mieux que de recouvrer sa liberté.
M. de Forbin. Permettez, monsieur le Curé; je serais d'avis d'attrapper cette bête et de la mettre un instant entre les mains de ces petits poltrons, pour les convaincre encore davantage, et les guérir de leur sotte frayeur.
Ceci fut une partie de jeux pour les enfans, qui les divertit beaucoup. Quand on eut bien caressé cette chauve-souris, on ouvrit une fenêtre, et elle ne se fit pas prier pour gagner les champs.
Cécile. Nous voyons que, dans cette circonstance, nous avons eu tort d'avoir peur; mais cependant on raconte des histoires certaines de revenans?
Mad. de Verseuil. Ecoute ma fille: si la chauve-souris s'était échappée aussitôt après l'alarme qu'elle vous a donnée, vous auriez toujours voulu attribuer votre aventure à une cause surnaturelle; vous auriez aussi raconté, comme une chose certaine, que vous aviez été battus par un esprit.
M. le Curé. Toutes les histoires d'apparitions de spectres, de fantômes, de revenans, n'ont point d'autres fondemens que la peur et l'ignorance. Dans ces événemens tout n'est pas faux ni imaginaire, il y a du vrai; et ce vrai, dont les causes naturelles sont inconnues aux peureux qui ne cherchent pas à les découvrir, se transforme pour eux en une chose merveilleuse; alors un incident fort simple passe dans leur imagination pour un prodige. Pourquoi voudriez-vous que Dieu permit aux morts de venir ainsi tourmenter les vivans?
Gertrude. Cela ne serait sans doute que pour demander des prières?
M. le Curé. Eh! dites-moi, je vous prie, quelle vertu pourraient avoir auprès de Dieu des prières arrachées par la frayeur? Pensez-vous qu'il n'y ait que le très-petit nombre de ceux qui, soi-disant, reviennent demander ces prières qui en aient besoin? Pourquoi Dieu, Dieu la bonté même, n'accorderait-il pas cette faveur à tous ceux à qui elle est nécessaire? Non, mes enfans, ce système n'est point d'accord avec les lois de la divinité. Dans des temps de superstition, l'intérêt de quelques individus a enfanté ces sortes de prodiges; l'ignorance et la crédulité y ont fait ajouter foi; et la frayeur en a ensuite créé un nombre infini d'imaginaires.
C'est ainsi que du temps de Saint-Louis, les religieux que ce monarque avait établis à Gentilly, voyant de leurs fenêtres le palais de Vauvert, bâti par le roi Robert, abandonné par ses successeurs, et dont on pouvait faire un monastère commode et agréable, s'avisèrent d'un stratagème pour en devenir possesseurs. On n'entendit plus dans ce palais que des hurlemens affreux. On y voyait des spectres traînant des chaînes, et toutes sortes de fantômes. Un monstre vert semblait toujours prêt à s'élancer la nuit sur les passans. Que faire d'un pareil château? Les chartreux le demandèrent à Saint-Louis: il le leur donna avec toutes les terres qui en dépendaient; et, dès ce moment, les revenans n'y reparurent plus. Aujourd'hui qu'on est plus éclairé, on sentirait que c'est blesser la religion que de mettre ainsi en jeu les morts et l'enfer; et l'on punirait ceux qui chercheraient à surprendre la crédulité du peuple.
Albert. Ne serait-ce pas par suite de cet événement que la rue d'Enfer reçut son nom?
M. le Curé. Précisément: je connais un peu ce qui concerne votre grande ville; je l'ai habitée long-temps; j'y ai même été témoin d'un exemple terrible de ce que peut causer une frayeur irréfléchie; mais je vous réserve ce récit pour un autre moment.
M. de Forbin. Les anciens, dans des circonstances importantes, ont quelquefois dû à de semblables moyens préparés d'avance, le succès des plus grandes entreprises. Jules-César étant prêt à passer le Rubicon, un homme d'une taille extraordinaire apparut tout à coup à la tête de l'armée; et saisissant la trompette d'un soldat, il sonna la charge et s'élança dans le fleuve. «Amis! dit Jules-César à ses soldats, allons où les présages des dieux et l'injustice de nos ennemis nous appellent.»
Victor. Jules-César connaissait donc cet homme?
M. de Forbin. Sans doute; en général habile et qui sait combien le merveilleux peut influer sur le cœur des hommes, il l'avait choisi secrètement, et lui avait ordonné de jouer ce rôle pour enflammer ses troupes.
Une apparition bien plus compliquée, mise en action par un roi d'Ecosse, ranima le courage et la gloire de ses peuples. Les Pictes, dans une guerre contre les