Le registre d'écrou de la Bastille de 1782 à 1789. Bégis Alfred

Le registre d'écrou de la Bastille de 1782 à 1789 - Bégis Alfred


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istre d'écrou de la Bastille de 1782 à 1789 / Extrait de la Nouvelle Revue du 1er décembre 1880

       LE REGISTRE D'ÉCROU DE LA BASTILLE de 1782 à 1789 1

      Les documents qui se rapportent au château de la Bastille et à ses prisonniers n'ont pas cessé d'exciter la curiosité publique. Chacun s'y intéresse; chacun voudrait pouvoir pénétrer le mystère qui enveloppait les prisonniers, depuis leur entrée dans la forteresse jusqu'à leur sortie, et connaître exactement le régime et les traitements auxquels ils y étaient soumis.

      De grandes précautions ont été prises à toutes les époques pour assurer le secret de ce qui se faisait à la Bastille; cependant il a été possible, avec le temps, de connaître en détail à peu près tout ce qui s'est passé dans cette prison tant redoutée.

      À l'une des dernières réunions de la Société des Amis des Livres, formée entre cinquante bibliophiles parisiens, sous la présidence de M. Eugène Paillet, conseiller à la cour d'appel, il a été question d'un registre fort curieux, acquis récemment par l'un des membres de la Société dans une vente publique faite à Londres. Ce volume inédit ne nous paraît pas avoir été même signalé dans les nombreux ouvrages publiés sur la Bastille et sur ses archives: il peut être considéré comme une curiosité historique de premier ordre.

      Nous avons pensé qu'il serait intéressant de le faire connaître par la description de son état matériel, et d'en reproduire littéralement, à titre de spécimen, quelques extraits portant sur des personnages ou sur des faits qui ont déjà été signalés à l'attention du public.

      Avant d'arriver à ce point principal, il nous a paru nécessaire de rappeler brièvement l'origine, la destination et l'état du château de la Bastille, les formalités qui étaient remplies lors de l'entrée et de la sortie des prisonniers, enfin les précautions qui étaient prises à leur égard.

      I

      Le château de la Bastille avait été construit sous Charles VI et sous Charles VII; il avait été complété de 1553 à 1559. Il servait de forteresse pour défendre ou pour commander la ville de Paris, et en même temps de prison d'État.

      La façade du château présentait quatre tours vers Paris et quatre vers le faubourg Saint-Antoine. Le dessus était une plate-forme en terrasse continuée d'une tour à l'autre. Ces tours portaient les noms de la Comté, du Trésor, de la Bazinière, de la Chapelle, de la Liberté, de la Bertaudière, du Puits et du Coin. L'intérieur était divisé en cinq étages dont le dernier, voûté, était nommé la Calotte; au pied se trouvaient des cachots.

      La Bastille servait de lieu de détention pour des prisonniers d'État, lesquels étaient en très petit nombre pendant les dernières années, et pour des prisonniers de police, lesquels comprenaient: des auteurs, des libraires, des colporteurs, des graveurs d'estampes satiriques ou obscènes, et même des relieurs. Ordinairement on relâchait ces derniers après quelques mois de détention. Certains prisonniers étaient maintenus à la Bastille, par l'influence de leurs familles et à leurs frais, moyennant le payement d'une pension dont le chiffre était fixé par le gouverneur.

      C'était ordinairement en fiacre qu'on était conduit dans cette prison, afin d'échapper à la curiosité publique et d'éviter le scandale. Un inspecteur de police et deux hommes armés montaient dans la voiture pour tenir le prisonnier en respect. Le fiacre s'arrêtait dans l'intérieur du château, devant la porte de l'hôtel du gouverneur. Les sentinelles et les soldats des corps de garde avaient pour consigne de mettre leurs chapeaux devant leur visage, afin de ne pas voir le prisonnier; cette précaution se renouvelait à toutes les entrées, sorties, allées et venues de tous les détenus.

      Le major de la Bastille et le lieutenant du roi recevaient le prisonnier, le faisaient monter avec l'exempt à l'appartement du gouverneur, et la lettre de cachet, en vertu de laquelle l'arrestation avait eu lieu, était remise par l'exempt au gouverneur qui lui en donnait une décharge. Nous reproduisons celle relative au sieur Jacquet de la Douay, espion de police, chargé de la surveillance des hommes de lettres et des libraires, lequel avait été arrêté comme s'étant intéressé dans la publication et la vente de livres prohibés.

      Le sieur Jacquet, entré une première fois à la Bastille le 30 octobre 1781, en était sorti le 19 novembre 1782, pour être conduit à Charenton, puis ramené le 7 novembre 1783, pour n'en plus sortir que le 9 juillet 1789. Lors de cette seconde incarcération, il était accompagné par le sieur Le Houx, inspecteur de police, porteur d'une lettre ainsi conçue:

      Monsieur le marquis de Launay,

      Je vous fais cette lettre pour vous dire de recevoir dans mon château de la Bastille le sieur Jacquet et de l'y retenir jusqu'à nouvel ordre de ma part. Sur ce, je prie Dieu, Monsieur de Launay, qu'il vous ait en sa sainte garde.

      Écrit à Fontainebleau, le 3 novembre 1783.

Signé: LOUIS.Contresigné: AMELOT.

      La lettre de cachet était quelquefois remplacée provisoirement par une lettre d'anticipation, en attendant celle du roi qui devait autoriser l'emprisonnement.

      Le major inscrivait sur un registre le nom et la qualité du prisonnier, avec le numéro de l'appartement qu'il allait occuper; puis escorté de deux porte-clefs, il l'emmenait à la chambre qui lui était destinée. En arrivant, le détenu était invité à remettre tout ce qu'il avait dans ses poches, sa montre, ses bagues, son argent, ses papiers, ses étuis et même ses cure-dents; le major en dressait l'inventaire qu'il faisait signer par le prisonnier. Les papiers étaient réunis en un paquet que l'on cachetait avec le cachet du prisonnier auquel il était rendu. Ce paquet devait être ouvert par le magistrat chargé de l'interrogatoire.

      Les noms des détenus n'étaient jamais prononcés; ils étaient désignés par le nom de la tour dans laquelle ils étaient placés, et par le numéro de leur étage. Ils pouvaient obtenir du lieutenant de police l'autorisation d'écrire à leur famille et d'en recevoir des réponses par son intermédiaire, d'avoir un domestique ou un garde-malade, et de recevoir des visites du dehors.

      Pendant ces visites, le prisonnier devait rester à une certaine distance de son visiteur, afin que celui-ci ne pût pas lui remettre ni papiers, ni armes, ni instruments dont il aurait pu abuser. On prenait en outre les plus grandes précautions pour que le visiteur ne pût être vu d'aucun autre que celui qu'il venait voir.

      Plusieurs prisonniers avaient été autorisés à se promener, l'un après l'autre, sous l'escorte d'un officier ou d'un porte-clefs, dans le jardin, puis sur les plates-formes des tours donnant du côté de la rue Saint-Antoine. M. Amelot décida que ces promenades n'auraient plus lieu que dans la cour du château. Cette cour formait un carré de 30 mètres sur 20; elle était entourée de murailles qui avaient plus de 30 mètres de haut, sans aucune fenêtre. C'était un large puits où le froid était insupportable pendant l'hiver et la chaleur excessive pendant l'été. Cette cour sans abri formait le seul passage pour arriver aux cuisines. Comme il fallait surtout que le prisonnier fût invisible et qu'il ne vît personne, quand il se présentait des étrangers, pendant sa promenade, il devait se réfugier dans le cabinet, couloir de 4 mètres de long sur 65 centimètres de large, pratiqué dans l'épaisseur d'une ancienne voûte. Au moindre soupçon de curiosité, sa promenade lui était supprimée, et il était réduit à une claustration absolue.

      Les prisonniers étaient interrogés dans la salle du conseil du château, quelques jours après leur arrivée, par le lieutenant de police ou par un conseiller d'État, un maître des requêtes, un conseiller ou un commissaire du Châtelet.

      Lorsqu'un prisonnier avait obtenu sa liberté, on lui rendait les effets, les valeurs et les objets qu'il avait remis en entrant. On lui présentait ensuite un registre intitulé: «Livre des sorties des prisonniers du château de la Bastille», sur lequel était inscrite une formule contenant la promesse de ne jamais révéler ce qu'il avait vu ou entendu pendant son séjour à la Bastille, et on l'invitait à la signer.

      Nous reproduisons l'une de ces déclarations, signée par l'abbé Lenglet du Fresnoy, enfermé plusieurs fois à la Bastille à cause de ses écrits:

      «Étant en liberté, je promets, conformément aux ordres du Roy, de ne parler à qui que ce soit, ny en aucune manière que ce puisse être, des prisonniers ny d'autres choses


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Nous sommes redevables au possesseur du précieux registre dont il va être question, de cet article aussi intéressant par lui-même que curieux par les citations qui s'y trouvent.