Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte L'Étoile, en 1766, 1767, 1768 & 1769.. Louis-Antoine de Bougainville

Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte L'Étoile, en 1766, 1767, 1768 & 1769. - Louis-Antoine de Bougainville


Скачать книгу
degré de latitude sud. En 1618, une autre partie de cette terre, située à peu près sous le quinzième parallèle, fut découverte par Zéachen, qui lui donna le nom d’Amhem et de Diemen; et ce pays n’est pas le même que celui nommé depuis Diemen par Tasman. En 1619, Jean d’Edels donna son nom à une portion méridionale de la Nouvelle-Hollande. Une autre portion, située entre le trentième et le trente-troisième parallèle, reçut celui de Lieuwin. Pierre de Nuitz, en 1627, imposa le sien à une côte qui paraît faire la suite de celle de Leuwin dans l’ouest. Guillaume de Witt appela de son nom une partie de la côte occidentale, voisine du tropique du Capricorne, quoiqu’elle dû porter celui du capitaine Viane, Hollandais, qui, en 1628, avait payé l’honneur de cette découverte par la perte de son navire et de toutes ses richesses.

      Dans la même année 1628, entre le dixième et le vingtième parallèle, le grand golfe de la Carpentarie fut découvert par Pierre Carpenter, Hollandais, et cette nation a souvent depuis fait reconnaître toute cette côte.

      Dampierre, Anglais, partant de la grande Timor, avait fait en 1687 un premier voyage sur les côtes de la Nouvelle-Hollande, et était abordé entre la terre d’Amhem et celle de Diemen; cette course, fort courte, n’avait produit aucune découverte. En 1699, il partit d’Angleterre avec l’intention expresse de reconnaître toute cette région sur laquelle les Hollandais ne publiaient point les lumières qu’ils possédaient. Il en parcourut la côte occidentale depuis le vingt-huitième jusqu’au quinzième parallèle. Il eut la vue de la terre de Concorde, de celle de Witt et conjectura qu’il pouvait exister un passage au sud de la Carpentarie. Il retourna ensuite à Timor, d’où il revint visiter les îles des Papous, longea la Nouvelle-Guinée, découvrit le passage qui porte son nom, appela Nouvelle-Bretagne la grande île qui forme ce détroit à l’est, et reprit sa course pour Timor le long de la Nouvelle-Guinée. C’est ce même Dampierre qui, depuis 1683, jusqu’en 1691, tantôt flibustier, tantôt commerçant, avait fait le tour du monde en changeant de navires.

      Tel est l’exposé succinct des divers voyages autour du globe, et des découvertes différentes faites dans le vaste océan Pacifique, jusqu’au temps de notre départ.

      Depuis notre retour en France et la première édition de cet ouvrage, des navigateurs anglais sont revenus d’un nouveau voyage autour du monde, et ce voyage me paraît être celui des modernes de cette espèce où on a fait le plus de découvertes en tous genres. Le nom du navire est l’Endeavour; il était commandé par le capitaine Cook, et portait MM. Bancks et Solander, deux savants illustres. La relation de la partie maritime du voyage a déjà paru; et celle de MM. Bancks et Solander, avec tous les détails concernant l’histoire naturelle, est annoncée pour l’hiver prochain. En attendant, j’ai cru à propos de placer ici un abrégé de l’extrait de ce fameux voyage que M. Bancks lui-même a envoyé à l’Académie des sciences de Paris.

      Partis de Plymouth le 25 août 1768, ils arrivent à la Terre de Feu, le 16 janvier 1669 après deux relâches, l’une à Madère, l’autre à Rio de Janeiro. Ils s’arrêtent cinq jours à la baie de Bon-Succès, et, ayant doublé le cap de Horn, ils dirigent leur route sur Tahiti. Du 13 avril au 13 juillet ils séjournent dans cette île, où ils observent en juin le passage de Vénus sur le disque du soleil. En sortant de Tahiti, un des Tahitiens embarqués avec eux les détermine à s’arrêter à quelques-unes des îles voisines; ils en visitent six où ils trouvent les mêmes mœurs et le même langage qu’à Tahiti.

      De là ils dirigent leur route pour attaquer la Nouvelle-Zélande par quarante degrés de latitude australe.

      Ils y atterrent le 3 octobre sur la côte orientale, et reconnaissent parfaitement, en six mois de circumnavigation, que la Nouvelle-Zélande, au lieu d’être partie du continent austral, comme on le supposait assez généralement, est composée de deux îles sans aucune terre ferme dans le voisinage. Ils observent aussi qu’on y parle différents dialectes de la langue de Tahiti, tous passablement entendus par le Tahitien embarqué dans l’Endeavour.

      Leurs découvertes ne se bornent pas à celles-là; après avoir quitté le 31 mars 1770 les côtes de la Nouvelle-Zélande, ils viennent atterrer par les trente-huit degrés de latitude australe sur la partie orientale de la Nouvelle-Hollande, ils la côtoient en remontant vers le nord, ils y font plusieurs mouillages et des reconnaissances, jusqu’au 10 juin où ils échouent sur un rocher par les quinze degrés de latitude dans les parages où l’on verra que je me suis trouvé fort embarrassé; ils restent échoués vingt-trois heures et passent deux mois à se radouber dans un petit port voisin de ce rocher qui avait failli leur être fatal. Après avoir été plusieurs autres fois en risque dans ces parages funestes, ils trouvent enfin par dix degrés de latitude australe un détroit entre la Nouvelle-Hollande et les terres de la Nouvelle-Guinée par lequel ils débouchent dans la mer des Indes.

      Insatiables de recherches, ils visitent encore les côtes méridionales et occidentales de la Nouvelle-Guinée, viennent ensuite ranger la côte méridionale de l’île Java, passent le détroit de la Sonde, et arrivent le 9 octobre à Batavia. Ils y séjournent deux mois, relâchent ensuite au cap de Bonne-Espérance, à l’île Sainte-Hélène, et mouillent enfin aux Dunes le 13 juillet 1771, ayant enrichi le monde de grandes connaissances en géographie et de découvertes intéressantes dans les trois règnes de la nature.

      Cette esquisse fera désirer impatiemment aux lecteurs la relation détaillée de cette instructive expédition, et doit me rendre encore plus timide à publier le récit de la mienne. Avant que de le commencer, qu’il me soit permis de prévenir qu’on ne doit pas en regarder la relation comme un ouvrage d’amusement: c’est surtout pour les marins qu’elle est faite. D’ailleurs cette longue navigation autour du globe n’offre pas la ressource des voyages de mer faits en temps de guerre, lesquels fournissent des scènes intéressantes pour les gens du monde. Encore si l’habitude d’écrire avait pu m’apprendre à sauver par la forme une partie de la sécheresse du fond! Mais, quoique initié aux sciences dès ma plus tendre jeunesse, ou les leçons que daigna me donner M. d’Alembert me mirent dans le cas de présenter à l’indulgence du public un ouvrage sur la géométrie, je suis maintenant bien loin du sanctuaire des sciences et des lettres; mes idées et mon style n’ont que trop pris l’empreinte de la vie errante et sauvage que je mène depuis douze ans. Ce n’est ni dans les forêts du Canada, ni sur le sein des mers, que l’on se forme à l’art d’écrire, et j’ai perdu un frère dont la plume aimée du public eût aidé à la mienne. Au reste, je ne cite ni ne contredis personne; je prétends encore moins établir ou combattre aucune hypothèse. Quand même les différences très sensibles, que j’ai remarquées dans les diverses contrées où j’ai abordé, ne m’auraient pas empêché de me livrer à cet esprit de système, si commun aujourd’hui, et cependant si peu compatible avec la vraie philosophie, comment aurais-je pu espérer que ma chimère, quelque vraisemblance que je susse lui donner, pût jamais faire fortune? Je suis voyageur et marin, c’est-à-dire un menteur et un imbécile aux yeux de cette classe d’écrivains paresseux et superbes qui, dans l’ombre de leur cabinet, philosophent à perte de vue sur le monde et ses habitants, et soumettent impérieusement la nature à leurs imaginations. Procédé bien singulier, bien inconcevable de la part des gens qui, n’ayant rien observé par eux-mêmes, n’écrivent, ne dogmatisent que d’après des observations empruntées de ces mêmes voyageurs auxquels ils refusent la faculté de voir et de penser. Je finirai ce discours en rendant justice au courage, au zèle, à la patience invincible des officiers et équipages de mes deux vaisseaux. Il n’a pas été nécessaire de les animer par un traitement extraordinaire, tel que celui que les Anglais ont cru devoir faire aux équipages de M. Byron. Leur constance a été à l’épreuve des positions les plus critiques, et leur bonne volonté ne s’est pas un instant ralentie. C’est que la nation française est capable de vaincre les plus grandes difficultés, et que rien n’est impossible à ses efforts, toutes les fois qu’elle voudra se croire elle-même l’égale au moins de telle nation que ce soit au monde.

      CHAPITRE II

      Dans le mois de février 1764, la France avait commencé un établissement aux îles Malouines. L’Espagne revendiqua ces îles, comme étant une dépendance du continent de l’Amérique méridionale;


Скачать книгу