Vies des dames galantes. Pierre de Bourdeille Brantôme

Vies des dames galantes - Pierre de Bourdeille Brantôme


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party en cecy.

      – J'ay cogneu une dame assez grande qui, ayant donné une assignation à son amy de venir coucher avec elle une nuict, il y vint tout appresté, en chemise, pour faire son devoir; mais, d'autant que c'estoit en hyver, il eut si grand froid en allant, qu'estant couché il ne put rien faire, et ne songea qu'à se réchauffer: dont la dame l'en haït et n'en fit plus de cas.

      – Une autre dame devisant d'amour avec un gentilhomme, il luy dit, entre autres propos, que s'il estoit couché avec elle, qu'il entreprendroit faire six postes la nuict, tant sa beauté le feroit bien piquer. «Vous vous vantez de beaucoup, dit-elle. Je vous assigne donc à une telle nuict.» A quoy il ne faillit de comparoistre; mais le malheur fut pour luy qu'il fut surpris, estant dans le lict, d'une telle convulsion, refroidissement et retirement de nerf, qu'il ne put pas faire une seule poste; si bien que la dame luy dit: «Ne voulez-vous faire autre chose? or vuidez de mon lict, je ne le vous ay pas presté, comme un lict d'hostellerie, pour vous y mettre à vostre aise et reposer. Parquoy vuidez.» Et ainsi le renvoya, et se moqua bien après de luy, l'haïssant plus que peste. Ce gentilhomme fust esté fort heureux s'il fust esté de la complexion du grand protenotaire Baraud, et aumosnier du roy François, que, quand il couchoit avec les dames de la Cour, du moins il alloit à la douzaine, et au matin il disoit encore: «Excusez-moi, madame, si je n'ay mieux fait, car je pris hier médecine.» Je l'ay veu depuis, et l'appeloit-on le capitaine Baraud, gascon, et avoit laissé la robbe, et m'en a bien conté, à mon advis, nom par nom. Sur ses vieux ans, cette virile et vénéreique vigueur luy défaillit, et estoit pauvre, encore qu'il eust tiré de bons brins que sa pièce luy avoit valu; mais il avoit tout brouillé, et se mit à escouler et distiller des essences: «Mais, disoit-il, si je pouvois, aussi bien que de mon jeune aage, distiller de l'essence spermatique, je ferois bien mieux mes affaires et m'y gouvernerois mieux.»

      – Durant cette guerre de la ligue, un honneste gentilhomme, brave certes et vaillant, estant sorty de sa place dont il estoit gouverneur pour aller à la guerre, au retour, ne pouvant arriver d'heur en sa garnison, il passa chez une belle et fort honneste et grande dame veufve, qui le convie de demeurer à coucher céans; ce qu'il ne refusa, car il estoit las. Après l'avoir bien fait souper, elle lui donne sa chambre et son lict, d'autant que toutes ses autres chambres estoient dégarnies pour l'amour de la guerre, et ses meubles serrez, car elle en avoit de beaux. Elle se retire en son cabinet, où elle y avoit un lict d'ordinaire pour le jour. Le gentilhomme, après plusieurs refus de cette chambre et ce lict, fut contraint par la prière de la dame de le prendre: et, s'y estant couché et bien endormy d'un très-profond sommeil, voicy la dame qui vient tout bellement se coucher auprès de luy sans qu'il en sentist rien ny de toute la nuict, tant il estoit las et assoupy de sommeil; et reposa jusques au lendemain matin grand jour, que la dame s'ostant près de luy qui s'accommençoit à esveiller, luy dit: «Vous n'avez pas dormy sans compagnie, comme vous voyez, car je n'ay pas voulu vous quitter toute la part de mon lict, et par ce j'en ay joüi de la moitié aussi bien que vous. Adieu: vous avez perdu une occasion que vous ne recouvrerez jamais.» Le gentilhomme, maugréant et détestant sa bonne fortune faillie (c'estoit bien pour se pendre), la voulut arrester et prier; mais rien de tout cela, et fort dépitée contre luy pour ne l'avoir contentée comme elle vouloit, car elle n'estoit là venuë pour un coup, aussi qu'on dit: «Un seul coup n'est que la salade du lict, et mesmes la nuict,» et qu'elle n'estoit là venuë pour le nombre singulier, mais pour le plurier, que plusieurs dames en cela ayment plus que l'autre. Bien contraires à une très-belle et honneste dame que j'ay cogneu, laquelle ayant donné assignation à son amy de venir coucher avec elle, en un rien il fit trois bons assauts avec elle; et puis, voulant quarter et parachever et multiplier ses coups, elle luy dit, pria et commanda de se découcher et retirer. Luy, aussi frais que devant, luy représente le combat, et promet qu'il feroit rage toute cette nuict là avant le jour venu, et que pour si peu sa force n'estoit en rien diminuée. Elle luy dit: «Contentez-vous que j'ay recogneu vos forces, qui sont bonnes et belles, et qu'en temps et lieu je les sçauray mieux employer qu'à st'heure; car il ne faut qu'un malheur que vous et moy soyons descouverts; que mon mary le sçache, me voilà perduë. Adieu donc jusques à une plus seure et meilleure commodité, et alors librement je vous employeray pour la grande bataille, et non pour si petite rencontre.» Il y a force dames qui n'eussent eu cette considération, mais ennivrées du plaisir, puisque tenoient déjà dans le camp leur ennemy, l'eussent fait combattre jusques au clair jour.

      – Cette honneste dame que je dis de paravant celles cy, estoit de telle humeur, que quand le caprice lui prenoit, jamais elle n'avoit peur ny apprehension de son mary, encore qu'il eust bonne espée et fust ombrageux; et nonobstant elle y a esté si heureuse, que ny elle ny ses amants n'ont pu guières courir fortune de vie, pour n'avoir jamais esté surpris, pour avoir bien posé ses gardes et bonnes sentinelles et vigilantes: en quoy pourtant ne se doivent pas fier les dames, car il n'y faut qu'une heure malheureuse, ainsi qu'il arriva il y a quelque temps à un gentilhomme brave et vaillant, qui fut massacré, allant voir sa maîtresse, par la trahison et menée d'elle mesme que le mary lui avoit fait faire3: que s'il n'eust eu si bonne présomption de sa valeur comme il avoit, certes il eust bien pris garde à soy et ne fust pas mort, dont ce fut grand dommage. Grand exemple, certes, pour ne se fier pas tant aux femmes amoureuses, lesquelles, pour s'eschapper de la cruelle main de leurs marys, joüent tel jeu qu'ils veulent, comme fit cette-cy qui eut la vie sauve, et l'amy mourut.

      – Il y a d'autres marys qui tuent la dame et le serviteur tout ensemble, ainsi que j'ay oüy dire d'une très-grande dame de laquelle son mary estant jaloux, non pour aucun effet qu'il y eust certes, mais par jalousie et vaine apparence d'amour, il fit mourir sa femme de poison et langueur, dont fut un très-grand dommage, ayant paravant fait mourir le serviteur, qui estoit un honneste homme, disant que le sacrifice estoit plus beau et plus plaisant de tuer le taureau devant et la vache après. Ce prince fut plus cruel à l'endroit de sa femme qu'il ne fut après à l'endroit d'une de ses filles qu'il avoit mariée avec un grand prince, mais non si grand que luy qui estoit quasi un monarque. Il eschappa à cette folle femme de se faire engrosser à un autre qu'à son mary, qui estoit empesché à quelque guerre; et puis, ayant enfanté d'un bel enfant, ne sceut à quel sainct se voüer, sinon à son père, à qui elle décela le tout par un gentilhomme en qui elle se fioit, qu'elle luy envoya. Duquel aussi-tost la creance ouye, il manda à son mary que sur sa vie il se donnast bien garde de n'attenter sur celle de sa fille, autrement il attenteroit sur la sienne, et le rendroit le plus pauvre prince de la chrestienté, comme estoit en son pouvoir; et envoya à sa fille une galere avec une escorte querir l'enfant et la nourrice; et l'ayant fourny d'une bonne maison et entretien, il le fit très-bien nourrir et élever. Mais au bout de quelque temps que le père vint à mourir, par conséquent le mary la fit mourir.

      – J'ay ouy dire d'un autre qui fit mourir le serviteur de sa femme devant elle, et le fit fort languir, afin qu'elle mourust martyre de voir mourir en langueur celui qu'elle avoit tant aymé et tenu entre ses bras.

      – Un autre de par le monde tua sa femme en pleine Cour4, luy ayant donné l'espace de quinze ans toutes les libertés du monde, et qu'il estoit assez informé de sa vie, jusques à luy remonstrer et l'admonester. Toutefois une verve luy prit (on dit que ce fut par la persuasion d'un grand son maistre), et par un matin la vint trouver dans son lict ainsi qu'elle vouloit se lever, et ayant couché avec elle, gaussé et ryt bien ensemble, luy donna quatre ou cinq coups de dague, puis la fit achever à un sien serviteur, et après la fit mettre en litière, et devant tout le monde fut emportée en sa maison pour la faire enterrer. Après s'en retourna, et se présenta à la Cour, comme s'il eust fait la plus belle chose du monde, et en triompha. Il eust bien fait de mesme à ses amoureux; mais il eust eu trop d'affaires, car elle en avoit tant eu et fait, qu'elle en eust fait une petite armée.

      – J'ay ouy parler d'un brave et vaillant capitaine pourtant, qui, ayant eu quelque soupçon de sa femme, qu'il avoit prise en très-bon lieu, la vint trouver sans autre suite, et l'estrangla lui-même de sa main de son escharpe blanche, puis la fit enterrer le plus honorablement qu'il peut, et assista aux obseques habillé en deuil, fort triste, et le porta fort longtemps ainsi habillé: et voilà la pauvre femme bien satisfaite, et pour la bien resusciter par cette belle cérémonie: il en fit de mesme à une damoiselle de sa dite femme


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<p>3</p>

Le fameux Bussi d'Amboise, Louis de Clermont, massacré le 19 août 1579, à un rendez-vous que lui avoit donné la comtesse de Monsoreau par le commandement de son mari. (De Thou. liv. LXVIII.)

<p>4</p>

René de Villequier, qui tua Françoise de La Marck, sa première femme.