Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux
commandant, disait-il (c'est ainsi qu'il appelait son beau-père), je n'aurais rien fait», oubliant de la meilleure foi du monde son bel et grand ouvrage sur les Constructions navales des peuples extra-européens. D'autre part, le commandant Pâris apportait dans l'association un esprit d'une rare originalité, une incomparable ardeur et une expérience acquise aussi bien dans la mâture et sur le pont de l'Astrolabe que dans la machine de l'aviso à vapeur le Castor, et dans les ateliers des constructeurs anglais. C'était l'union féconde de la vieille Marine et de la Marine nouvelle.
M. de Bonnefoux eut la joie d'assister au succès du Dictionnaire de Marine, dont il achevait de corriger la seconde édition, quand il mourut le 14 décembre 1855. Quelque temps auparavant il dédiait son Manœuvrier complet à son petit-fils Armand Pâris, dont la vocation maritime se dessinait déjà et qui, ayant devant lui le plus bel avenir, devait périr, à trente ans, victime de sa passion pour la mer.
M. de Bonnefoux laissait trois gros cahiers de lettres écrites par lui à son fils et à sa fille. Beaucoup de ces lettres, toutes très précieuses pour la famille, ne méritaient pas d'être publiées. Les unes contenaient des conseils moraux, d'autres des dissertations littéraires ou historiques, destinées à l'instruction de ses enfants, sur laquelle il veilla lui-même avec des soins infinis. Quelquefois même il s'adressait à sa fille en anglais.
Au contraire, le second et le troisième cahier contenaient une série de lettres, dans lesquelles il exposait l'histoire de sa vie, à l'usage de son fils, élève au Collège de la Flèche, puis à l'École de Saint-Cyr. La première de ces lettres est datée de Paris, le 2 novembre 1833, la dernière de la rade de Brest, le 10 septembre 1836. Elles constituent de véritables Mémoires, écrits pendant que l'auteur occupait les fonctions d'examinateur des capitaines au long cours, puis celle de commandant de l'École navale. Ces Mémoires s'arrêtent lorsque Léon de Bonnefoux, parvenu à l'âge d'homme, peut désormais connaître et apprécier par lui-même les événements qui se passent dans sa famille.
Ces Mémoires furent complétés par la Notice biographique sur M. le baron de Bonnefoux, ancien préfet maritime, écrite, elle aussi, en 1836, et qui en forme une suite naturelle. Il s'agit encore ici d'apprendre à Léon de Bonnefoux ce que firent les siens, et cela à titre d'encouragement et d'exemple. La respectueuse admiration de l'auteur pour son cousin germain explique qu'il lui ait consacré une étude spéciale. J'ajoute que le séjour de Napoléon à Rochefort, en 1815, méritait d'être raconté par quelqu'un qui avait vu les choses de près.
Jusqu'à la fin de sa vie, M. de Bonnefoux continua, du reste, à consigner les événements de famille sur les pages blanches du troisième registre. Seulement les notes, en général assez brèves, écrites à des intervalles irréguliers, ne nous ont pas semblé de nature à intéresser le public.
Reproduisons seulement les derniers mots, tracés de (p. XXXIII) la main de M. de Bonnefoux, un an avant sa mort: «Je m'occupe beaucoup de la rédaction de la relation de ma campagne sur la Belle-Poule, pendant les années 1803, 1804, 1805 et 1806. Cette relation, ainsi que cela est convenu avec le rédacteur en chef des Nouvelles Annales de la Marine paraîtra, par articles successifs, chacun contenant un chapitre, dans ledit recueil et ainsi que cela eut primitivement lieu pour ma Vie de Christophe Colomb.»
Ce projet ne se réalisa pas. La mort de l'auteur survint, et la Campagne de la Belle-Poule ne parut pas dans les Nouvelles Annales de la Marine. On peut d'ailleurs conjecturer aisément que le manuscrit, s'il exista, ne différait guère des chapitres IV à X du Livre II des présents Mémoires.
Mme de Bonnefoux conserva pieusement les cahiers dont je viens de parler. Les gardant toujours à portée de la main, elle les lisait à ses petits-enfants et vivait ainsi par la pensée avec celui qu'elle avait perdu. Quand j'entrai dans la famille, elle me les montra.
Elle mourut à son tour en 1879, et notre manuscrit passa entre les mains de son beau-fils, M. Léon de Bonnefoux, chez lequel nous le trouvâmes en 1893. En le publiant aujourd'hui, je me propose de rendre hommage à l'aïeul de ma femme, à l'homme de bien, à l'excellent serviteur du pays, certain que mon cher et vénéré beau-père, l'amiral Pâris, nous approuverait, sa fille et moi.
Pourquoi en outre ne pas ajouter que, si mes recherches à la Bibliothèque et aux Archives du Ministère de la Marine différaient de mes recherches habituelles, elles ne furent pas cependant sans charme ni sans intérêt pour moi. Si le public goûte ces Mémoires, ils auront servi à remettre en honneur, avec les noms du commandant de Bonnefoux et de son cousin le préfet maritime, ceux de beaucoup de marins obscurs et qui méritent d'être tirés de l'oubli, le chirurgien Cosmao, les commandants Vrignaud et Bruillac, le lieutenant de vaisseau Delaporte, les aspirants Augier, Rozier, Lozach, Rousseau, le chef de timonerie Couzanet, le canonnier Lemeur, le matelot Rouallec, Bretons pour la plupart. Né et élevé à Brest, arrière-petit-fils du chirurgien en chef de la Marine Duret, fondateur de l'École de Médecine navale de ce port, petit-fils du capitaine de vaisseau Le Gall-Kerven, prisonnier des Anglais en même temps que M. de Bonnefoux, je serais heureux d'avoir contribué à cet acte de justice.
Pour terminer, il me reste à adresser mes remerciements à tous ceux qui ont bien voulu m'aider dans ma tâche et, d'une façon particulière, à M. Brissaud, l'aimable sous-directeur des Archives du Ministère de la Marine7.
LIVRE PREMIER
MON ENFANCE
CHAPITRE PREMIER
Sommaire: La famille de Bonnefoux. – Histoire du chevalier de Beauregard, mon père. – Son entrée au service, ses duels, son voyage au Maroc. – Ses dettes, le régiment de Vermandois. – Le régiment de Vermandois aux Antilles; Mme Anfoux et ses liqueurs. – Rappel en France. – Garnisons de Metz et de Béziers. – L'esplanade de Béziers, mariage du chevalier de Beauregard; ses enfants.
Mon cher fils, quoique mon père fût âgé de quarante-sept ans lorsque je vins au monde, il avait encore son père, qui ne mourut que quelques années plus tard; et je me souviens toujours très bien de mon aïeul, ancien militaire, dont la vigueur d'esprit et de corps se conserva d'une manière remarquable jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Chef d'une nombreuse famille, il fit choix de la profession des armes pour ses trois fils, et, avec beaucoup d'économie, il parvint à doter ses filles et à les marier. L'aîné de ses fils se maria jeune; il quitta le service lorsqu'il eut obtenu la croix de Saint-Louis, récompense qu'ambitionnaient avec ardeur les anciens gentilshommes. Il quitta alors l'épée pour la charrue, vint auprès de son père, l'aida dans les travaux agricoles auxquels il se livrait depuis sa retraite, et, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-trois ans, où il mourut, il n'eut d'autres pensées que l'amélioration de ses champs et l'éducation de quatre garçons et de deux filles. L'aînée des deux filles, Mme de Réau, fut une très aimable et très jolie femme dont le fils unique, aujourd'hui8 capitaine d'infanterie, épousa, il y a quelques années, Mlle Caroline de Bergevin, fille d'un commissaire général de la Marine à Bordeaux9. Mme de Cazenove de Pradines est la sœur de Mme de Réau; c'est une femme vraiment supérieure; ses vertus, sa bonté sont, depuis cinquante ans, passées en proverbe; il suffit de la voir pour l'aimer, de la connaître une heure pour ne jamais l'oublier. Elle a aussi un fils unique dont elle ne s'est séparée que pour son éducation qui se fit au collège de Vendôme. Ce fils, actuellement âgé d'une quarantaine d'années, a été maire et sous-préfet. La vie littéraire, l'administration de ses biens lui plaisent par dessus tout, et, à ces goûts, il a joyeusement sacrifié ses places, sa position et les espérances qu'il pouvait en concevoir. Marié à une de nos cousines, Rose, dernier rejeton de onze Bonnefoux d'Agen, nos parents, qui étaient aussi une famille de militaires, il a deux aimables petites filles10.
Quant aux quatre frères de ces deux dames, l'aîné et les deux plus jeunes étaient officiers d'infanterie lorsque la Révolution éclata; ils crurent devoir émigrer.
L'un
7
8
En 1835. Voyez la préface.
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Leur fils, M. Paul de Réau, ancien capitaine d'artillerie, mort en 1893, épousa sa cousine, Mlle Clara de Bonnefoux, fille de Laurent de Bonnefoux, dont il sera souvent question, et nièce de l'auteur de ces
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Depuis le moment où l'auteur écrivait ces lignes, M. de Cazenove de Pradines a eu un fils, Pierre-Marie-Édouard de Cazenove de Pradines, né à Marmande, le 31 décembre 1838. Il joua, dans la vie politique de notre pays, un rôle important, et se concilia l'estime de tous par sa nature chevaleresque et sa fidélité à ses convictions. Engagé dans le corps des