La jeune fille bien élevée. Boylesve René

La jeune fille bien élevée - Boylesve René


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figure si chagrine que l'on me dit: "Voyons! voyons! Madeleine, il ne faut pas te désespérer, tu ne seras pas malheureuse, ces dames ont l'air d'excellentes personnes!.." Je me contraignis quelques instants sans répondre parce que j'avais envie de pleurer, sans savoir précisément pourquoi. Le soir, je tombais dans les bras de maman en lui demandant pardon de m'être, jusqu'à présent, "aussi mal conduite!" Maman n'en revenait pas; elle éclata de rire. Mais, moi, j'étais très sérieuse: mon malaise, à la sortie de Marmoutier, et qui durait encore, l'idée m'était venue tout à coup de l'attribuer à ceci, que ma conduite jusqu'à cette heure et depuis ma première enfance, avait été tout bonnement indigne!

      C'était ce Salon nu, au parquet si luisant, cette religieuse aux traits corrects et nobles, c'étaient ces longs corridors, ces jardins déserts, la blancheur et la rectitude de tout cela, qui, par contraste, me faisait paraître médiocre et tortueux tout ce qui n'était pas semblable à cela.

      Et je disais à maman, presque en pleurant de honte pour "ma vie passée:"

      – Mais maman, songe donc que c'est moi, avec Paul, qui ai fait les rats dans le grenier, il y a trois semaines, souviens-toi… Le pauvre grand-père qui s'est levé!.. les pièges qu'il a tendus!.. et il était si ennuyé de n'avoir seulement pas pris une souris!.. Nous lancions des noix et des haricots secs, à la volée… ça court, ça trotte: pototo! patata!..

      Maman riait de tout son cœur:

      – Comment! c'était toi? c'était vous, petits gredins?..

      J'étais bien sûre de n'être pas grondée par maman; elle ne pouvait pas: elle était trop bonne… et je lui faisais une espèce de confession générale, qui me soulageait. J'avais un besoin à présent, de me conformer à l'esprit d'idéal nouveau qui m'était apparu, même à n'avoir vu les choses que par le dehors, au Couvent du Sacré-Cœur.

      Quand j'y fus entrée définitivement, je fus plus sérieusement conquise.

      V

      Je me trouvai rangée tout de suite au nombre des enfants sages.

      C'est assez étonnant: je n'étais pas sage naturellement; il ne faudrait point du tout que l'on me crût une "momie;" l'histoire des rats, chez nous, ne figurait nullement un méfait isolé; mais j'avais tant entendu parler de "bonne éducation," tant entendu prêcher la nécessité d'être "une jeune fille bien élevée," sans avoir compris jusqu'alors, en quoi cela consistait exactement, que, tout à coup, ce couvent, avec son impérieuse rectitude, s'imposait à moi comme un moule pour lequel eussent été préparées, pétries, assouplies depuis dix ans, la matière et la substance mêmes dont j'étais faite.

      Je voulais aussi faire plaisir à mon malheureux papa, qui ne cessait de me répéter, chaque fois qu'il me voyait: "Sois sage, fillette!"

      Mon Dieu, que je fus donc sage!

      Tout ce qui devait être fait, je le fis, scrupuleusement, ponctuellement et, bientôt aussi, machinalement. De tout ce qui ne devait pas être fait, je m'abstenais comme de crimes odieux.

      Les premières notes adressées à ma famille furent enthousiastes, bien que je fusse une des dernières de ma classe en composition. Mais la conduite, ici, je le vis aussitôt, dominait le savoir. Mon nom, pour la conduite, fut au tableau d'honneur, dans le Salon dès le premier trimestre. Et pour le congé du jour de l'an, quand mes parents vinrent me prendre au couvent, un "ruban vert" ornait ma poitrine.

      Je ne causais point pendant la classe, ni à la chapelle, ni dans les rangs, ni au dortoir, ni pendant les repas, où l'on nous faisait une lecture, ni même pendant les récréations, où il est recommandé de jouer. Aux récréations, je jouais à perdre haleine. Je ne me tenais pas trop penchée sur mon pupitre en écrivant, ni les deux coudes appuyés et les paumes bouchant les oreilles, en apprenant mes leçons; je pris vite l'habitude d'avoir le corps droit comme chez le photographe, en classe, à l'étude, au réfectoire; aux offices, je ne tournais la tête sous aucun prétexte. Je m'habillais et me lavais, le matin, très rapidement, très décemment; le soir j'étais la première au lit. Mon pupitre était ordonné comme un plan de ville américaine; la maîtresse en l'ouvrant, souriait avec béatitude, et elle me disait:

      – Dieu vous aimera; aimez-le.

      On m'avait aussi conseillé d'aimer Dieu, à la maison, cela va sans dire; mais bien que ma grand'mère et maman fussent fort pieuses, bien que personne ne manquât la messe du dimanche, cette recommandation, je ne sais pourquoi, ne m'avait jamais touchée profondément. "Aimer Dieu," à Chinon, cela se confondait pour moi avec une multitude d'autres préceptes que les parents rabâchent aux enfants, tels que: "Tiens-toi bien… N'appuie pas les coudes sur la table… Allons! réponds, s'il te plaît, quand madame te parle!.. Mouche-toi, mon enfant…" ou: "Ne marche pas les pieds en dedans!" On entend cela tous les jours; on s'y accoutume; on finit par s'y soumettre en effet. Aimer Dieu, d'ailleurs, est encore plus facile que tout le reste, et je m'imaginais que j'aimais Dieu très suffisamment. Entre nous, c'était avec froideur. Dieu ne me disait rien de rien. Dieu, c'était la prière du matin et du soir à genoux sur le "renard dévorant une poule" de ma descente de lit, les yeux fixés sur les compartiments du couvre-pied, – le carré où il y a un petit trou percé par les mites, le carré où une araignée a déposé quelques taches de rousseur, etc., – figures saugrenues où, durant des années, mon imagination puérile se reposait tandis qu'on la croyait au ciel. Dieu, c'était la messe, les vêpres, le salut, pendant le mois de Marie, la procession de la Fête-Dieu, et la grande préoccupation des menus de table, les vendredis, les Quatre-Temps, le Carême; cela se confondait avec la vie, avec les visites obligatoires, les dîners, les concerts profanes chez M. Vaufrenard: les devoirs religieux s'accomplissaient aussi régulièrement, plus simplement même, avec moins de frais, certes, et moins d'embarras que les obligations mondaines; rien, dans nos relations avec notre église de petite ville, n'était propre à nous donner quelque idée de majesté ou de grandeur; il y avait même, dans la façon dont on traitait le curé, si brave homme, et toutes les choses de l'église, – sermons, musique, pain bénit, baptêmes, – un je ne sais quel laisser aller, un peu familier, une certaine manière "de haut en bas," qui était plus proche de notre attitude vis-à-vis des fermiers, ou des vieux serviteurs, que de celle dont nous honorions les gens "de notre monde." Je n'avais point, étant enfant, conscience de démêler cette nuance un peu subtile, et cependant, je vois, à présent, que je la démêlais très bien. J'aimais Dieu, c'était entendu, comme devait faire un enfant qui a un peu de savoir vivre; mais, – je demande bien pardon de l'irrévérence, – je n'aimais pas Dieu d'une façon très différente de ma façon d'aimer ma vieille bonne!

      A Marmoutier, la figure de Dieu m'apparut d'une autre couleur! D'abord, nous eûmes, presque aussitôt après la rentrée, une retraite de cinq jours, avec conférences d'un Révérend Père de la Compagnie de Jésus, brandissant un crucifix à bout de bras, et qui m'ébranla comme une canonnade. Les premiers jours, Dieu me parut immense, impitoyable, foudroyant, – impression nouvelle, terrible, ineffaçable; – je me vis écrasée, mes pauvres petits os broyés et jetés dans un abîme enflammé; je me crus une grande pécheresse pour n'avoir point jusqu'à présent eu connaissance de ces vérités et n'avoir pas plus tôt commencé de faire pénitence et de pratiquer la vertu. Puis, comme la retraite touchait à sa fin, tout cet appareil terrifiant s'abattit et se résolut en douceur et en suavité; le Dieu courroucé sembla se retirer dans le lointain, comme le tonnerre, quand son grand fracas est produit; et, à sa place, ce fut Notre-Seigneur Jésus-Christ, tout indulgence, tout douceur, tout amour. Ah! ce Jésus, comme on nous le peignit charmant! Je n'avais pas eu jusque-là la moindre idée d'un être si beau, si pur et si aimant. Auprès de lui, que tout semblait vulgaire, disgracieux, pitoyable! C'était lui qui régnait ici, dont l'image était partout, dont le cœur débordant d'amour, uni à celui de sa Sainte Mère, était collé ici sur les murailles, sur les portes, les fenêtres, les sièges, les pupitres. Il avait une prédilection pour les enfants sages: j'avais, me disait-on, tout ce qu'il fallait pour lui plaire.

      Je n'y tenais pas absolument, tout d'abord, cela même me gênait un peu; je me trouvais bien, toute seule, accomplissant mes devoirs correctement, méritant les éloges et les récompenses et me conformant surtout à cette belle rectitude qui


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