Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11. George Gordon Byron
soulagement, par la résistance proportionnée qu'il produisit. Si ses fautes et ses erreurs n'avaient trouvé que le châtiment qu'elles méritaient, il n'y a presque aucun doute que le résultat eût été bien différent: non-seulement ceci n'eût pas suffi pour éveiller les nouvelles facultés qui sommeillaient encore en lui; mais le sentiment de ses erreurs, qui était toujours si vivement présent à son esprit, s'il n'eût pas été exaspéré par d'injustes provocations, aurait exercé sur lui son influence accoutumée, en le disposant à la douceur et presque à l'humilité: heureusement, comme la suite le prouva, pour les triomphes qui attendaient son génie, on n'usa pas de tant de modération à son égard. Les torrens d'invectives si peu proportionnés aux fautes qu'il avait commises, et les basses calomnies qui, de toutes parts, s'attachèrent à son nom, ne laissèrent à son orgueil blessé d'autre ressource que de rassembler toute sa force, par ce même instinct de résistance à l'injustice qui avait fait éclore, pour la première fois, les facultés de sa jeune imagination, et qui était destiné à donner à son génie un essor plus hardi et plus élevé.
Ce ne fut pas sans vérité que Gœthe dit de lui qu'il était inspiré par le génie de la douleur; car, depuis le commencement jusqu'à la fin de sa carrière agitée, ce fut toujours à cette source amère qu'il alla puiser de nouvelles facultés. La cause principale qui l'excitait à se distinguer quand il était enfant était, comme nous l'avons déjà vu, cette marque de difformité, dont le sentiment pénible et profond le tourmentant sans cesse, produisit en lui le premier désir de devenir célèbre. 28 Il fait évidemment allusion à son sort, lorsqu'il décrit lui-même cette sensation 29:
La difformité est ambitieuse; il est dans sa nature de chercher à atteindre les autres hommes, et de leur devenir égale et même supérieure. Il y a un aiguillon dans sa marche, pénible et tardive, qui l'excite à devenir ce que les autres ne peuvent jamais être dans les choses qui sont également à leur portée, comme pour compenser le premier manque de libéralité de la nature marâtre!
Note 28: (retour) Dans une de ses lettres à M. Hunt, il exprime son opinion que le penchant à la poésie est très-généralement le résultat d'un esprit souffrant dans un corps souffrant. «La maladie ou la difformité, ajoute-t-il, a été le partage d'un grand nombre de nos meilleurs auteurs: Collins était fou; Chatterton, je crois, fou; Cowper fou; Pope contrefait, Milton aveugle, etc., etc.»
Note 29: (retour) Dans le Défiguré Transfiguré (the Deformed Transformed).(Notes de Moore.)
Vint ensuite le chagrin d'une première passion trompée dans ses espérances, puis la fatigue et le remords d'excès prématurés; enfin, les attaques grossières dirigées contre ses premiers essais: toutes circonstances formant autant d'anneaux de ce long enchaînement d'épreuves, d'erreurs et de souffrances, qui força graduellement, et d'une manière bien douloureuse, le développement des puissantes facultés de son esprit; toutes ayant leur part respective dans l'accomplissement de cette destinée qui semblait avoir décrété que la marche triomphante de son génie aurait lieu à travers les ruines et la solitude de son cœur. Il semble lui-même avoir eu l'instinct secret que c'était de telles épreuves que devaient naître sa force et sa gloire, toute sa vie s'étant passée à rechercher l'agitation et les difficultés; et lorsque les circonstances qui l'entouraient étaient trop paisibles pour lui offrir rien de semblable, il avait recours à son imagination ou à sa mémoire pour y chercher «des épines contre lesquelles il pût reposer son sein.»
Mais le plus grand de ses chagrins, et en même tems de ses triomphes, était encore à venir. La dernière station de cette carrière glorieuse, mais pénible, où, à tous les pas, chaque nouvelle faculté de son ame en était arrachée par la douleur, fut celle à laquelle nous sommes maintenant arrivés, son mariage et ses résultats. Sans cet événement, qu'il paya de son repos et de sa réputation, sa carrière aurait été incomplète, et le monde ignorerait encore toute l'étendue de son génie. Il est en effet digne de remarque, que ce ne fut qu'au moment où son bonheur domestique commença à s'obscurcir, que son imagination, qui était restée long-tems oisive, reprit de nouveau son essor, le Siége de Corinthe et Parisina ayant été composés l'un et l'autre peu de tems avant sa séparation. On peut juger aussi, d'après quelques passages de lettres écrites par lui à cette époque, à quel point les agitations qui suivirent étaient le véritable élément de son esprit inquiet. Dans l'une de celles-ci, il dit même que sa santé s'est améliorée de tout ce tumulte de sensations. «Il est singulier, dit-il, que l'agitation et les débats, n'importe de quel genre, redonnent de l'élasticité à mes esprits, et me raniment pendant leur durée.»
Ce fut cette ardeur, cette élasticité d'esprit dont l'action ne pouvait être arrêtée, qui lui permit de supporter alors non-seulement les attaques des autres, mais, ce qui était plus difficile encore, ses pensées et ses sensations personnelles. Le recueillement de toutes ses ressources intellectuelles auxquelles il avait été forcé d'avoir recours pour sa propre défense, ne servit qu'à lui révéler des facultés dont il n'avait jamais soupçonné l'étendue et la puissance, et lui inspira l'orgueilleuse confiance de briller un jour d'un éclat qui dissiperait les nuages de la calomnie, convertirait la censure en étonnement, et forcerait à l'admiration ceux même qui ne pouvaient l'approuver.
Le voyage qu'il entreprit alors à travers la Flandre et le long du Rhin, est décrit de manière à ne rien laisser à désirer dans ces vers incomparables qui dotent d'une portion de leur gloire tout ce qu'ils ont dépeint, et prêtent à des lieux déjà voués à l'immortalité par la nature et l'histoire, l'association non moins durable de leurs chants impérissables. À son départ de Bruxelles, il se passa un incident qui ne vaudrait pas la peine d'être rapporté, s'il n'offrait la preuve de l'application maligne avec laquelle on recueillait et répandait en Angleterre tout ce qui était à son désavantage. M. Pryce Gordon, qui paraît l'avoir vu souvent pendant son séjour à Bruxelles, raconte ainsi cette anecdote:
«Lord Byron voyageait dans un vaste carrosse, fait sur le modèle de la célèbre voiture de Napoléon, prise à Genappe avec d'autres objets. Indépendamment d'un lit de repos, il contenait une bibliothèque, un buffet à argenterie et tous les accessoires nécessaires pour y dîner. Il ne le trouva pas cependant assez grand pour son bagage et sa suite, et il acheta une calèche à Bruxelles pour ses domestiques. Cette calèche cassa en allant à Waterloo, et je lui conseillai de la rendre, car elle me parut vieille et usée. Cependant, comme il avait laissé en dépôt quarante napoléons (ce qui était assurément le double de sa valeur), l'honnête Flamand ne voulut pas reprendre sa machine roulante, à moins d'un dédommagement de trente napoléons. Sa seigneurie devant repartir le lendemain, me pria d'arranger cette affaire de mon mieux. Il ne fut pas plus tôt parti, que le digne sellier inséra un article dans l'Oracle de Bruxelles, portant que le noble milord anglais avait disparu avec sa calèche valant 1,800 fr.»
Dans le Courrier du 13 mai, l'article de Bruxelles est ainsi copié:
«Voici un extrait de la malle-poste hollandaise, daté de Bruxelles: Dans le journal de la Belgique de ce jour, il y a une pétition d'un carrossier de Bruxelles, au président du tribunal de première instance, exposant qu'il a vendu une voiture à Lord Byron, pour la somme de 1,882 fr., sur laquelle il en a reçu 847; mais que sa seigneurie, qui part le même jour, refuse de payer les 1,035 fr. restant, et qu'il demande en conséquence la permission de saisir la voiture. Cette permission lui ayant été accordée, il la remit à un officier de justice, qui fut en faire la signification à Lord Byron, et apprit du maître de l'hôtel que sa seigneurie était partie sans lui rien laisser pour payer cette dette, sur quoi l'officier saisit une chaise appartenant à sa seigneurie, en garantie de la dette.»
Ce ne fut qu'au commencement du mois suivant, que cette fausseté fut démentie par une lettre de Bruxelles, signée L. Pryce Gordon, insérée dans le Morning Chronicle, et contenant les détails réels de cette affaire, tels que nous les avons déjà donnés.
Nous avons puisé dans cette même source, et nous rapportons, d'après une autorité aussi respectable, une anecdote d'un bien autre intérêt. Il paraît