La femme auteur; ou, les inconvéniens de la célébrité, tome I. Dufrénoy Mme.

La femme auteur; ou, les inconvéniens de la célébrité, tome I - Dufrénoy Mme.


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comte, fortement ému, serra en silence la main de sa femme; un moment après il dit: Je conviens qu'il eût peut-être été préférable qu'Anaïs se fût montrée la fidelle image de ma Virginie; mais à la touchante douceur de ton caractère, elle joint l'exaltation du mien: elle est tour-à-tour modeste, fière, patiente, emportée: à beaucoup de tes qualités, elle unit quelques-uns de mes défauts. Son imagination cherche continuellement à s'exercer; son cœur éprouve, en secret, le besoin impérieux d'aimer encore autre chose que nous: il est donc de notre prudence de ne pas contrarier le noble penchant qu'un mot a suffi pour développer en elle. Oui, puisque la nature lui créa une ame ardente, il lui faut des illusions: que celle des arts la préserve de toute autre. Je vais m'appliquer à former son esprit; continue à former ses mœurs; que nos leçons et ton exemple la rendent un jour digne de prendre rang parmi les femmes illustres, qui sont ensemble la gloire et le modèle de leur sexe.

      Le comte prononça ces derniers mots avec tant d'enthousiasme, que Virginie n'osa plus combattre son opinion: elle avait d'ailleurs une si haute idée des lumières de son époux, et se défiait tellement des siennes, qu'elle se reprocha presque ses légitimes sollicitudes.

      CHAPITRE IV

      Anaïs eut bientôt des maîtres de tout genre: elle s'appliquait également à la peinture, à la musique, à l'étude des langues, à celle de l'histoire: c'était par une occupation, qu'elle se délassait d'une autre; elle ne voulait pas entendre parler de repos; elle regrettait le temps qu'elle était obligée de donner au sommeil; et pendant celui qu'elle restait auprès de sa mère à broder, elle repassait en elle-même les leçons qu'elle avait reçues, et dont elle craignait de ne jamais assez se pénétrer; ses progrès furent rapides. A quinze ans elle joignait à la connaissance parfaite de sa langue, celle de la langue latine; elle pinçait très-bien la harpe, chantait à merveille, peignait agréablement la miniature, les fleurs, et dansait avec grace. Ses lectures en poésie se bornaient à nos Tragédies saintes, au poëme de la Religion, aux odes de J. – B. Rousseau, à quelques chants de la Henriade, et aux idylles de madame Deshoulières. M. de Crécy s'étant principalement occupé de parler à sa raison, elle était devenue très-réfléchie: elle écoutait beaucoup, parlait peu, répondait avec justesse aux questions qui lui étaient adressées, mais elle ne laissait échapper aucune de ces réparties qui donnent un tour orignal et piquant à la conversation. On la louait sans cesse sur son talent en musique, en peinture; on ne la louait jamais sur son esprit; on croyait qu'elle n'en avait point: cette opinion, qu'elle partageait, lui avait donné une timidité excessive: elle exprimait souvent très-mal ce qu'elle sentait très-bien; et chagrine du peu de fruit qu'elle pensait avoir retiré de l'étude, si elle s'y livrait encore avec constance, c'était uniquement pour satisfaire à son goût, et non plus dans l'espoir qui l'avait d'abord portée à la chérir.

      Dans le nombre des jeunes gens de qualité qui étaient admis chez M. de Crécy, on remarquait le marquis de Simiane. Vingt-sept ans, un grand nom, une belle figure, une taille agréable, étaient ses titres à la bienveillance; il n'avait que peu d'instruction et d'esprit, mais il avait ce qui en tient lieu dans le monde, ce qui souvent même y fait mieux réussir, du tact et de l'adresse. Il croyait devoir à son rang de se montrer le protecteur des lettres et des arts; il accueillait avec distinction ceux qui les professaient, recherchait leur société, prêtait à leur entretien une attention qui lui faisait supposer des lumières qu'il n'avait pas, et quand il s'élevait des discussions entr'eux, il avait toujours soin de se ranger à l'opinion de celui dont le mérite était le plus reconnu.

      Le marquis cherchait à s'allier à une famille noble et riche: Anaïs lui convenait, il se crut amoureux d'elle, et demanda sa main. Le comte n'avait aucune objection à faire contre M. de Simiane, il instruisit sa fille des vues que ce seigneur avait sur elle, en la laissant maîtresse de les agréer ou de les refuser.

      Anaïs n'avait pas encore éprouvé le désir de changer d'état, mais à seize ans, malgré beaucoup de raison, on ne voit pas sans plaisir approcher le moment où l'on comptera dans le monde. Mademoiselle de Crécy n'avait d'ailleurs aucun motif de redouter l'hymen; il donnait, depuis tant d'années, de si beaux jours à ses parens! Etrangère à tout ce qui n'était pas eux, ou ses études, elle s'imaginait que tous les hommes ressemblaient à son père. M. de Simiane avait l'air de partager ses goûts; il sollicitait souvent la faveur de l'entendre pincer la harpe, il admirait ses petits tableaux, il lui demandait quelquefois son avis sur un trait d'histoire, ou sur une question de littérature, et y déférait toujours. Enfin, il était le seul qui eût cherché, jusqu'à cet instant, à lui plaire; et quelle est la femme dont le cœur n'est pas encore ouvert à l'amour, qui n'accorde un sentiment de préférence à l'homme qui, le premier, l'avertit du pouvoir de ses charmes? Anaïs consentit à devenir marquise de Simiane.

      CHAPITRE V

      Les trois premiers mois de son mariage se passèrent dans une dissipation continuelle; le marquis se plaisait à la conduire dans les cercles les plus brillans, aux spectacles, aux concerts, aux bals. Madame de Simiane était très-belle; mais sa timidité lui donnait une sorte de gaucherie qui la déparait un peu; comme elle était mal à son aise au milieu du grand monde, elle n'y paraissait pas à son avantage. On s'y permettait quelquefois des plaisanteries que sa candeur l'empêchait de comprendre: ses questions naïves la rendaient alors l'objet d'une attention désobligeante; quelquefois aussi elle entendait parler en riant de certaines matières que l'austérité de ses principes ne lui permettait pas de traiter avec légèreté; tout ce qu'elle voyait lui causait un étonnement mêlé de tristesse. Elle pria M. de Simiane de la laisser désormais mener une vie plus retirée.

      Le marquis ne s'opposa point à ses désirs; le peu de succès qu'elle avait obtenu dans la société était, à ses yeux, un tort qui lui avait ravi tous ses charmes: l'indifférence succéda au penchant assez vif qu'il avait senti pour elle; la politesse remplaça les soins; il ne l'empêchait pas de cultiver ses talens, mais il ne paraissait plus y attacher de prix; il n'était plus le témoin ni l'admirateur de ses aimables travaux.

      Ce changement affligea beaucoup madame de Simiane; elle chercha vainement à regagner la tendresse de son époux. Loin d'être sensible à ses douces prévenances, il en paraissait fatigué: l'air d'ennui qu'il apportait dans leur tête-à-tête les lui fit bientôt redouter à elle-même. Il est cruel pour une femme sensible et délicate, de n'être jamais comprise par celui avec qui elle se trouve sans cesse en rapport. Anaïs était dans ce cas; M. de Simiane n'avait que la surface de l'ame et de l'esprit; il devait être vu en perspective, et non de près.

      Le marquis avait au moins cela de bon, qu'il laissait une entière liberté à sa compagne; elle conduisait à son gré sa maison, et recevait ceux qu'elle voulait; il ne lui demandait aucun compte de l'emploi de son temps, ni de celui de son revenu. Beaucoup de femmes à sa place auraient été satisfaites de leur sort; mais elle s'était fait de l'hymen le tableau le plus séduisant, et n'y trouvant que l'absence du malheur, elle comparait sa situation à celle de sa mère, et soupirait en se répétant: c'est pour toujours.

      La crainte de troubler la tranquillité de ses parens, lui faisait renfermer sa douleur dans son sein: leur présence, d'ailleurs, rendait la sérénité à son front. Elle était si touchée de leur tendresse, si heureuse de leur bonheur, qu'elle oubliait auprès d'eux tout ce qui manquait au sien; jamais elle ne leur avait témoigné autant d'amour: M. de Simiane, en détruisant ses espérances, avait doublé dans son cœur la force du sentiment de l'amour filial. Ce sentiment, le seul qui ne trompe jamais, le seul qui conserve toujours une égale énergie, adoucit les regrets de la marquise. L'étude embellit de nouveau ses loisirs; son père la guide encore dans ses travaux; il est maintenant bien plus son ami que son maître; il ne craint plus de parler trop vivement à son ame par la magique peinture de la plus séduisante des passions; il croit qu'elle aime, qu'elle est aimée de son époux: il déploie à ses regards toutes les richesses de nos poëtes; il applaudit à l'enthousiasme avec lequel elle déclame les scènes magnifiques de Racine et de Voltaire, et sourit de l'exaltation qui l'a fait s'écrier: O fortunée Zaïre, que j'envie ton destin!

      Jusqu'à cette époque, Anaïs avait cultivé tous les arts, sans montrer une prédilection particulière pour aucun; mais nos poëtes divins ont fait vibrer une corde nouvelle


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